CHR d’ailleurs : Portugal contre vent et marée

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La cheffe française Louise Bourrat, gagnante de l’émission Top Chef 2022, a pris ses quartiers à Lisbonne. Malgré la crise sanitaire et des difficultés de gestion, le restaurant affiche complet à chaque service.

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Le restaurant Boubou's à Lisbonne attire une clientèle majoritairement française. Crédit : DR.

Dans le quartier branché de Principe Real à Lisbonne, le restaurant gastronomique Boubou’s est installé depuis plus de cinq ans. La cheffe Louise Bourrat et sa brigade féminine proposent une cuisine d’auteure moderne, basée sur le produit. Dans une décoration aussi végétale que ses plats, elle présente un menu 100 % végétarien et un autre omnivore à une clientèle majoritairement française, mais qui commence à s’internationaliser. Être encore là et avoir une salle pleine chaque soir semblaient pourtant presque inespéré.

En effet, ce restaurant familial ouvert en 2018 a failli succomber à la crise de Covid-19. Il a finalement réussi à s’en sortir grâce à la vente à emporter par la fenêtre et à… l’émission Top Chef sur M6. Comme un instinct de survie, la cheffe s’est inscrite à l’émission. « On était à deux doigts de tout perdre, je me suis dit que soit ça allait sauver le restaurant, soit me permettre d’avoir d’autres opportunités », confie-t-elle. Si elle n’a pas été sélectionnée en 2021, la production l’a rappelée l’année d’après. Alors qu’elle s’apprêtait à refuser, c’est la visite inopinée de Michel Sarran dans son restaurant qui l’a convaincue. Son treize qu’elle a tatoué sur sa main, un clin d’œil à la 13e saison à laquelle elle a participé, témoigne de son importance.

Vagabonde et touche-à-tout

À 29 ans, Louise Bourrat sait tout faire. En plus de la cuisine, elle s’est formée au tatouage, mais aussi à l’enseignement du yoga. Également musicienne, elle veut avoir plusieurs cordes à son arc pour rester libre et avoir le choix si la cuisine n’était plus une option. D’une mère portugaise et d’un père français, elle grandit à Lyon où elle découvre la gastronomie. Elle suit un cursus à l’école hôtelière Savoie Léman, puis fait ses armes chez Ducasse et dans des restaurants étoilés. Mais elle préfère découvrir le monde et notamment l’Amérique latine que suivre un parcours classique.

Lors du Brexit, son frère quitte Londres pour Lisbonne, et ouvre Boubou’s avec sa compagne. À ce moment-là, Louise Bourrat vient prêter main-forte à sa famille. Un an après, alors que l’établissement est ouvert 7 j/7, elle fait un burn-out et part finalement en Inde se former au yoga. « Je voulais presque arrêter la cuisine, mais avec le Covid, il fallait se serrer les coudes », avoue-t-elle au sous-sol en pierres de son restaurant, faisant office de cave à vin et de bureau. Fleur de sel posée sur le coin de celui-ci, elle raconte avoir finalement renoncé au voyage pour prendre la gérance du restaurant. « On a évolué vers une proposition gastronomique en ouvrant cinq jours par semaine pour le service du soir. » Un pari risqué, mais qui a payé. Dans cette destination devenue très touristique, la clientèle au départ française est devenue internationale, surtout depuis l’apparition de Boubou’s dans le Guide Michelin.

L’émission Top Chef a elle aussi fait exploser le nombre de réservations. « Dès les cinq minutes du premier épisode, le téléphone n’a pas arrêté de sonner, on a reçu plus de 50 mails et le site de réservations a crashé, raconte-t-elle encore étonnée. On n’était pas préparé à ça, on avait une liste d’attente de trois mois. » Si Top Chef n’a pas changé sa vision de la cuisine, l’émission lui a permis de prendre confiance en elle et de se sentir légitime. Par la suite, cela a également attiré des talents dans son établissement, lui permettant de recruter plus facilement. Ce qui compose aujourd’hui son équipe majoritairement francophone et principalement féminine. « Ce n’est ni un hasard ni une volonté, simplement plus de filles postulent et elles restent plus longtemps, ça se fait naturellement et ça me va très bien », assure-t-elle, alors qu’elle a souffert du sexisme omniprésent dans le monde de la restauration.

Son équipe est composée de 20 personnes pour 35 couverts. « Au niveau où nous voulons opérer, il faut pouvoir être serein, souligne-t-elle. On a un personnel de talent qu’on paye très bien, ce qui permet de garder une équipe fidèle. » Louise Bourrat fait partie de la génération qui veut réformer la restauration : « Certains pensent qu’on est venu ici pour le bas coût de la main-d’œuvre, c’est faux, on rémunère nos employés bien au-dessus de la moyenne et on paie des charges sociales importantes. Notre industrie est difficilement remplaçable, il y a peu de chance qu’elle meurt mais pour cela il faut la respecter et valoriser ces métiers pour s’inscrire dans la durabilité. »

S’installer à l’étranger 

Si la vie de cheffe expatriée peut parfois faire rêver, il faut aussi penser aux complications, légales, administratives ou encore culturelles d’un autre pays. Quand on y a un pied, comme Louise Bourrat, c’est déjà plus simple. En effet, avec la moitié de sa famille portugaise, la cheffe a pu demander la double nationalité et ainsi faciliter les démarches administratives. Mais pour ses salariés venus d’ailleurs, l’entreprise familiale doit faire appel à un avocat. « L’administration en France est déjà très longue, ici c’est encore pire, lance la cheffe. Obtenir la sécurité sociale est super compliqué, on essaye d’aider notre staff au mieux. » En outre, au Portugal, l’industrie de la restauration est différente, les attentes aussi. « Les Portugais sont plutôt chauvins et peut-être moins ouverts à la diversité culinaire qu’en France », note Louise Bourrat. Avec un ticket moyen de 120 € par personne, Boubou’s n’est fréquenté que par une infime partie des Lisboètes. « Ce n’est pas un pays riche, dépenser 50 € au restaurant est impensable pour beaucoup. À Londres, notre resto était complet très vite, ici ça a été plus long », commente-t-elle.

Pour se différencier, elle a choisi de ne pas proposer de cuisine portugaise et a d’ailleurs rapidement supprimé le poulpe de sa carte initiale : « La cuisine portugaise est parfaite comme elle est, des centaines de restos le font déjà très bien, ce serait de l’esbroufe de la moderniser, je fais ma propre cuisine. » En outre, puisqu’elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, en amoureuse du Portugal et de ses traditions, la cheffe aimerait ouvrir une tasca avec une carte fusion franco-portugaise. La tasca est au Portugal ce que le bistro du coin est à la France, une cuisine généreuse à prix doux, servie dans une bonne ambiance. « Je préfère les restaurants de copains que les Michelin, ce sont les endroits où j’aime sortir », glisse-t-elle.

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