À la faveur de leur montée en gamme, les hôtels parisiens ont réalisé de gros efforts pour se singulariser, tant sur le thème du décor que sur celui de l’animation. Ces personnalisations des établissements représentent une tendance en rupture totale avec l’approche très normée des grandes enseignes.

« Entre la sophistication d’une Belle Époque et le pur minimalisme nippon. » C’est par ces mots que le dossier de presse de l’hôtel Hana décrit la thématique de cet établissement parisien qui a vu le jour au cœur du « Little Tokyo parisien », au carrefour de la rue du Quatre-Septembre et la rue de Gramont (Paris 2e). Nicolas Saltiel, président du groupe hôtelier Chapitre Six, qui a créé cet hôtel 5 étoiles de 26 chambres, a fait appel à une des décoratrices les plus en vue, Laura Gonzalez. L’architecte d’intérieur fétiche d’Olivier Bertrand s’est associée pour l’occasion au directeur artistique Olivier Leone, spécialiste du Japon. Pour Nicolas Saltiel, les séjours dans les maisons de Chapitre Six constituent « une évasion éphémère que j’ai toujours voulu vivre dans un hôtel et que j’aime chaque jour faire vivre dans les nôtres ».
Sortir de l’uniformité
Cette manière de personnaliser les hébergements n’est pas nouvelle. En 2010, Robert Zolade, alors patron d’Elior, créait la Compagnie hôtelière de Bagatelle. Il s’est attaché à prendre le contrôle de petits hôtels parisiens pour les faire monter en gamme à la faveur d’une rénovation complète. L’ancien haut cadre du groupe Accor avait compris que l’uniformité n’était plus de mise. Il a ainsi imaginé des univers spécifiques, liés à des thèmes précis comme le Chess (jeu d’échecs), les Plumes (littérature) ou le Platine (Amérique des années 1950). Le groupe a aussi fait appel à Chantal Thomass pour décorer Vice Versa (Paris 15e), où la créatrice a exprimé sa fantasmagorie autour des sept péchés capitaux. La Compagnie hôtelière de Bagatelle, dirigée par la fille de Robert Zolade (Célia Cornu), possède aussi plusieurs hôtels dont le décor est placé en résonance avec le quartier où ils sont implantés.
À l’image de l’hôtel Les Théâtres (Paris 2e) qui rend hommage à Molière, Feydeau et Cocteau. Cette personnalisation très poussée de chaque nouvelle adresse est devenue une constante dans les créations hôtelières parisiennes de ces dernières décennies. Les fils conducteurs sont divers mais visent tous à donner une identité forte à l’établissement. Depuis une vingtaine d’années, l’hôtellerie parisienne s’oriente nécessairement vers le haut de gamme.
En raison des valeurs foncières des hébergements, il est devenu impossible de rentabiliser un hôtel économique intra-muros. Dans ces conditions, beaucoup de petits établissements de quartiers parisiens offrant moins de 50 chambres ont été rénovés de manière à pouvoir revendiquer un niveau de confort de 4 ou 5 étoiles. Ces structures souvent isolées ne bénéficient pas de la force de l’image et de la puissance commerciale d’une enseigne nationale. Elles ont besoin de se constituer une identité propre pour se faire connaître au moment du lancement, en attirant l’attention des médias. C’est également le moyen d’attirer une clientèle particulière férue du thème proposé ou séduite par l’histoire racontée dans le lieu.
Sur ce principe, Jacques Letertre a fondé la Société des hôtels littéraires en 2012. Cet énarque, ancien banquier, avait investi depuis les années 1980 dans l’hôtellerie en faisant confiance à des enseignes nationales. Mais lors de la rénovation d’un de ses hôtels parisiens, rue Constantinople (Paris 8e), il a senti que le vent avait tourné. Il a alors décidé de le personnaliser autour de son écrivain préféré, Marcel Proust. « Au départ, c’était un essai, se souvient l’entrepreneur. C’est pourquoi nous n’avons pas baptisé l’hôtel “ Marcel Proust ”, mais “ Swann ”, du nom d’un personnage d’À la recherche du temps perdu. La réussite de notre projet nous a encouragés à poursuivre la série. » Dès son ouverture, Le Swann a affiché un chiffre d’affaires en hausse de 40 %. Un bond spectaculaire dû à la montée en gamme de l’établissement ainsi qu’à une fréquentation en hausse.
« Les clients fuient les lieux où ils sont perçus comme des touristes. »
Aujourd’hui, la Société des hôtels littéraires compte six établissements en France et prépare l’ouverture d’un hôtel dédié à George Sand, à Bordeaux (Gironde). À Paris, elle a créé le Marcel Aymé, à Montmartre (18e), et Arthur Rimbaud, dans le 10e arrondissement. Jacques Letertre, qui se définit comme « un lecteur obsessionnel », choisit naturellement ses auteurs de prédilection pour baptiser ses hôtels. Mais il prend aussi le soin de sélectionner des noms de plume internationalement connus.
Chaque conception implique un long travail de préparation et de recherche pour concevoir le décor et rassembler les 500 livres de l’auteur mis à disposition des clients dans chaque établissement. « Au Swann, rappelle Jacques Letertre, la solution de facilité aurait été de recréer un décor XIXe. Mais nous avons choisi de procéder par clins d’œil, en étant très rigoureux dans notre approche. » L’exercice est difficile, car comme le souligne l’hôtelier, « le client repère très vite les démarches qui ne sont pas authentiques. Et ensuite, le résultat doit convenir à un prof de lettres américain spécialiste de Proust, mais aussi séduire un client de passage qui ne connaît que l’épisode de la madeleine ».
La réussite de cette thématisation repose non seulement sur l’authenticité du décor « mais aussi sur l’adhésion totale des équipes », note Jacques Letertre qui assure que son choix a contribué « à fidéliser le personnel en lui donnant le sentiment de participer à une véritable aventure ». Selon Nicolas Saltiel, les marques ne peuvent pas se décliner. « Chacune de mes enseignes correspond à une histoire du quartier ou à l’environnement culturel. Les clients de l’hôtellerie haut de gamme veulent des endroits cosy et fuient les lieux où ils sont perçus comme des touristes. »
Attire aussi la clientèle locale
Olivier Bon d’Experimental Group, qui détient trois hôtels parisiens très identifiés, assure recevoir des anciens clients « déçus par l’offre trop formatée et aseptisée des palaces. Nos clients sont des gipsy shelters [clients bohèmes de l’hôtellerie, NDLR] qui exigent un niveau de confort et de service, mais qui souhaitent en même temps vivre une expérience locale. Il faut à chaque fois un ancrage local fort. Ainsi à Venise, dans la conception de l’hôtel, nous avons beaucoup fait appel aux artisans vénitiens. » La personnalité de l’hôtel attire les touristes, mais elle sert également à agréger une clientèle locale qui fréquente les bars ou les restaurants du bâtiment. Ainsi le Chalet d’Aristide, dans l’hôtel Monsieur Aristide (Paris 18e), est devenu un des rendez-vous des commerçants de Montmartre qui se réunissent autour de la raclette. Chez Monsieur George, le restaurant bistronomique compte aujourd’hui une large clientèle de professions libérales du 8e arrondissement.
La dimension de la restauration et du bar est ainsi devenue un enjeu primordial pour singulariser les adresses. En quelques années, Experimental group s’est révélé incontournable dans le secteur de l’hôtellerie avec une douzaine d’adresses dans le monde, dont trois hôtels à Paris. La spécificité de l’offre de bar et de restauration est stratégique, comme le confirme Olivier Bon, l’un des responsables de cette entreprise : « Il faut travailler très sérieusement l’offre avec une carte signée par un chef ou un thème très fort. » Au-delà de restaurants très formatés, on remarque la présence au sein des hébergements de véritables environnements culturels à l’image d’un Comedy club chez Monsieur Aristide.
Une bibliothèque est même en projet dans le groupe Chapitre Six, mais le coup de maître de Nicolas Saltiel devrait apparaître en décembre 2025 avec l’ouverture de 33 chambre du Bus Palladium au-dessus de la célèbre salle de concert de la rue Fontaine que l’entrepreneur s’est engagé à reconstituer à l’identique. Naturellement le futur hôtel fera la part belle à la musique. L’image de dortoir des hôtels est depuis longtemps révolue.