Recrutement en restauration : les nouveaux enjeux de la gestion du personnel

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Face aux difficultés actuelles de recrutement, certains professionnels n’hésitent pas à repenser leur stratégie pour fidéliser leurs salariés et attirer les talents. Repenser les horaires, questionner les salaires, recourir à des solutions digitales ou restreindre le nombre de plats sur sa carte… Tout est bon pour renouveler les pratiques managériales.

Début de service au restaurant Granite (Paris 1er).
Début de service au restaurant Granite (Paris 1er). Crédits : Au Coeur du CHR.

Urgent ! Recherche serveur, cuisinier, chef de rang… Les offres d’emploi ne cessent de fleurir dans le monde de la restauration. Il faut dire que d’après les derniers chiffres publiés par la Direction de l’animation de la recherche, des études et de la statistique (Dares), le nombre d’emplois vacants dans le secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration (HCR) a continué d’augmenter au cours du deuxième trimestre 2022 dans l’Hexagone.

Avec près de 220 000 postes qui ne trouvent pas preneurs, le manque de main-d’œuvre représente environ 20 % des effectifs globaux, dénombrés à la fin de décembre 2021, dans le secteur HCR. Si tout le territoire est concerné, c’est sans surprise l’Île-de-France où la pénurie de personnel se fait le plus ressentir, « avec près de 100 000 postes à pourvoir », comme le précise Franck Delvau, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) Île-de-France.

Cependant, il ne s’agit pas d’une situation exceptionnelle. En effet, le secteur souffre depuis de nombreuses années de difficultés de recrutement dans un univers où le turn-over est généralement important. La crise sanitaire a simplement accéléré le processus. De nombreux salariés ont préféré se reconvertir dans d’autres métiers et quitter la profession, ou « tout simplement choisi de partir travailler en province à l’occasion des confinements à répétition liés à la crise sanitaire du Covid-19 », indique Albert Aidant, à la tête de la brasserie L’Ami Georges à Paris, dans le quartier de l’Opéra.

De nouvelles pratiques plus attractives

Pour certaines brasseries parisiennes, ce phénomène a d’ailleurs été source de trans-formation et d’évolution. Pour faire face à leurs actuelles difficultés de recrutement, de nombreux gérants ont bien souvent revu leur modèle d’organisation, en matière de gestion de personnel, en tentant de se réinventer. En effet, les métiers de la restauration sont considérés comme difficiles et exigeants, tant en matière de charge de travail que d’horaires.

À l’heure où le secteur souffre d’une pénurie de salariés, mieux vaut donc tout faire pour les motiver et les fidéliser davantage « en devenant plus souple dans l’organisation du travail avec par exemple un système de semaine à trois jours de repos, relativement flexible en fonction des volontés des employés », précise Albert Aidant. D’ailleurs, bon nombre de professionnels ont désormais mis en place des horaires plus adaptés à la vie personnelle et familiale de leurs salariés. Ainsi, aujourd’hui, « la suppression du service du soir après 22 h 30 n’est pas rare chez certains restaurateurs parisiens », observe Franck Delvaux.

Soigner ses équipes

Pour optimiser le temps de travail, certains professionnels n’hésitent pas non plus à accorder « un jour de repos supplémentaire pour le personnel et à fermer le week-end afin d’éviter tout risque de surmenage », ajoute Albert Aidant. L’heure est donc à l’amélioration des conditions d’exercice du métier afin de veiller au bien-être et à la stabilité des équipes.

Le but de cette optimisation des plannings est de faire bouger les lignes et de rendre tous ces postes plus attractifs, en se démarquant des anciennes pratiques de la profession. Une manière d’attirer plus facilement les candidats. Dans la même logique, les exploitants misent sur une meilleure rationalisation du travail des équipes. Afin de gagner du temps, de plus en plus de restaurants ont ainsi fait le choix de raccourcir la liste des plats de leur carte, en se cantonnant aux plats les plus populaires, mais aussi les plus rentables. Une astuce qui facilite les prises de commande des clients tout en allégeant la pression en cuisine. Cerise sur le gâteau, ce type d’initiatives permet également de travailler avec une équipe réduite.

Face au manque de personnel, certains restaurateurs ont également décidé d’innover. Ainsi, grâce aux nouvelles technologies, il est possible d’automatiser certaines tâches administratives et chronophages comme la gestion de l’inventaire ou encore la réservation en ligne pour les brasseries et autres restaurants. Résultat : un gain de temps considérable pour les collaborateurs qui peuvent davantage consacrer leur énergie à recevoir et à servir les clients. Du reste, pour certaines brasseries, la numérisation est également devenue incontournable pour enrôler des salariés à travers des campagnes de recrutement innovantes.

 La suppression du service du soir après 22 h 30 n’est pas rare chez certains restaurateurs parisiens

Quoi de mieux, à l’heure des réseaux sociaux, qu’une offre d’emploi publiée sur Facebook, une story Instagram ou une vidéo YouTube ? Dans la même logique, certains professionnels sont même prêts à offrir des contreparties financières à toute personne qui les aidera à trouver la perle rare, à condition bien évidemment que la personne recrutée soit en mesure de passer sa période d’essai…

Quid de la question financière ?

Cependant, si toutes ces mesures sont originales, elles ne seront peut-être pas suffisantes. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si « l’Umih collabore avec Pôle Emploi afin de répondre au fort besoin de main-d’œuvre du secteur », affirme Franck Delvaux. D’autant plus que cette pénurie est sans doute appelée à se pérenniser dans le temps du fait des nouvelles attentes des jeunes Français qui constituent bien souvent le plus gros bataillon de main-d’œuvre du secteur. Désormais, les employés ne sont plus prêts à tout accepter, sachant qu’ils sont en position plus favorable vis-à-vis de leur employeur. Et, devant cette nouvelle génération plus exigeante que celle de leurs aînés, il est sans doute nécessaire de leur assurer un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, entre travail et culture ou loisirs.

À cela s’ajoutent des considérations d’évolution de carrière, avec parfois la volonté de passer rapidement du statut de serveur à chef de rang par exemple, quitte à changer d’établissement. Il faut ainsi tenir compte des motivations financières de chacun : pour recruter, la question de l’attractivité des salaires reste toujours un élément essentiel de motivation.

Reste à savoir si l’ensemble de la profession, durement touchée par la crise sanitaire et le retour de l’inflation, sera en mesure de faire face à la hausse des charges salariales après l’entrée en vigueur, le 1er avril d’une augmentation moyenne de 16,33 % de l’ensemble de la grille actuelle des salaires. En effet, certains établissements parisiens ont fait faillite et beaucoup d’autres sont dans des situations financières précaires. Le remboursement des Prêts garantis par l’État (PGE) est un sujet de préoccupation pour de nombreux indépendants du secteur de la restauration.

La plupart des brasseries parisiennes seront-elles capables de s’adapter aux attentes de leurs salariés ? Les efforts déployés par certains gérants pour dépoussiérer la gestion du personnel ont un coût non négligeable qu’il n’est pas toujours possible de répercuter sur l’addition des clients.

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