Petit déjeuner : booster son offre matinale

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En hôtellerie comme en restauration, le petit déjeuner laisse entrevoir de belles opportunités de développement. L’évolution des modes de consommation décloisonne totalement ce moment de la journée, aussi bien en termes de créneaux horaires que d’offres. Une carte à jouer sur le repas le plus accessible de la journée et qui tend à monter en gamme.

Petit-déjeuner
Petit-déjeuner Crédit : Ali-inay via Unsplash

Le petit déjeuner a de nouveau le vent en poupe. Après avoir pâti d’un sérieux désintérêt au début de la décennie 2010, ce moment de consommation concerne désormais 94 % des Français, en hausse de trois points. La raison tient essentiellement à l’évolution récente et fulgurante des modes de consommation. Le télétravail, mais aussi le développement d’une offre plus nomade sur ce créneau, motivent de plus en plus la prise en dehors du domicile. Une étude menée en 2019 par Lavazza avec l’institut Ifop indique que 17 % des actifs ont désormais pour habitude de prendre le premier repas de la journée sur le chemin du travail, voire en y arrivant.

Cette tendance est surreprésentée chez les jeunes, puisque cela concerne pour un quart d’entre eux. « On constate en effet qu’il y a un déplacement des lieux du petit déjeuner en hors domicile au profit des boulangeries et des coffee-shops, note Nicolas Nouchi, responsable des études chez CHD Expert. Les consommateurs trouvent de plus en plus d’intérêt à ce moment, mais plutôt à emporter. » Le nomadisme gagne ainsi tous les moments de consommation, y compris celui du matin. Il y aurait donc un enjeu à adapter les offres de petit déjeuner dans une version à emporter pour ne pas perdre la main. « La boulangerie a su saisir cette opportunité pour tenir le coup, de même avec le snacking, souligne Sonia Le Rest, directrice marketing du pôle Bakery chez Vandemoortele France. La vente à emporter est clairement une tendance de fond sur le petit déjeuner aussi. La restauration traditionnelle a sans doute aussi quelque chose à jouer, même si on n’a pas encore vu de modèle émerger. »

Jeux olympiques, brunchs et menus hybrides

Une évolution qui tient lieu de révolution s’agissant de la consommation hors domicile du repas du matin. Il n’y a pas si longtemps, les cafés et brasseries tenaient un presque monopole sur ce type de prestations. « Il y a 30 ans, le CHR traditionnel était le lieu unique du petit déjeuner hors du domicile, poursuit Nicolas Nouchi. J’ai l’impression qu’ils abandonnent un peu ce créneau pour se concentrer sur d’autres moments de consommation, notamment l’happy hour en fin de journée. On n’est pas du tout dans une dynamique de renouvellement, de conquête du client et de recherche de variété sur le créneau du matin. Sauf pour les établissements qui se sont créés dans cet esprit-là, autour d’une offre petit déjeuner travaillée dans ce sens », poursuit-il. C’est le cas au Princesse Café, ouvert début 2023 près du Canal Saint-Martin à Paris (10e). La carte hybride fait se côtoyer grands classiques du brunch, street-food et assiettes plus bistronomiques, le tout sur un horaire continu tout au long de la journée. Même scénario chez Gramme Paris, installé dans les 3e et 11e arrondissements, où les sandwichs et cafés sont servis de concert dès 9 heures du matin. Entre la cantine et le coffee-shop, ces établissements rompent avec les codes classiques des cafés, brasseries ou restaurants. Ils sont un peu tout à la fois. « C’est une opportunité d’attirer de nouveaux clients, estime Stéphanie Martinez, responsable communication chez Tables & Auberges, initiateur du Concours national du meilleur petit déjeuner et de la journée nationale du petit déjeuner instaurée chaque 9 juin. Le brunch ouvre plus de possibilités. C’est un repas à part entière, plus tourné vers le plaisir que le déjeuner et le dîner. Depuis le Covid, les gens ont changé leurs habitudes et se sont ouverts à d’autres produits, notamment les tartines, les œufs, manger plus salé que sucré. C’est une occasion de mieux équilibrer leur repas. » Cet élargissement des horaires pourrait également profiter au salé, encore à la peine en France avant 11 heures, comme le confirme l’étude Lavazza-Ifop de 2019. Seuls 15 % des répondants opteraient pour des œufs, de la charcuterie ou du fromage. Le fabricant d’ovoproduits Ovoteam a ainsi choisi de proposer une orientation différente à son offre, notamment les œufs brouillés, en les proposant en version sucrée. « On essaie d’ouvrir l’utilisation de l’œuf brouillé avec des recettes et suggestions, par exemple en version sucrée, servie avec des fruits rouges, explique Gwenaëlle Le Garrec, directrice marketing d’Ovoteam. En restauration commerciale et fast casual, la demande est grandissante sur des recettes plus originales. L’œuf est par ailleurs une source de protéines intéressante pour les offres veggies. » Le brunch n’aurait donc pas encore révélé son plein potentiel, au contraire. « Là où la restauration à table a su jouer le petit déjeuner, c’est à travers le brunch, poursuit Sonia Le Rest. Et je pense qu’ils n’ont pas encore fait le plein. On voit que l’intérêt ne faiblit pas. Il y a une tendance forte sur la cuisine italienne et les spécialités américaines qui transparaît beaucoup dans les brunchs. Mais c’est une américanisation à la française, en conservant toujours les codes chers aux consommateurs. Ceux qui ne le proposent pas encore ont clairement intérêt à s’y mettre. » D’autant plus dans un contexte particulièrement favorable aux retombées économiques, à savoir la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques dans quelques mois.

« Pour préparer les Jeux olympiques, ce n’est pas dans un an qu’il faudra s’y mettre, prévient Sonia Le Rest. C’est l’occasion de maximiser le chiffre d’affaires sur ces quelques semaines. Les petits déjeuners seront un élément très important. Et il ne faudra pas négliger les offres nomades, peut-être sous forme de packages à emporter, notamment en hôtellerie. Les commentaires clients sur le sujet seront déterminants en amont pour favoriser les réservations. » À Toulouse, l’Hôtel Albert 1er a largement anticipé sur ce point : « Nous avons adapté notre offre à emporter pour pouvoir contenter nos clients les plus pressés, explique Emmanuel Hilaire, cogérant. Pour la clientèle loisirs, comme nous mettons des vélos à disposition, nous avons ajouté des sacoches isothermes pour proposer une offre de petit déjeuner en format pique-nique aux beaux jours. »

Le café filtre se bonifie

Le petit déjeuner ne se conforme ainsi plus réellement à des horaires convenus. Concernant le café aussi, les habitudes évoluent. « En général, on segmente le 6 h-10 h, mais de plus en plus, le créneau 8 h-10 h se détache, observe Laurent Baron, expert formateur à l’Académie du café Cafés Richard. Ce qui est intéressant à développer sur ce créneau, ce sont les méthodes anglo-saxonnes à l’heure, comme le proposent beaucoup de coffee-shops : le client achète l’offre café à volonté, en Chemex ou en café filtre. On se doit de proposer une offre au-delà de l’expresso. » Le spécialiste croit beaucoup en l’avenir du café filtre en matinée, dont la qualité s’est nettement améliorée avec l’émergence des techniques de filtration douce. « On nous le demande de plus en plus en formation. La matinée, c’est le moment idéal pour valoriser des cafés plus aromatiques que puissants. » Le café de spécialité trouve sa place dans un moment où le client est réceptif à la qualité de sa boisson chaude. Chaque établissement peut même s’approprier le rituel de service pour imaginer une expérience plus ou moins poussée : d’un simple service en cafetière isotherme, on peut passer à la cafetière à piston ou encore au porte filtre individuel, posé à table. « Il ne faut pas oublier que le café, c’est un lien social accessible à tous », note Laurent Baron.

Un luxe accessible

Le petit déjeuner est le premier repas de la journée, il est aussi le plus abordable. Le levier de valorisation est donc particulièrement important et le marché l’a bien compris. À Toulouse, Emmanuel Hilaire, par ailleurs lauréat de la dernière édition du Concours du meilleur petit déjeuner et brunch de France, organisé par Tables & Auberges, est convaincu d’une chose : « Le petit déjeuner est le dernier souvenir qu’on laisse au client. C’est une manière de faire passer très fortement les valeurs que porte l’établissement, mais c’est aussi un axe de fidélisation. Grâce au petit déjeuner, on peut retenir l’attention de nos clients. » Les exigences des consommateurs sont en effet devenues très pointues et se focalisent principalement sur la qualité du triptyque : viennoiseries, café, jus de fruit. « Il n’est pas plus important que le confort de la chambre, mais c’est un critère, confirme la directrice marketing de Vandemoortele. On voit dans les commentaires que les consommateurs parlent du petit déjeuner, et notamment de ces produits-là. Il faut investir là-dessus, renforcer l’idée de profusion attendue sur le buffet. » Sous sa marque Banquet d’Or, l’entreprise a ainsi déployé une gamme plus vaste de mini-viennoiseries, incluant les grands classiques mais aussi des spécialités aux noix de pécans, des torsades ou encore des croissants fourrés. À l’instar de la pâtisserie, la viennoiserie profite de la médiatisation apportée par des chefs de renom, qui en ont fait leur signature. Ce qui a contribué à doper sa popularité au cours des trois dernières années, faisant passer ces produits d’une image « franchouillarde » aux sommets de la tendance. Les viennoiseries sont les stars du petit déjeuner mais aussi du snacking sucré en général où elles figurent en première place 2. Elles sont prisées par 70 % des consommateurs 3. La premiumisation des offres de petits déjeuners va également dans le sens d’une recherche d’expérience chez les consommateurs. « Ces produits offrent un luxe accessible, même sur du très haut de gamme », note Valentin Gendry, chef de produit viennoiserie chez Bridor. Le fabricant a ainsi lancé en janvier dernier, sous sa marque Éclat du terroir, une gamme de viennoiseries prêtes à pousser aux formes plus tendances, Arty. « On voit une nouvelle forme de viennoiseries s’installer dans les boulangeries, plus en volumes. C’est un nouveau standard, c’est d’ailleurs la forme qui est enseignée aujourd’hui dans les écoles de boulangerie. C’est un produit d’image aussi, qui fait le tour des réseaux sociaux. », ajoute-t-il. Pour qu’ils soient aussi beaux que bons, les produits montrent patte blanche au niveau de la composition, avec des ingrédients bien sourcés, comme c’était déjà le cas de la gamme de mini-viennoiseries développée avec le pâtissier Pierre Hermé à destination de l’hôtellerie. « C’est un marché qui demande de la nouveauté, le consommateur attend d’être surpris, notamment sur les buffets en hôtellerie, poursuit le chef de produit. Il faut miser sur de l’inédit comme les brioches feuilletées, ou personnaliser comme avec des new york rolls. Les produits du monde arrivent aussi, comme les pasteis de nata, de plus en plus présents au petit déjeuner. » Le consommateur est prêt à se laisser surprendre, il faut donc saisir la balle au bond.

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