Baux commerciaux : quels pièges à éviter ?
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La rédaction d’un bail commercial est l’une des clés de voûte de la réussite ou non d’une activité commerciale. En effet, il est nécessaire de bien appréhender toutes les obligations légales afin d’éviter tout désagrément par la suite. Défrichement avec Philippe Offner et Stéphane Glock, notaires au sein du réseau Notel, un GIE partenaire de l’Umih.
Gouverner, c’est prévoir. Il en va de même pour la constitution d’un bail commercial. Mal rédigé, il peut amener à terme des litiges. « Les professionnels, notamment de l’hôtellerie et de la restauration, sont régulièrement confrontés aux questions découlant du bail commercial qui les lie avec leur propriétaire ou leur locataire », remarquent de concert, Philippe Offner et Stéphane Glock. Deux notaires spécialisés dans l’hôtellerie-restauration au sein du réseau Notel, sur le stand de l’Umih lors du dernier salon Equip’Hôtel.
Et les obstacles sont nombreux
La rédaction du bail, la fixation du loyer, la cession du bail sont très encadrées. En revanche, le principal danger pour le bailleur concerne les travaux à effectuer. « Le tout est de trouver le bon locataire. De bien préparer l’amont du bail. Et éviter ainsi autant que faire se peut de mauvaises surprises, poursuit Stéphane Glock. L’état des lieux est obligatoire. Si celui-ci n‘est pas réalisé, le droit dit que le locataire part avec des locaux en bon état.»
Pourquoi une période de neuf ans pour les baux commerciaux alors que dans le même temps les prêts professionnels sont de sept ans ?
Le locataire doit également se méfier. Non seulement quand des travaux s’avèrent indispensables (qui doit les réaliser ?), mais surtout lors de la fixation du loyer. Tout particulièrement, après un bail de 9 ans. La raison ? Le montant du loyer est alors de déplafonner.
Une réglementation trop complexe ?
Demeure une question. La réglementation sur les baux commerciaux est-elle encore bien adaptée au marché actuel ? Voire n’est-elle pas devenue au fil des années trop complexe, trop rigide… ? « En effet, on peut s’interroger sur son intérêt, remarque Stéphane Glock. D’un côté, des contraintes fortes existent pour les deux parties. De l’autre, elle ne correspond plus forcément aux évolutions. » Et de s’interroger : « Pourquoi une période de neuf ans pour les baux commerciaux ? Alors que dans le même temps, les prêts professionnels sont de sept ans ? »
Quoi qu’il en soit, même si la loi Pinel a permis de bien encadrer la constitution d’un bail, il demeure d’importantes marges de manœuvre pour les deux parties au contrat.
« Elles constitueront pour le preneur et le bailleur à la fois des points de vigilance et des leviers de négociation, conclut Philippe Offner. L’appui d’un juriste spécialisé aura toute son importance.» L’anticipation est l’une des clés de la réussite de demain.
Quatre étapes : les règles à retenir
1 La formation du bail
La durée minimum légale est de 9 ans et la résiliation triennale. Cette durée garantie au locataire de valoriser le fonds de commerce, dont le droit au bail est une composante essentielle. Le bailleur pourra demander la résiliation du bail de manière anticipée que dans de rares cas. A savoir, à tout moment pour faute du locataire. Ou tous les trois ans notamment en cas reconstruction, restauration ou surélévation, par exemple d’un hôtel.
Le locataire, lui, n’a pas l’obligation de rester 9 ans dans le local. Il a la faculté de donner congé tous les 3 ans (congé triennal). C’est le fameux bail 3-6-9. Il peut aussi donner congé dans des cas particuliers (retraite, invalidité).
Exceptions
Il est possible aussi de créer un bail dérogatoire de courte durée de 3 ans (2 ans avant la loi Pinel).
Cette solution permet au preneurde s’assurer de la qualité de l’emplacement du fonds pour son activité avant une implantation plus pérenne. Et pour le bailleur de vérifier la viabilité de l’activité du preneur et sa solvabilité. Attention au risque de transformation automatique du bail de courte durée en bail commercial statutaire, et cela en l’absence d’un acte positif clair et non équivoque à l’approche de son terme.
Le souci du législateur est de conférer au locataire une visibilité et une stabilité financière dans le cadre du bail commercial.
Inversement, il est également possible d’élaborer un bail d’une durée supérieure à 9 ans. Une telle option avantage le bailleur. Il pourra ainsi échapper aux règles de plafonnement prévu pour le loyer renouvelé. Le loyer est alors indexé en fonction de la valeur locative. Et non en fonction de la variation de l’indice applicable.
Autre intérêt : possibilité de déroger à l’interdiction de principe d’une durée ferme de plus de 3 ans instaurée par la loi Pinel.
Cette restriction a pour inconvénient d’inciter les bailleurs participant aux travaux d’aménagement du local et demandant en contrepartie au preneur un engagement ferme, de souhaiter des baux d’une durée supérieure à 9 ans.
Le locataire aura en principe plutôt intérêt à le refuser. Sauf à veiller à aménager conventionnellement ses conséquences, principalement au titre de l’encadrement de l’évolution du loyer.
Reste le cas des baux de plus de 12 ans qui, de surcroît, induisent un enregistrement au service de la publicité foncière ou au livre foncier, ainsi que le règlement d’une taxe de publicité foncière.
La loi Pinel du 18 juin 2014
Le souci du législateur est de conférer au locataire une visibilité et une stabilité financière. Dès lors, la loi Pinel abandonne la possibilité des parties de définir librement les charges récupérables du bail ou de ne pas les définir.
La loi Pinel met fin au loyer dit « triple net » largement défavorable au preneur et réglemente le domaine des charges locatives.
Dépenses relatives
Elle met fin au loyer dit «triple net» largement défavorable au preneur et réglemente le domaine des charges locatives.
D’une part, en définissant les charges, impôts et taxes. Elles ne peuvent pas être répercutées sur le preneur (Article R. 145-35 C.com) en raison de leur nature, par exemple les dépenses relatives aux grosses réparations, les travaux des gros murs mentionnées à l’article 606 C. civ, tout en évoquant celles qui peuvent l’être, par exemple la taxe foncière, des impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement.
D’autre part, en prévoyant l’obligation d’inclure dans le bail ou d’y annexer un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés au bail (article L. 145-40-2 C.com).
Pour les immeubles comportant plusieurs locataires, le contrat de bail doit préciser la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires.
Les sanctions. Faute d’indication de cette répartition, le bailleur ne pourra exiger le remboursement des charges. Toute clause faisant indûment peser sur le preneur des charges, dont le redevable légal est le bailleur, est réputée non écrite.
Hôtellerie : répartition des travaux entre le bailleur et le locataire
Le bailleur ne peut pas s’opposer, même en cas de stipulation contraire, à l’exécution des travaux d’équipement et d’amélioration que le locataire réalise à ses frais et sous sa responsabilité pour des équipements inexistants (système de climatisation, ascenseur, piscine) et des travaux d’aménagement (cuisines).
Sans accord du propriétaire, les travaux affectant le gros-œuvre de l’immeuble ne peuvent pas être entrepris. Et cela qu’après un avis favorable de commissions départementales. Lesquelles sont représentés en nombre égal les hôteliers et les propriétaires d’immeubles.
Les règles à suivre. Le locataire doit avant de procéder aux gros travaux notifier son intention à son propriétaire par lettre recommandée avec une demande d’avis de réception. Un plan d’exécution, un devis descriptif et estimatif des travaux projetés doivent être joints à cette notification.
Le bailleur dispose alors d’un délai de 2 mois pour informer dans la même forme le locataire de son acceptation ou de son refus. Le défaut de réponse vaut accord. En cas de refus du bailleur, il sera important de ne pas procéder aux travaux, de saisir les commissions départementales, par lettre avec accusé de réception, et d’attendre son avis favorable.
Si le locataire ne respecte pas ce formalisme, il risquele retour au droit commun du calcul du loyer. Donc un retour à l’application de la valeur locative, par déplafonnement du loyer tenant compte des améliorations effectuées.
2 La vie du bail et l’évolution du loyer
La révision triennale est également appelée révision légale. Elle peut être demandée par le bailleur mais aussi par le locataire. Et cela à la fin de chaque période triennale (article L 145- 33 du code de commerce). Cinq critères objectifs sont nécessairespour fonder cette révision. A savoir: les caractéristiques du local loué, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix pratiqués dans le voisinage.
La révision triennale doit cependant tenir compte du plafonnement du loyer. Sa majoration ou sa diminution ne peut pas excéder la variation de l’indice ILC (indice des loyers commerciaux) ou ILAT (indice des loyers des activités tertiaires) intervenu depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. La loi du 16 août 2022 pour la protection du pouvoir d’achat avait plafonné, la variation à 3,5% sur un an pour les PME. Prolongé jusqu’au 31 mars 2024, ce plafonnement n’existe plus.
Toutefois, il existe des exceptions à la règle et le bailleur pourra alors déplafonner le loyer. Par exemple, s’il apporte la preuve d’une modification des facteurs locaux de commercialité. Cela entraîne une variation de plus de 10 % de la valeur locative.
Trois possibilités de révision
Négocier une clause recette avec son bailleur peut être une solution intéressante. En cas de baisse d'activité, le loyer diminue également
A noter qu’au lieu de la révision triennale, le montant du loyer peut être revu de manière contractuelle. Le contrat peut prévoir que le loyer augmentera périodiquement. En suivant un indice en relation directe avec l’activité exercée, choisi par les parties.
Trois possibilités sont envisageables. Tout d’abord, un loyer variable selon une indexation applicable sur un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé. Ensuite, un loyer variable sur une somme fixe et une indexation sur un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé. Enfin, un loyer variable calculé à partir du chiffre d’affaires mais avec un loyer minimum garanti pour le bailleur.
3 Le Renouvellement du bail
Si aucun congé n’est donné, ou demande de renouvellement effectuée, le bail se prolonge tacitement, selon les mêmes conditions mais pour une durée indéterminée. Cette tacite prolongation peut prendre fin à tout moment. Soit par une demande de renouvellement du locataire. Soit par un congé donné par le bailleur ou le locataire au moins 6 mois à l’avance, et pour le dernier jour du trimestre civil (art. L. 145-9, al. 2).
A noter que les modifications législatives qui interviennent pendant la période de tacite prolongation n’affectent pas le bail poursuivi. A moins que la loi les ait déclarées expressément applicables aux baux en cours. Par ailleurs, si le bail se poursuit tacitement au-delà du terme contractuel de 9 ans mais sans excéder 12 ans, le loyer du bail renouvelé bénéficie du plafonnement.
En revanche, le plafonnement est exclu lorsque, par l’effet de cette prolongation, la durée du bail excède 12 ans. A quel momentdoit-on demander le renouvellement? A la date d’expiration du bail. Pour le bailleur, 6 mois au moins avant la date d’expiration du bail. Pour le locataire à l’intérieur du délai de 6 mois. Après la date d’expiration du bail: à tout moment.
Les solutions offertes au locataire
S’il reçoit un congé avec offre de renouvellement, le locataire a deux solutions. Soit garder le silence, ce qui correspond à accepter l’offre. Soit contester le loyer augmenté proposé par le bailleur dans son congé.
S’il reçoit un congé avec refus de renouvellement, il peut: accepter ou négocier le montant de l’indemnité d’éviction à laquelle il a droit; saisir un tribunal pour obtenir cette indemnité si le bailleur refuse de la lui donner. Le locataire a 2 ans pour contester le refus du renouvellement ou demander une indemnité d’éviction.
Par ailleurs, s’il n’a pas reçu de congé dans les 6 mois, il peut faire la demande de renouvellement, soit dans les 6 mois avant l’expiration du bail, soit à tout moment après sa prolongation tacite. Sans réponse du bailleur, le renouvellement est accepté au bout d’un délai de 3 mois. Le refus du bailleur a les mêmes effets qu’un congé avec refus de renouvellement.
Les conséquences du renouvellement du bail
-Sur la durée du contrat. Si le bail initial a été conclu pour une durée supérieure à 9 ans, il ne sera pas automatiquement renouvelé pour la même durée. Les parties devront clairement exprimer cette volonté, par exemple dans le congé avec offre de renouvellement du bailleur. A défaut, la durée sera abaissée à 9 ans.
-Sur la valeur du loyer. Son impact est généralement une augmentation du loyer résultant en principe du jeu d’un indice de référence des loyers publié par l’INSEE. C’est une révision par plafonnement du loyer. Le bailleur peut obtenir un «déplafonnement» s’il veut une augmentation supérieure. Par exemple, en justifiant d’une modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative.
A savoir : l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé ; la répartition des diverses activités dans le voisinage; des moyens de transport ; l’attrait particulier que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée; des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire.
4 La cession du bail commercial
Deux types de cession sont à distinguer.
D’une part, la seule cession du droit au bail est cantonnée à transmettre le bénéfice d’un bail commercial en cours. L’activité exercée par le cédant et le cessionnaire sont différentes. Il n’y pas de cession du fonds de commerce, de reprise de clientèle.
D’autre part, la cession du fonds de commerce incluant celle du droit au bail implique la cession d’autres éléments du fonds, notamment celle de la clientèle du cédant.
Si la distinction n’est pas toujours aisée en pratique, elle a toute son importance au regard du traitement différencié réservé aux deux cas par la loi et par la convention des parties dans le bail commercial. Ainsi, le Code civil, par son article 1717 prévoit que le locataire peut céder son bail sauf si le contrat de bail lui interdit toute cession.
Le locataire commercial doit pouvoir disposer du droit de céder son bail qui constitue généralement un droit essentiel de son fonds de commerce. Pour autant, il est légitime que le bailleur puisse disposer d’un droit de regard puisque son débiteur change en cas de cession.
Droits à la retraite ou pension d’invalidité
Le bailleur ne peut s’opposer à la cession du bail de son locataire demandant à bénéficier de ses droits à la retraite ou qui est admis à bénéficier d’une pension d’invalidité attribuée par le régime d’assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales (art. L.145-51).
Dans ce cas particulier, le preneur peut céder son bail seul avec changement d’activité au profit d’un tiers, à la condition que la nature de l’activité envisagée soit compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble. Cette disposition particulière permet, dans ces deux cas de figure, d’accroître les possibilités de cession pour le preneur en place.
Notel est un un GIE de 80 notaires spécialisé dans l’hôtellerie-restauration. Basé à Paris, au 15, rue Roquépine, dans le 8e arrondissement, le groupement rayonne sur tout l’est de la France. Créé en 1998, Notel est partenaire de l’Umih. Contact : contact@notel.org Tél. : 06 47 88 88 96