Marie-Victorine Manoa : une Lyonnaise chez Ducasse

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Elle tire son inspiration des mères lyonnaises et voit dans la cuisine de la capitale des Gaules une formidable manière de réinventer le terroir, en étant consciente des enjeux écologiques et sanitaires d’aujourd’hui. Marie-Victorine Manoa, cheffe du bouchon Aux Lyonnais d’Alain Ducasse, redéfinit ainsi les codes du bistrot contemporain.

Marie-Victorine Manoa tire son inspiration des mères lyonnaises.
Marie-Victorine Manoa tire son inspiration des mères lyonnaises.

Selon ses propres mots, elle est« sauvage ». Assise dans son bouchon, elle n’hésite pourtant pas à répondre aux questions avec le sourire. Marie-Victorine parle de« monsieur Paul »avec la fierté et la nostalgie propres aux habitants du Rhône. Mais sa passion pour la cuisine lui a d’abord été transmise par son père, Jean-Louis Manoa, propriétaire du Mercière, bouchon situé dans la rue éponyme, dans la capitale des Gaules.

Elle s’y installe au retour d’une expérience en Scandinavie, après avoir obtenu au préalable son diplôme à l’institut Paul-Bocuse. C’est là qu’elle a pu laisser libre cours à sa créativité, en revisitant les plats du terroir lyonnais.« La cuisine lyonnaise peut aussi s’adapter aux goûts du jour,soutient la jeune cheffe.On peut vinaigrer, enlever de la crème, ajouter des légumes et des herbes, lui redonner un peu de fraîcheur tout simplement. »À la recherche d’un nouveau défi, elle pose ses valises à Paris, et à la suite d’une première expérience, elle est repérée par le chef Ducasse pour reprendre les cuisines de son bouchon.« Je pense qu’il cherchait quelqu’un de lyonnais,explique Marie-Victorine.Pour comprendre cet univers, il fallait venir de là-bas, la cuisine lyonnaise ne se limite pas à la quenelle. »

Ambassade lyonnaise à Paris

Certains détails ne trompent pas. Le cochon entier dessiné au mur, détaillant les différentes pièces proposées aux clients, l’atmosphère, bistrotière, tapageuse et rigolarde. On se croirait dans le vieux Lyon. Le bouchon est en plein 2e arrondissement de Paris, mais il est lyonnais de la devanture à sa cheffe, en passant par le blason de la capitale des Gaules. En arrivant, Marie-Victorine remonte les manches et se heurte à la difficulté que rencontrent beaucoup de jeunes chefs en s’installant : le management.« C’est toujours compliqué quand on arrive dans une nouvelle boîte, c’est un peu de la survie au début,sourit la cheffe lyonnaise.Le management, c’est le plus dur. C’est une des choses qui peut faire qu’on reste employé et qu’on n’ouvre pas son resto. Je savais que ça serait dur, je me suis pris des claques mais j’ai beaucoup appris. »

Partisane d’une culture du travail où« il faut se mettre en difficulté pour avancer »,Marie-Victorine Manoa a un avis tranché sur le rythme en restauration aujourd’hui.« C’est un métier militaire et quelque part ça doit l’être,parce que cela nécessite beaucoup de rigueur. Mais nous ne sommes pas différents de beaucoup de secteurs. En fait, on devrait un peu se détendre. Il faut désacraliser nos métiers, c’est hyper cool et fun comme métier. Il faudrait faire en sorte que ça le soit un peu plus. »La jeune cheffe alerte néanmoins sur la« surprotection »des jeunes générations.« C’est un métier difficile, et à force de vouloir tout aseptiser, le jour où des jeunes vont monter leur restaurant, ils vont mourir. La quête personnelle passe aussi par la souffrance. »

Il faut désacraliser nos métiers.

L’autre défi se passe derrière les fourneaux.« La cuisine de manière générale, c’est une évidence, est liée au terroir,explique-t-elle.Cuisiner, c’est bien, tout le monde sait le faire. Notre rôle, en tant que professionnels, c’est d’arrêter d’utiliser le plastique, d’arrêter de cuisiner de la merde, prendre des produits locaux au maximum. L’argent c’est bien, la gloire c’est bien. Je dis ça un peu par rapport à une tendance des années 2000 où on en avait plein les fouilles, où il y avait un côté star… Aujourd’hui on a évolué, notamment avec la réalité écologique. Et c’est tant mieux. »

Au restaurant, la cheffe s’attaque à la carte, qu’elle débroussaille. Outre le cochon entier proposé à la pièce, Marie-Victorine profite de la richesse du terroir culinaire lyonnais pour changer régulièrement de suggestions. Avec toujours cette idée fixe de végétaliser une cuisine parfois très riche. Le tablier de sapeur troque sa ravigote à base d’huile d’olive pour une vierge avec des câpres et des herbes. C’est le pied de veau qui vient apporter du collagène aux sauces, au lieu d’une réduction« de crème sans fin ». Du lait dans la purée au lieu de la crème… Toutefois, «il y a des indéboulonnables »,tempère Marie-Victorine. Le gratin dauphinois, par exemple, reste ce gâteau de pommes de terre à la crème. Les grenouilles, plat emblématique des bords de Saône, restent une« friture ».« On ne peut pas faire n’importe quoi », tout simplement.

Vivant son expérience« à fond »et au jour le jour, il ne faut pas aborder le futur avec Marie-Victorine. Tout juste reconnue par la profession à travers le prix Pudlo des bistrots qu’elle a reçu en mai 2022, la cheffe se voit rester travailler chez Ducasse.« Je m’empêche d’être trop dans la perspective. Est-ce que je cuisinerai toujours ? Oui. Tout est ouvert, s’il faut rentrer à Lyon, je le ferai, mais en attendant je suis bien ici. »

www.auxlyonnais.com

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