Durant les fêtes de fin d’année, le champagne reste une valeur sûre. Dans le même temps, les différentes appellations de crémant essaient de se faire progressivement une place. Deux vins engagés dans un même combat : prouver qu’ils s’adaptent à tous les plats bien au-delà de l’apéritif, grâce à des profondeurs de gammes.
Traditionnellement, au moment des fêtes de fin d’année, trône obligatoirement sur la table une bouteille de vin effervescent. « Globalement, toutes les bulles connaissent une surconsommation lors de la fin d’année », confirme ainsi Christophe Botté, directeur de la Cave de Turckheim, producteur, entre autres, de crémant d’Alsace. Il précise réaliser 20 % de ses ventes durant cette période. Mais sur ce segment en pleine effervescence, un vin se détache particulièrement. Sans surprise, « le plus connu est clairement le champagne », admet sans difficulté Stéphane Garrigue, directeur général de la Cave de Lugny, qui produit du crémant de Bourgogne à destination des CHR sous la marque Sainchargny (environ 237 000 bouteilles, pour un total d’1,2 million de cols de crémant de Bourgogne au sein de la cave coopérative). La coopérative a vendu 22 % de ses crémants pendant la fin d’année pour l’année 2023, contre 21 % pour la même période en 2022.
L’AOC champagne représente l’idéal de la boisson de fête et le demeure. Et ce, en dépit des efforts des producteurs pour lisser sur l’année les ventes de leur fameux breuvage, ce qui aurait pu avoir pour conséquence de fragiliser sa position de champion durant la fin d’année. « Nous avons essayé de communiquer pour essayer de désaisonnaliser le champagne. Mais les gens consomment le champagne à la fin de l’année, constate en effet Jean-Christophe Delavenne, vice-président pour la Marne au Syndicat général des vignerons (SGV) de la Champagne, mais aussi à la tête du Champagne Delavenne, à Bouzy. Cela fait au moins 40 ans que la situation est telle qu’ elle. Mes parents travaillaient énormément en fin d’année. Aujourd’hui, nous avons peut-être un peu moins d’activités. »
Néanmoins, la période reste porteuse et essentielle pour les champagnes de vignerons, marque collective des champagnes élaborés au vignoble, comme le réaffirme le représentant du SGV Champagne : « Elle représente jusqu’à 40 % des ventes pour les champagnes de vignerons. » Chez Piper-Heidsieck, Émilien Boutillat, son chef de caves, constate que « 2024 marque un retour des ventes saisonnières, tandis que 2022 et 2023 ont constitué des années assez lisses avec une consommation répartie sur toute la durée de l’année ». Un lissage des ventes « poussé par la présence en CHR ».
Le prestige du champagne
Aussi, alors que « le champagne est le vin de célébration par excellence, lorsque les amis ou les familles se retrouvent pour célébrer un événement », comme le souligne Émilien Boutillat, qu’en est-il du crémant ? Ou plutôt des crémants puisqu’il existe en France huit AOC : Alsace, Bordeaux, Bourgogne, Die, Jura, Limoux, Loire et Savoie. « Les fêtes de fin d’année constituent une période importante pour les crémants », amorce alors Édouard Cassanet, animateur de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de crémant, avant de compléter : « Mais les ventes sont assez régulières tout au long de l’année parce que le mode de consommation est facile. Le crémant n’est pas uniquement dédié aux moments de célébration. De par son bon rapport qualité-prix, il est consommé à tout moment. »
Les appellations de crémant profitent par ailleurs à plein de la bonne santé des bulles. Même si tous les voyants ne sont pas au vert. « Autant nous avons repoussé le plafond de verre dans les ventes en grande distribution, parce que le consommateur est très décomplexé, autant le restaurateur a encore du mal à en proposer. C’est le point faible de notre présence », regrette en effet Édouard Cassanet.
Pourtant, les huit appellations de crémant disposent d’un cahier des charges similaire à celui de l’AOC champagne, du moins pour ce qui est des vendanges manuelles et de la méthode d’élaboration traditionnelle, autrefois appelée champenoise… avec une seconde fermentation en bouteille. De plus, ces vins ne manquent pas d’atout, au premier desquels le fameux rapport qualité-prix. « Le champagne a voulu se positionner sur un créneau très haut de gamme. Sur le marché français, des CHR et cavistes m’ont appelé pour me faire part de leur recherche d’un produit qualitatif qui ne dépasse pas les 20 €. Le crémant de Bourgogne répond alors clairement à ce besoin du consommateur », témoigne Stéphane Garrigue.
La fédération compte aussi jouer sur la multiplicité des appellations de crémant pour tirer son épingle du jeu. « Il n’y a aucun produit qui ressemble à cela. Le côté régional avec une multitude de cépages et de styles. La diversité est une richesse », insiste Édouard Cassanet. « Je ne pense pas que ce soit lié à l’intérêt gustatif. Il y a une bataille davantage sur le fait que les gens s’approprient le crémant », estime quant à lui Christophe Botté.
L’animateur de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de crémant trouve une explication simple à cette relative absence des crémants sur les tables des restaurants durant les fêtes de fin d’année : « L’image du champagne reste porteuse et valorisante. » Un constat implacable partagé par Nicolas Emereau, directeur général d’Alliance Loire, qui s’adresse aux CHR à travers la marque De Chanceny : « Il est plus compliqué de percer sur les tables des restaurants car le mot champagne fait toujours rêver. Il y a encore du travail à faire. » De Chanceny représente en outre 2,5 millions de cols de crémant de Loire par an, au sein d’une production annuelle totale pour Alliance Loire de 3,5 millions de bouteilles de crémant de Loire.
« Dans le cadre du menu de Noël, le crémant et le champagne sont présents à parts égales »
La puissance de l’image
L’AOP champagne conserve donc un certain prestige. « Le champagne a une place particulière, de par son histoire, le terroir, le côté crayeux des sous-sols qui confèrent aux vins de Champagne une élégance et une profondeur assez unique », rappelle ainsi Émilien Boutillat. L’appellation profite également de la force de ses maisons, à la notoriété sans égale mesure, à l’image de leur puissance financière. « La puissance des maisons de champagne fait la pluie et le beau temps des effervescents. Or, les marques fortes nous manquent. Le crémant de Bourgogne n’a pas encore de grosse marque pour lui servir de locomotive », avance alors Stéphane Garrigue.
Une hypothèse confirmée dans les faits par Cyril Kocher, sommelier du restaurant Thierry Schwartz, à Obernai (Bas-Rhin), distingué en 2023 par le célèbre guide rouge du Prix Michelin de la Sommellerie. Il évoque en effet une « question de facilité », qui s’explique par la physionomie de certains établissements : « Le poste de sommelier est souvent délaissé. Dans ce cas, il est plus facile de vendre du champagne parce qu’il parle davantage aux clients. » De plus, le sommelier est certain que « le champagne conservera toujours son aura ».
Néanmoins, il n’oppose pas les deux effervescents. « Je suis défenseur de notre terroir, par sa mise en avant, mais je ne suis pas chauvin pour autant. Dans le cadre d’un menu classique, nous laissons le choix aux clients. Mais dans le cadre du menu de Noël, le crémant et le champagne sont présents à parts égales », expose-t-il, avant de compléter sa pensée pour dépasser la simple dualité champagne-crémant : « En tant qu’amateur, je regarde davantage le style du producteur et j’oublie l’appellation. Je cherche la cuvée particulière d’un vigneron. Il est alors davantage question d’un vin d’auteur. »
À ce titre, Jean-Christophe Delavenne, du SGV Champagne, souhaite mettre en relief la distinction entre un champagne de vigneron et un champagne élaboré par une maison. « Il y a de plus en plus de champagnes de vignerons sur les tables, car ils cherchent l’originalité, la pépite, avec des choses différentes des grandes marques, avec l’histoire de la maison, des vinifications qui leur plaisent bien. Les CHR sont ravis de voir que les champagnes ne se ressemblent pas », assure-t-il.
L’apéritif, et après ?
Enfin, crémants ou champagnes, issus de vignerons ou de maisons, tous font face à l’étiquette, tenace, de boisson idéale durant l’apéritif. Pourtant, les producteurs ont travaillé pour offrir une meilleure profondeur de gamme, avec des cuvées gastronomiques, aux spécificités propres : « Élevages assez longs, moins d’effervescence, un caractère plus gras, plus concentré », comme le relève Édouard Cassanet. Tandis que Christophe Botté le complète : « Il n’existe plus seulement le brut classique. Nous avons également des crémants de cépage : 100 % riesling, chardonnay, pinot blanc. Avec des vieillissements plus ou moins longs et des dosages différents. » Ce qui permet ainsi de proposer un crémant ou un champagne adéquat à chaque étape du repas.
Un blanc de blancs « qui présente de la minéralité, ce côté iodé, salin », conseille Émilien Boutillat avec des huîtres ou des fruits de mer. Mais aussi « un champagne plus puissant tel qu’un blanc de noirs sur du poisson comme le Saint-Pierre ou du chapon », poursuit-il, tout en prescrivant un demi-sec ou de vieux millésimes avec du foie gras. « L’accord parfait revient à de vieux millésimes avec du fromage », s’extasie-t-il par ailleurs. Avant que Cyril Kocher vienne conclure ces accords : « Sur la bûche de Noël, qui contient souvent du praliné, de la vanille ou de la noisette, il faut plutôt un champagne plus évolué, qui a trois ou quatre ans de bouteille. » De quoi déjà faire saliver les papilles.