Laurent Jury, la touche asiatique auvergnate

  • Temps de lecture : 5 min

Installé à La Belle Meunière, à Royat (Puy-de-Dôme), Laurent Jury propose une cuisine qui valorise l’Auvergne sous un angle particulier. Les saveurs asiatiques se mêlent aux produits du terroir dans la cuisine de cet Auvergnat de Paris redescendu au pays.

La cuisine se distingue de toutes les autres en Auvergne grâce à ses accents asiatiques assumés. Laurent Jury fait partie des cuisiniers qui valorisent les produits régionaux avec une note particulière et très personnelle. À la tête de l’une des plus grosses institutions de la région, il ne cesse d’innover pour aller plus loin, chercher des saveurs que les autres n’ont pas et trouver ce précieux équilibre entre Auvergne et Asie. À La Belle Meunière, ce n’est pas seulement un voyage dans le temps qui est offert, avec la salle Art déco du début du XXe siècle, mais bel et bien une aventure culinaire. Comme un haïku écrit avec fougue et passion. Une cuisine d’ici et d’ailleurs.

Laurent Jury est en réalité un Auvergnat de Paris redescendu au pays. « Je suis né à Paris, mes arrière grands-parents tenaient un bistrot rue d’Assas, dans le 5 . J’ai vraiment grandi entre la capitale et l’Auvergne, car notre famille a toujours conservé une petite ferme dans le Puy-deDôme, juste à côté de Sarpoil », explique-t-il. Sarpoil étant le lieu où se dresse encore l’auberge qui l’a propulsé au rang des chefs incontournables de la région. Et la cuisine ? « J’ai l’impression d’avoir été bercé dedans. Mes tantes, mes grands-parents, tous faisaient une cuisine paysanne, avec quelques accents bourgeois. Les tripes étaient cuites dans le four à pain le matin, avec les tartes, les gâteaux… Même s’il n’y avait pas de cuisinier dans la famille, on a toujours eu un lien particulier entre la terre et la ferme », raconte le chef, qui se souvient encore des promenades intéressées sur les chemins escarpés pour cueillir les myrtilles durant les jours d’été. Mais jusqu’à 22 ans, la majorité de son temps reste tournée sur Paris. Lycée hôtelier à Antony, en banlieue, formation de pâtissier à Meudon-la-Forêt ; c’est une victoire au Trophée Grand Marnier qui le propulse dans la brigade du Ritz, auprès de Guy Legay, chef étoilé auvergnat, passé par… La Belle Meunière. Le travail des produits, les sauces, la découverte d’une cuisine de palace, « toutes mes bases viennent de là. Mais la base dans le détail », lance-t-il.

Vingt ans à La Bergerie de Sarpoil

Après un passage chez Gaston Lenôtre, au Pré Catelan, c’est au Rêve d’Alsace que Laurent Jury va faire une rencontre déterminante pour son futur. « J’ai travaillé avec un chef japonais, Koji Kaeriyama.

Avec lui, j’ai découvert cette façon de travailler à la japonaise, cette rigueur ; c’était mon premier contact avec la cuisine asiatique ». Cette façon de travailler les poissons, la rapidité d’exécution, le sens du détail, rien n’échappe à l’observation de l’Auvergnat. « Et à cette époque-là, dans ce restaurant, on faisait toutes les sauces à la minute, c’était un travail de fou. Les Japonais sont de vrais orfèvres. De cette expérience hybride entre la choucroute alsacienne et la dextérité tout en finesse à la japonaise, Laurent Jury va construire les prémices de sa cuisine. J’ai pris les rênes d’un établissement vers Nation, où j’ai développé ma propre cuisine, entre classique et créativité. » Et finalement, le jeune homme décide de tenter l’aventure en Auvergne, à la Bergerie de Sarpoil, pour prendre la relève de Jean-Yves Bath, qui s’était installé à Clermont-Ferrand. « L’établissement avait fermé et, pour moi, c’était un symbole. En allant y manger, j’avais découvert que l’on pouvait faire de la grande cuisine avec le terroir. Et à l’époque, ce n’était pas banal », assure-t-il.

L’équation se met en place. Une cuisine contemporaine, mêlée d’effluves du terroir et de sensibilité asiatique. Il prend l’établissement en location-gérance pendant deux ans, « un vrai pied à l’étrier », résume-t-il, avec le recul. Il restera près de vingt ans dans cette maison symbolique, à deux pas de la ferme familiale. « C’était mon bébé, toute ma culture dans les contreforts du Livradois-Forez. On s’inspirait des plantes et des champignons dans la nature » , dit-il. D’ailleurs, depuis « presque trente-deux ans, on travaille toujours avec les mêmes cueilleurs », signale-t-il.

L’Asie en signature

N’ayant d’étoile, mais fier d’une note de 17/20 au guide Gault & Millau et de 3 toques, Laurent Jury décide de se remettre en question et de repartir à la conquête d’un nouveau projet. « On était archi-complet, à Sarpoil. On faisait parfois 80 couverts sur un service, c’était violent. Mais en plein hiver, on pouvait ne rien faire du tout », confie-t-il. C’est alors que l’opportunité de La Belle Meunière s’offre à lui : « Une affaire en perte de vitesse. Il fallait tout refaire. Je pensais l’affaire inaccessible et puis, finalement, ça s’est fait », sourit-il. Il rachète à Royat l’établissement historique pour 500.000€ (murs et fonds). Mais derrière, la belle endormie aura nécessité près de 2M€ d’investissements en quatorze ans. « C’est vraiment une histoire passionnelle », résume-t-il.

Une histoire qu’il coécrit aux côtés de sa femme Christine, qui officie en salle. Féru d’art contemporain, d’Art nouveau et d’architecture, Laurent Jury s’est lancé à fond dans la rénovation de la Belle Meunière, pour aujourd’hui proposer un établissement qui joue aussi bien la carte de la tradition avec cette salle Belle Époque de 1910 que celle de l’audace dans l’assiette, avec un mariage inattendu entre l’Auvergne et l’Asie, comme un cochon de lait laqué, des épices plus ou moins connues et du yuzu qui s’invitent dans les plats. « J’essaie toujours de raconter une histoire. J’emprunte au terroir, et j’ajoute une petite touche d’ailleurs, avec un fruit, une épice, ou même une technique étonnante », résume-t-il.

À l’image de son sushi d’omble, où le riz se voit remplacé par des lentilles aux pieds de cochon accompagné d’une soupe et où l’on retrouve des mousserons et des fleurs sauvages au goût bien affirmé, arrosé d’un bouillon au thé fumé. Laurent Jury donne à La Belle Meunière une touche exotique tout en conservant sa superbe et son charisme.

PARTAGER