Gestion des terrasses : la Chambre régionale des comptes épingle la ville de Paris
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Voilà quelques jours, la Chambre régionale des comptes d’Ile de France rendait publique son rapport sur la gestion par la ville de Paris concernant les terrasses. Décryptages.

Mieux vaut tard que jamais. La Chambre régionale des comptes d’Ile de France a rendu récemment public un rapport délibéré le 26 juillet 2024 sur la gestion par la Ville de Paris des emprises implantées sur le domaine public entre 2018 et 2023.

Rapport complet à retrouver ici
Ce rapport aborde plusieurs thèmes et procure 5 recommandations
1) Procéder à une mise en concurrence. Pour l’attribution d’autorisations de terrasses pérennes. Celles situées de l’autre côté de la rue par rapport au commerce qui l’exploite. Ou sur un terre-plein, dès lors que plusieurs commerces riverains y sont éligibles.
2) Procéder au réexamen périodique des autorisations de terrasses tous les cinq ans.
3) Apporter les correctifs nécessaires à l’application Eudonet afin de disposer d’une information exhaustive favorisant le contrôle.
4) Associer les riverains aux réunions des commissions de régulation des débits de boissons. Hors examen des situations individuelles. Ou, lorsqu’ils existent, aux comités locaux bruit d’arrondissement.
5) Actualiser la classification de la commercialité des voies et la grille tarifaire des redevances d’occupation du domaine public.

Éclaircissement et décryptage avec Philippe Meilhac, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le CHR.
Quel regard portez-vous sur ce rapport ?
Il reprend à son compte une bonne partie de l’analyse et des critiques habituelles. Notamment, celles déjà faites par l’Inspection de la ville de Paris dans audit d’avril 2016. A savoir, le développement des emprises, la complexité du règlement et de la grille des tarifs qui ne serait plus adaptée. Mais aussi l’existence de sanctions peu dissuasives pour les occupants sans titre du domaine public ou qui excèdent les termes de leur autorisation. Deux de ses recommandations sont toutefois novatrice : la mise en concurrence de plusieurs exploitants pour une même emprise. Et le réexamen périodique des autorisation.

La mise en concurrence de plusieurs exploitants pour une même emprise est difficile à mettre en œuvre en pratique. Et cela compte tenu de la charge de travail dont disposent les services instructeurs et de leur réactivité très relative. Cela est de nature à créer des conflits entre exploitants. Il s’agit actuellement d’un sujet assez marginal. Il concerne les emprises situées « de l’autre côté de la rue. Et cela par rapport au commerce » qui ne sont guère accordées ces derniers temps.
Les demandes d’autorisation sont traitées par rapport à la réglementation actuelle
Le réexamen périodique des autorisations constitue en revanche un réel sujet de préoccupation pour de nombreux exploitants. Cela répond à la problématique de l’inégalité de traitement vécue par les nouveaux exploitants. Car les demandes d’autorisation sont traitées par rapport à la réglementation actuelle. Celles accordées voilà des années sur la base d’une ancienne réglementation sont tacitement, et automatiquement, reconduites d’année en année. Quand bien même elles ne sont plus conformes à la réglementation.
Que penser des cinq recommandations de la Cour des comptes régionale ?

Sur un plan juridique, il ne s’agit en réalité que l’application de la loi, et du règlement lui-même. Comme le met en évidence le rapport, l’absence d’actualisation relève depuis toujours d’une pratique qui est contraire aux dispositions de l’article DG.8 du règlement municipal des terrasses et étalages parisiens (RET). Sur un plan pratique, il est impossible de faire comprendre à un exploitant qui vient d’acquérir un fonds qu’il ne pourra pas disposer d’une emprise comparable à celle de son voisin. Voire d’une emprise du tout au motif que ce voisin est installé depuis des années et qu’il a pu rembourser son acquisition!
Pire, il arrive dans la pratique actuelle qu’un nouvel exploitant ne puisse pas reconduire l’emprise dont a bénéficié le précédent exploitant. Alors que les lieux (domaine public) n’ont pas été modifiés, autrement à situation égale.

Et il aura bien du mal à contester en justice cet état de fait. Les juridictions administratives parisiennes et le Conseil d’Etat ne veulent pas entendre parler d’inégalité de traitement en la matière ! Le plus souvent, au moment des discussions préalables à l’acquisition d’un fonds de commerce, le sujet de l’autorisation d’occupation du domaine public et sa possible reconduction est souvent négligée par les parties. Notamment l’acheteur. Pourtant, le prix d’achat est fixé en fonction du chiffre d’affaires. Ce dernier est réalisé en grande partie (à tout le moins en période estivale mais pas uniquement) sur les espaces de restauration extérieur. Ainsi, s’il doit exploiter avec un tiers de couverts en moins, l’exploitant peut rapidement connaître des difficultés économiques importantes !
Le rapport évoque également une réglementation complexe…
Ce sujet n’est pas nouveau ! Le nouveau règlement des terrasses et étalages parisiens (RET) résultent de l’arrêté du 11 juin 2021 applicable depuis le 1er juillet suivant. S’agissant des dispositions relatives aux installations pérennes, il ne fait pour l’essentiel que de reprendre celles du précédent arrêté du 6 mai 2011. Il n’est pas approprié de parler de « refonte » de la réglementation comme le fait pourtant le rapport. Son apport a consisté à régir les nouveaux modes d’occupation : emprises estivales (initialement qualifiées d’éphémères) ou sur stationnement (payant), outre la création de nouvelles sanctions. A cet égard, s’il permet des emprises sur le stationnement ou « de l’autre côté du trottoir ». C’est à titre estival et non à titre permanent.
Les sanctions sont jugées comme « peu dissuasives »…
Les sanctions existent, et elles sont mises en œuvre. Il existe bien sûr les sanctions pénales traditionnelles (contravention). Il est vrai que pendant des années, la police nationale rechigne à verbaliser les exploitants qui occupaient sans autorisation le domaine public ou au-delà des dimensions autorisées. Considérant sans doute que cela ne relevait pas de sa mission première, et préférait la prévention. Les temps ont bien changé !
D’une part, la maire de Paris a favorisé la création d’outils. Comme l’application « Dans ma rue ». Elle favorise le dépôt des plaintes jusqu’à exploser. Plus de 45.000 en 18 mois, entre janvier 2022 et juin 2023 selon le rapport. Comme le nombre de verbalisations. Il est en hausse de 57% entre 2021 et 2022. Ce qui n’est pas, loin s’en faut, étranger à la création en 2021 d’une police municipale, dont les effectifs sont en hausse croissante.

Le rapport note à cet égard que la verbalisation diffère beaucoup selon les quartiers. Quatre arrondissements se trouvent très au-dessus de la moyenne. Paris centre mais aussi le 5e, ainsi que le 18e (« point culminant » avec 11,7 procès-verbaux par établissement) et le 19e.
Les grilles tarifaires « mériteraient d’être actualisés » selon le rapport. Etes-vous d’accord ?
Les tarifs des droits de voirie est un sujet « tabou ». Il n’a jamais été possible d’avoir des explications de la ville de Paris sur la manière, précise, dont ils sont fixés. Si ce n’est la référence à des considérations générales. L’inspection générale de la ville de Paris a demandé, dans le cadre de son audit 2016, comment les nouveaux tarifs résultant de la délibération de mars 2011 avaient été fixés. Il a été répondu que des « études préalables » avaient été réalisées. Que personne n’a jamais vu. Il ne faut donc pas s’étonner, comme le relève le rapport, de ce que « l’actuelle grille tient peu fidèlement compte des bénéfices économiques réels tirés par les commerçants de l’exploitant de leur terrasse ». Au demeurant, sans étude réelle, et dès lors que les tarifs sont fixés de manière « annuelle (parfois mensuelle), forfaitaire et indivisible », comment pourrait-il en aller autrement ?
Les professionnels et leurs organisations ne peuvent qu’être ici favorable à une véritable réforme qui irait au-delà de la « classification de la commercialité des voies » !
Contrairement à ce que soutient le rapport de la Chambre, les tarifs sont actualisés tous les ans. A cet égard, pour l’année 2025, comme du reste pour les 2 exercices précédents : 2023 et 2024, la ville a cru devoir appliquer une hausse de 5%, sans commune mesure avec l’inflation sur l’année qui vient de s’écouler (2%).
Quand il s’agit de créer un tarif, la réflexion préalable et la concertation avec les exploitants sont nécessaires. Comme l’exemple de la délibération votée au Conseil de Paris du 15 décembre 2023 créant un nouveau tarif pour les écrans de protection des contre-terrasses, engendrée par la possibilité de protéger ces emprises sur l’avenue des Champs Elysées, est assez édifiant. Les professionnels et leurs organisations ne peuvent qu’être ici favorable à une véritable réforme qui irait au-delà de la « classification de la commercialité des voies » !