L’abonnement, la nouvelle arme concurrentielle

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Pour fidéliser, mais aussi séduire une nouvelle clientèle, de plus en plus de restaurateurs songent à mettre en place des abonnements. Del Arte a spectaculairement franchi le pas avec une offre qui met le plat à 1 € alors que le Lyonnais Uni réinvente l’idée de club à l’heure du numérique.

Illustration restaurant
L'un des restaurants Uni à Lyon. Crédits : DR.

En cette période incertaine, beaucoup de restaurateurs aimeraient se constituer un socle inébranlable de clientèle afin de traverser sans encombre la crise économique. La fidélisation des convives fait aujourd’hui partie des objectifs prioritaires des indépendants et des enseignes. Aussi, avant de songer à brader ses menus pour attirer, de manière très aléatoire, de nouveaux hôtes, il est préférable d’encourager sa clientèle à revenir dans l’établissement. D’une part, l’abonnement sécurise les habitués en leur donnant de bonnes raisons de ne pas aller voir ailleurs. D’autre part, il propose de réaliser une économie susceptible de séduire de nouveaux consommateurs. Il faut cependant utiliser cette arme avec discernement en créant une offre claire et alléchante, tout en veillant à conserver une rentabilité. Dans la restauration, force est de constater que cet outil commercial a jusqu’à présent été peu exploité.

Ces dernières années, les acteurs du métier se sont davantage concentrés sur des pratiques de yield management avec des outils comme TheFork. Elles leur permettaient de remplir leurs salles aux heures creuses. Mais en cette sortie de crise sanitaire, les restaurateurs commencent à lorgner les abonnements. L’un des premiers à avoir franchi le pas est un indépendant lyonnais, le groupe Uni & brasseries, fondé par Bruno Callus et les frères Baptiste et Benoît Lauby. Les trois hommes détiennent neuf adresses à Lyon dont les deux restaurants Uni, l’un rue Mercière (Lyon 2e) et l’autre à Décines, près du Groupama Stadium. Créés il y a près de 18 mois, les deux établissements ont d’emblée joué la carte de l’abonnement qui constitue la clé de voûte de ce concept fortement digitalisé.

Unilovers, l’effet groupe

Ainsi, moyennant 5,90 € mensuels, il est possible d’intégrer la communauté des « Unilovers » et de bénéficier en permanence d’une réduction de 40 % sur les prix des plats, ainsi que sur les boissons froides et chaudes. La carte est renouvelée chaque semaine et présente sept plats de type pizzas, burgers, viandes, poissons ou salades. Cette réduction revient à décliner les prestations au prime cost TTC de chaque plat (coût matière + frais de personnel). « Le plat le plus cher est facturé 16,90€ aux clients et 10,90€ aux abonnés. Pour 21,70€, un abonné peut consommer une entrée, un plat, un dessert et une boisson. Le prix de notre burrata est moins cher pour les abonnés que s’ils devaient acheter les ingrédients dans un hypermarché Auchan pour la réaliser ensuite eux-mêmes », insiste Aurélien Depoortere, directeur des deux restaurants Uni.

En juin dernier, ses deux restaurants comptaient déjà 1.000 abonnés. Aujourd’hui, la communauté vient de franchir la barre des 1.400. « Nous avons beaucoup d’étudiants dans notre communauté qui ne renouvellent pas forcément, nuance Aurélien Depoortere. Depuis le départ, nous avons recruté 2.200 abonnés. » C’est dire le niveau d’attractivité de cette proposition commerciale. Ce projet a germé entre les deux périodes de confinement. D’abord, les créateurs du groupe ont compris que les clients étaient plus enclins à fréquenter des lieux où ils ont leur repère, d’où l’idée d’un abonnement calqué sur une carte de membre de club. Ensuite, il s’agissait de trouver un moyen de remplir régulièrement ces deux restaurants lyonnais de grande capacité (170 et 180 places assises).

Enfin, cet outil commercial est lié à une application spécifique, également utilisable par les non-abonnés, où le consommateur effectue des commandes directes et des paiements digitalisés. Elle a été téléchargée 50.000 fois depuis sa création. Ce dispositif qui vient alléger considérablement le service. En outre, l’onglet de la communauté d’abonnés permet de garder le contact avec ces derniers en leur adressant des messages autour des animations qui viennent ponctuer la vie des établissements, notamment en période creuse. L’appli permet aussi d’établir un dialogue avec les clients afin de faire évoluer l’offre.

Les entreprises intéressées

Entre le mois de juin et aujourd’hui, le ticket moyen d’Uni est passé de 17,90€ à 21,70€. L’enseigne qui pratique des prix très serrés doit répercuter l’inflation. Il faut également noter que les entreprises implantées dans l’environnement des établissements se sont appropriées le dispositif. « Nous avons mis en place des partenariats. Certaines d’entre elles ont fait prendre en charge le prix de l’abonnement des salariés par les CE. Cela nous amène en fin d’année l’organisation de nombreuses fêtes de fin d’année », détaille Aurélien Depoortere.

Ce directeur est satisfait de voir son nombre d’abonnés progresser. Ces derniers assurent aujourd’hui 20% à 25% de la fréquentation de l’établissement. Même s’il reconnaît que cette clientèle n’est pas très rentable, elle forme un socle durant les heures difficiles : « Les abonnés ne constitueront jamais la majorité de la clientèle, assure le directeur. Rue Mercière, les trois quarts de la fréquentation sont touristiques. Ces clients ne prendront jamais un abonnement. » Mais ce sont eux qui contribuent à supporter les frais fixes des restaurants.

La pizza ou la pâte à 1€/jour

Au mois d’octobre, la chaîne Del Arte a défrayé la chronique en lançant un abonnement avec un argument massue. Moyennant une cotisation mensuelle de 34,90€, il est possible de s’attabler dans un restaurant de l’enseigne et d’y consommer gratuitement un plat chaque jour parmi une sélection de plats de la carte (cinq pizzas et deux pâtes). Cette offre est pour l’instant destinée à 13 des 209 restaurants de l’enseigne du groupe Le Duff. Les unités sélectionnées pour le test peinent à revenir à leur niveau d’activité de 2019. Leurs implantations sont diverses. Certaines sont en zone commerciale périphérique comme Barentin (Seine-Maritime). Mais selon Philippe Jean, directeur général de Del Arte, la majorité d’entre elles se situe en centre-ville où l’impact du télétravail se ressent le plus : « Aujourd’hui, selon une étude, 7% des salariés ne sont plus présents sur leur lieu de travail à un instant T en raison de ce phénomène.

C’est aussi en ville que l’on recrute le plus. À Boulogne-Billancourt, nous enregistrons le record de 66 abonnés. » Un mois et demi après le lancement de l’offre, Del Arte affiche 400 abonnés. Ce chiffre devrait rapidement grossir car 15 franchisés projettent d’intégrer à leur tour l’aventure en début d’année (jusqu’alors, seules des succursales sont engagées). Présent dans le groupe Le Duff depuis 2013, Philippe Jean a dirigé durant quatre ans des activités aux États-Unis avant de se voir confier les rênes de Del Arte en juin 2021. Il a remodelé le concept (voir encadré) et mis au point cet abonnement pour dynamiser les maillons faibles de son réseau. « Nous avions deux objectifs, détaille-t-il. Conquérir la clientèle du travail en semaine et celle des familles le week-end. Avec le Covid, nous avons été fermés 11 mois et la clientèle a perdu ses repères. Nous avons surtout un problème avec les 22-30 ans qui de plus en plus ont perdu l’habitude de déjeuner ou de dîner à table.

Aujourd’hui, seulement 30% des jeunes s’asseyent à heure fixe pour prendre un repas. Nous nous sommes aperçus aussi que les jeunes identifient très mal nos restaurants. Ils n’ont pas idée de la richesse de notre carte. Mais quand on leur montre, ils sont vite conquis. » Bernard Boutboul, président du Gira conseil, un bureau d’études spécialisé dans le secteur, se montre plutôt sceptique sur l’abonnement mis en place par Del Arte : « Cela n’a pas de sens dans le secteur de la restauration à table. Au final, l’abonné va se retrouver régulièrement à table avec des pâtes, une carafe d’eau et il ne sera pas satisfait. En face, la chaîne va perdre de l’argent. Rendez-vous compte, ça met la pâte ou la pizza à 1€. Il est étonnant que Del Arte ne soit pas ainsi parvenu à recruter un million d’abonnés… En réalité, la formule ne séduit pas. Cela dit, j’applaudis l’enseigne qui a créé le buzz. Durant une semaine on a parlé de Del Arte dans toute la presse. En réalité, c’est un coup de com. »

Guère impressionné par les propos de Bernard Boutboul, Philippe Jean rappelle que, selon les premiers résultats, les abonnés emploient en moyenne leur carte 2,5 fois par semaine ; ce qui n’est pas de nature à déstabiliser l’enseigne. « C’est un peu ce qui se passe au cinéma, rappelle-t-il. Quand on prend un abonnement on ne l’utilise pas tous les soirs… Le spectateur estime qu’à partir de quatre films vus par mois, il est gagnant et il s’en contente généralement. » Le patron de Del Arte insiste en revanche sur l’effet d’entraînement de l’abonnement (40% viennent accompagnés d’un non-abonné) et sur toutes les consommations parallèles qu’il génère ; 40% des abonnés consomment autre chose qu’un plat. Si Bernard Boutboul se montre critique à l’égard de l’abonnement Del Arte, il est plus confiant dans l’initiative de Prêt à manger qui vient de présenter l’Abonnement café.

L’enseigne propose dans ses succursales françaises (hors franchisés) cinq boissons gratuites par jour, moyennant un abonnement mensuel de 25€/mois. « Dans la restauration rapide, l’abonnement a du sens car c’est un lieu où l’on pénètre par la boisson alors que l’on vient vers la restauration à table pour les solides, indique le président du Gira conseil. Aussi, quand Prêt à manger propose pour 25€ mensuels, cinq boissons quotidiennes, c’est une initiative intéressante. » D’abord, il considère que très peu d’abonnés iront jusqu’à consommer cinq boissons tous les jours. Ensuite, il prend le pari que de nombreuses commandes de boissons seront accompagnées de commandes de solides qui, elles, seront payantes.

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