La grande interview. Thierry Marx : « Nous devons aller vers une économie de la qualité »

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Quels sont les défis de la profession à l’aube de 2025 ? Le Fait maison va-t-il décoller dans les restaurants ? A quoi ressemblerait le CHR d’ici à 2030 ? Quels sont les enjeux du prochain congrès ? A ces interrogations et à bien d’autres, Thierry Marx, président de l’Umih, nous répond.

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L’UMIH se dote d’une nouvelle charte graphique et d’un nouveau logo [voir encadré] ? Une première depuis 20 ans. Que signifient ces changements ?

Il était temps de changer de logo. Le précédent évoquait une pyramide, autrement dit un tombeau, une vision funéraire pas très heureuse. Nous voulions rafraîchir l’image du syndicat et lui procurer ainsi un nouveau dynamisme, afin d’être en phase avec le 21e siècle. Le nouveau logo met en lumière la première lettre de l’Umih, le u pour union. Savoir débattre, savoir définir un objectif en commun, être dans la cohérence sans surenchère aucune. Nous sommes un syndicat en mouvement, doté d’une vision claire par activité, aux services de ses adhérents. Il n’était pas question de s’endormir sur ses lauriers mais de tourner la page du syndicalisme du 20e siècle.

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Maintenant que le nouvel étendard est là, à nous désormais de travailler. Je suis depuis deux ans à la présidence de l’Umih et il m’en reste trois à effectuer.

Pensez-vous vous représenter ? 

Ce ne sont pas mes propos. Je travaille dossier après dossier ; je ne suis pas un homme politique.

Dossiers qui sont nombreux. Comment jugez-vous cette année ? 

C’était une année complexe. Tous les acteurs du CHR ont été à l’unisson pour préparer et accueillir comme il se doit ses Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Et la réussite de cet événement mondial a été au rendez-vous. L’image de notre pays en est sortie grandie. Une fois dit cela, regardons la réalité. Des établissements ont enregistré des replis de 30 % de leur chiffre d’affaires dès avril dernier. Parallèlement, la saison touristique n’a pas été extraordinaire. Un grand nombre de touristes ont décidé de ne pas venir du fait des JOP. Ajoutez à cela une météo peu reluisante… Sans oublier une dissolution qui a gelé tous les projets en cours liés à la profession.

175 000

C'est actuellement le nombre de restaurants ouverts en France

23

C'est le nombre de restaurants qui ferment chaque jour

1

restaurant ouvre, mais dans le même temps cinq établissements ferment

Nous repartons de zéro et l’univers du CHR est dans l’incertitude la plus complète. Les entrepreneurs que nous sommes n’aiment guère cela.

Et les fermetures sont nombreuses… 

Oui, malheureusement. La France compte quelque 175 000 restaurants. Mais chaque jour, 23 mettent la clé sous la porte. Quand un ouvre, cinq ferment. Un grand nombre ont été asphyxiés par le PGE consenti par les banques. Pourtant, c’est un prêt garanti par l’Etat… Dès lors, dans cette période assez anxiogène, il faut bien l’avouer, nous demeurons très attentifs au choix de l’actuel Gouvernement.

Comme celui concernant les titres-restaurant 

Leur utilisation en grande surface alimentaire a été reconduite en 2025, alors que cet usage devait s’arrêter en décembre prochain. Franchement, nos gouvernants manquent d’imagination. Pourquoi ne pas créer un titre d’alimentation durable, qui mettrait en avant les produits agricoles français, lequel serait défiscalisé ? Et rendre ainsi le titre-restaurant aux restaurateurs. Cette nouvelle formule permettrait de toucher 80 % des salariés français contre 15 % actuellement. Cela existe déjà aux Pays-Bas, en Belgique et en Angleterre.

Que l’on soit restaurateur ou hôtelier, nous sommes avant tout des chefs d’entreprises

Le détournement de l’utilisation du titre-restaurant a eu pour résultat un manque à gagner du CHR de 576 millions d’euros. Dans le même temps, les grandes et moyennes surfaces alimentaires ont engrangé 876 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires. Ces derniers n’ont pourtant pas besoin de nous pour développer leurs marges. Il n’est pas normal que l’on refuse cette création d’un titre d’alimentation solidaire. Je défends ce projet depuis mon arrivée à la présidence de l’Umih.

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Les GMS alimentaires ont engrangé 876 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires avec le titre-restaurant. ©DR

Mais que vous répond la ministre du commerce, Françoise Gatel ? 

Elle m’écoute. Cela dit, le Gouvernement actuel vit dans l’urgence permanente. Comme c’est le cas depuis plusieurs décennies, il est vrai. Il est pourtant primordial de mettre en place des projets sur le long terme. Le CHR est en permanence balloté d’une rive à l’autre. Un jour, on nous écoute, les feux sont alors au vert. Le lendemain, ils redeviennent rouges. A l’image d’une boule de flipper qui rebondit sans pouvoir s’arrêter. C’est l’ère del’indécision permanente.

Pour autant, que l’on soit un restaurateur ou un hôtelier, nous sommes avant tout des chefs d’entreprises avec toutes les problématiques que connaissent toutes les personnes à la tête d’une société. Je sais que ce discours est parfois mal compris dans le CHR mais c’est pourtant la stricte vérité.

Que pèse aujourd’hui le CHR ?

Nous sommes des entrepreneurs, une industrie qui regroupe 1 million de salariés, 17 000 hôtels et 175 000 restaurants. Cet ensemble pèse aux alentours de 7 % du PIB français, ce qui n’est pas une goutte d’eau.

Vous évoquiez la dissolution et la remise à zéro des anciens chantiers. Qu’en est-il du Fait maison ?

En 2024, avec l’ensemble des acteurs des métiers de bouche, nous étions tombés d’accord sur le besoin d’une nouvelle loi sur le Fait maison. On voulait, d’une part, protéger le savoir-faire des artisans, et, d’autre part, sauvegarder la notion même du mot restaurant. Avant la dissolution, Bercy était prêt mais depuis nous sommes dans le brouillard. Je rappelle que tous les syndicats étaient d’accord. L’Umih va naturellement enfoncer le clou une nouvelle fois.

Le Fait maison valorise à la fois le savoir-faire des chefs et celui des agriculteurs

Le Fait maison, c’est simplement la mise en avant des plats conçus avec des produits issus de l’agriculture française, plats réalisés sur place. Certes, cela réclame du personnel en plus, ce qui engendre une hausse des coûts et des marges plus petites. Mais il est primordial de défendre cette loi cadre. Elle valorise à la fois le savoir-faire des chefs et celui des agriculteurs. Naturellement, si un restaurant triche sur le Fait maison, alors les sanctions se doivent d’être lourdes.

Parallèlement, l’inquiétude est présente face à la réforme des financements de l’apprentissage. Bon an, mal an, la profession cherche à recruter chaque année quelque 200 000 personnes. Jusqu’à présent, l’apprentissage a bien fonctionné, quel que soit le ministre. Ce coup de rabot est plutôt malvenu. Il en est de même en ce qui concerne cette fois la formation des adultes.

Finalement, l’Umih doit faire face à de multiples défis, de multiples chantiers… 

Lors de mon arrivée à la présidence du syndicat, je me suis fixé trois objectifs. Tout d’abord, la communication et l’attractivité du métier. Ce point est bien engagé. Ensuite, la mesure et la réduction de notre impact environnemental en partenariat avec l’Ademe, l’Agence de la transition écologique. Là-aussi, les travaux sont sur la bonne voie. Enfin, la mise en place de contre-feux face à la digitalisation, à l’uberisation de nos métiers. Le numérique va vite. Malgré la DMA (Digital Markets Act, loi européenne sur les marchés numériques – Ndlr), c’est tout de même Google qui dirige, un moteur de recherche avec lequel il est très difficile de dialoguer.

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©DR

Les acteurs du CHR sont contraints de s’inscrire sur les plateformes de réservation. Pour autant, ce sont les résultats de Booking.com et autres qui apparaissent en premier et non tel ou tel établissement inscrit.

Notre chantier est de réunir toutes les conditions pour créer une plateforme française, voire européenne. Nous avons commencé à chercher de l’argent et des compétences. C’est David contre Goliath, mais les établissements laissent 20 % de leur chiffre d’affaires aux plateformes ; nous ne pouvons pas continuer comme cela. Le numérique bouleverse notre société. On assiste à une uberisation avec une explosion des auto-entrepreneurs, car ces plateformes ne recrutent pas.

C’est un choix de société et c’est au législateur d’agir. Soit il dérégule le marché et nous allons vers un mode de vie à l’américaine. Soit il fixe des règles claires et précises. Il en va de même pour les meublés touristiques. Nous avons perdu à Paris mais gagné à Saint-Malo. Nous vivons dans deux mondes parallèles, entre un digital qui va vite et un législateur qui va doucement.

Du 3 au 5 décembre se déroule votre congrès à Lyon avec comme maître-mot…

L’innovation. Il s’agit en effet de mon troisième congrès. Des mastodontes émergent sur notre continent qu’ils viennent d’Asie, de Chine ou des Etats-Unis. Notre différence s’effectuera en proposant des prestations de qualité, une hospitalité irréprochable, de l’éco-responsabilité et un tourisme rural. Du reste, nous devons nous rapprocher du monde agricole. C’est un maillon très important. Quand un hôtel fonctionne, c’est tout le village qui en profite. Heureusement que les maires ont pris conscience de cela.

L’Umih est un syndicat de propositions et non de manifestations

On peut du reste regretter que la fonction de député maire n’existe plus. Cela dit, nous ne nous plaignons pas trop des manifestations des agriculteurs. Ils sont en première ligne, nous en deuxième. Nos problématiques sont identiques : complexité des normes, marges faibles, et une attente de simplification qui ne vient pas.

Seriez-vous prêt à manifester ? 

L’Umih est un syndicat de propositions et non de manifestations. Notre objectif est d’innover aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural.

Par ailleurs, nous devons aussi aborder la question de l’IA. Elle téléscope nos modèles. Notre savoir-faire possède une grande attractivité et les touristes aiment les produits qui incarnent la gastronomie française. A nous de préserver et de développer cela. C’est ce que j’appelle l’économie de la qualité. De toute manière, ce qui n’évolue pas meurt ou se transforme en autre chose.

Selon vous, à quoi ressemblera le CHR d’ici à 2030 ? 

2030, nous y sommes déjà avec l’uberisation et l’IA. Nous devons voir plus loin, d’ici à 2050.Quelle société voulons-nous pour nos enfants, ultra libérale ou non ? Si l’utilisation de l’eau et de l’énergie ne sont pas régulés, alors courons à la catastrophe. Nous devons décarboner l’assiette, en tenant compte de deux aspects. D’abord social. Le travail doit être un outil d’épanouissement pour le salarié, sans oublier les hausses des salaires. Ensuite, l’aspect environnemental, en privilégiant les circuits courts.. Face à tous ces enjeux, je crois que tous les syndicats doivent travailler ensemble les dossiers.

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De la gouvernance de l’Umih : « Dans une époque où tout le monde a le mot démocratie à la bouche, les procès en illégitimité n’ont jamais été aussi nombreux. Les corps intermédiaires devraient être plus exemplaires avant de donner des leçons aux politiques. Un syndicat comme l’Umih se doit d’être indépendant. C’est ce que nous avons réalisé en remodelant notre mutuelle de santé. Que vous soyez président de branche ou de région, il ne faut pas oublier que d’être élu, c’est endosser une fonction. Ce qui implique de mettre son égo en deuxième rideau. Si vous n’êtes pas d’accord avec la stratégie d’une structure, vous la quittez. Quand vous adhérez à un syndicat, ce n’est pas simplement pour bénéficier d’une nouvelle carte de visite. La posture qui consiste à pousser des cris d’orfraie systématiquement face à un obstacle, par manque de réflexion,  est lassante. En ce qui me concerne, je préfère une méthode socratique où je décompose un problème, en excluant les idées reçues, pour mieux trouver ensuite une solution. »

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