« Une noisette s’il vous plaît ! »

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L’apparition de la noisette, cet expresso que l’on agrémente d’une cuillère de lait, constitue une énigme historique et gustative dont l’importance peut ne pas sauter aux yeux. Celle-ci traduit bien notre ignorance contemporaine des spécialités les plus familières.

café
Image d'illustration. Crédit : DR.

L’enquêteur ira d’abord se renseigner sur Internet, où il apprendra qu’« il n’y a pas de noisette dans le café noisette » (merci !), et que ce dernier nous vient d’Italie, plus précisément de Turin… mais aussi de Milan ou Parme. C’est pratique, l’histoire de l’art des comptoirs et des débits de boissons : comme il n’existe à peu près rien, c’est « open bar » ! N’importe qui s’institue expert ! En l’occurrence, pour le café, cela nous vient toujours de Turquie ou d’Italie, au XVIIe et XVIIIe siècles, tout simplement parce que le goût et l’habitude du café y précèdent l’engouement hexagonal.

Si l’on quitte la « faribole » et que l’on se replie sur ces choses étranges qui contiennent elles aussi des connaissances – les livres –, on ne trouve pas plus d’indications sur ce mélange café-lacté, mais l’on découvre quelques éléments peu connus et assez étonnants. Notamment que les marquises poudrées raffolent du café au lait. Ou que l’habitude de tempérer l’amertume du café par du lait date de l’Ancien Régime et touche les premiers ouvriers, ce qui surprend davantage !

Et pourtant, l’historien Henry-Melchior de Langle est catégorique : « Le café au lait forme le déjeuner des deux tiers de la population de Paris sous la monarchie de Juillet. » Mais ladite boisson suppose-t-elle du lait dans du café ou le contraire ? « Le café au lait des classes populaires parisiennes, souvent acheté auprès d’une marchande ambulante, nous dit Benoît Collas, n’est en fait que du lait vaguement coloré par du marc déjà utilisé. » Rappelons qu’à l’époque, de nombreuses laiteries émaillent les rues de la capitale. Le café au lait est donc une boisson du matin ou du soir, pour cause de traite. Ce qui ne nous avance pas tant pour la noisette…

Une dénomination incertaine

Les premières mentions de « café noisette » dans des menus de restaurants datent des années 1920. Le prototype du percolateur hydrostatique date de l’Exposition universelle de 1855, mais il faut attendre l’après-guerre de 1914-1918 pour en trouver hors des établissements de centre-ville. L’historien Didier Nourrisson indique, dans son livre Du lait et des hommes (2021), que le « frigorifique » français date de 1876, et que « cette technique de conservation par le froid ouvre l’ère moderne du lait », renforcé par la pasteurisation en 1890.

Faute d’une archive indiscutable, l’enquêteur peut donc retenir l’hypothèse plus que probable, que sur un comptoir anodin, à la demande d’une noisette par un consommateur lambda, l’homme de l’art préparera un expresso dans un léger nuage de vapeur… avant d’y ajouter avec dextérité une cuillère à café de lait extrait d’un bidon ou d’un « litron » qu’il a ouvert le jour même. La goutte lactescente dessinera un cercle crémeux de la forme d’une petite coque, avant de diffuser dans la tasse pour exprimer une couleur caractéristique. La noisette règne désormais sur les zincs de l’Hexagone.

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