Le renouveau du zinc en étain

  • Temps de lecture : 5 min

Le comptoir est à la fois outil de travail et centre de toutes les attentions. À la faveur des nouvelles habitudes, des clients comme des restaurateurs, les grands artisans du secteur, les étainiers en tête, font évoluer leurs techniques pour inscrire le zinc dans le XIXe siècle.

Illustration comptoir
Le renouveau du zinc en étain. Crédits : DR.

Des générations de clients et de barmen les malmènent au fil des décennies, et ils ne prennent pas une ride. Plutôt, ils se patinent comme un vin prend de l’âge. À Paris, le comptoir en étain s’est imposé au début du XXe siècle, et il semble que c’était hier. Parties intégrantes de la mémoire des CHR, ces pièces d’artisanat indémodables connaissent un renouveau intéressant grâce, à la fois, à des partis pris décoratifs audacieux et à une vague d’innovations chez les trois derniers artisans français. Un exercice d’équilibriste.

Dans le même temps, d’autres matériaux s’imposent, à l’instar du marbre et de certains bois massifs qui autorisent des styles plus contemporains. Investir dans un comptoir, c’est un peu figer un moment et ouvrir un livre vierge. « C’est un investissement important, mais c’est un produit qui dure plus qu’une vie », rappelle Maxime Dethomas, dirigeant des Ateliers Nectoux, installé à Puteaux (Hauts-de-Seine) et à Dax (Landes). Largeur de piste, choix de la bordure et du style de la façade sont aujourd’hui moins standardisés, répondant à de nouveaux usages. « On voit pas mal de restaurants et brasseries qui cherchent à monter en gamme dans les alcools, les cafés de spécialité et qui se questionnent donc aussi sur l’équipement dans la même mesure », poursuit l’artisan.

Les consommations au bar, y compris pour déjeuner, conduisent aussi les architectes à questionner différemment la conception des comptoirs. Au restaurant Chez Eugène (Paris 18e), la rénovation de l’établissement a permis de réorganiser l’envoi. « Avant, il y avait seulement deux sorties cuisine, une chaude, une froide, un peu à l’ancienne. Avec un bar d’envoi de cette qualité, nous travaillons différemment mais surtout avec davantage de professionnalisme. »

Simplicité et précision

Aux Ateliers Jovis, le cœur de métier c’est plutôt l’ébénisterie. Il imagine les structures et les façades en bois massif que viendront ensuite coiffer les pistes. Mais Éric Jovis a poussé loin les compétences de l’entreprise autour du comptoir professionnel, jusqu’à proposer des prestations clés en main. « Nos deux métiers se rejoignent nécessairement mais nous avons l’avantage de pouvoir accompagner l’ensemble d’un projet. Notre force, c’est aussi que nous posons nous-mêmes les comptoirs alors que cette partie est souvent sous-traitée. Chez nous, l’ébéniste qui fabrique s’occupe aussi de la pose, donc il n’y a pas de mauvaise surprise. Et c’est aussi plus gratifiant. » Ses équipes ont élargi leur savoir-faire en se formant à la soudure du zinc auprès d’un compagnon du devoir pour pouvoir proposer leurs propres pistes : « Les pistes en zinc sont moins sophistiquées car elles ne permettent pas de réaliser des bordures, c’est simplement de la pliure. Pour autant, les atouts sont les mêmes à l’usage. »

Il y a toutefois une envie bien palpable de faire évoluer le travail de l’étain. En 2020, les Ateliers Nectoux ont marqué un virage pas anodin dans l’histoire du comptoir français en créant huit nouvelles bordures néodesign, venant s’ajouter au catalogue des motifs hérités du début du XXe siècle. « Les dessins sont plus simples, mais plus design, explique Maxime Dethomas. Nous voulions intéresser une clientèle plus jeune, avec une sorte de produit d’appel. Cela a fonctionné, mais paradoxalement, ces nouveaux clients ne se sont finalement pas orientés vers ces bordures-là, mais vers nos motifs historiques. » Il s’apprête également à relancer un motif rare, disparu après la Seconde Guerre mondiale et retrouvé chez un ancien fabricant. « Ça n’a l’air de rien, mais on ne refont pas de l’étain aussi facilement dans un moule qui n’a pas servi depuis longtemps. Ce sera vraiment différent de ce qu’on a fait jusqu’à présent », assure-t-il.

À Montbazon (Indre-et-Loire), et dans la perspective de transmettre une entreprise dynamique dans quelques années, Gilles Chéramy entend faire des Étains tourangeaux un fer de lance de l’innovation autour du comptoir en étain. Depuis quelques années, il donne un coup de jeune à sa pratique. En plus des pistes en étain classique, il a imaginé des tables et guéridons de bistrot en bois incrustés d’étain. « J’ai choisi de rester fidèle aux bases du métier, et au CHR, et j’ai fait évoluer mes moules et mes techniques. J’avais beaucoup de demandes spécifiques, ce qui m’a conduit à développer une technologie qui me permet de fabriquer des moules jetables. Nous avons aussi évolué sur les finitions, beaucoup plus mates, mais aussi avec des étains patinés et à effet laiton, cuivré et bronze. C’est un vrai challenge pour nous d’arriver à maturité sur ce projet. »

Ce travail de plusieurs années offre de nouvelles perspectives aux designers et architectes en charge de projets à identités fortes. Dans la même veine, les Étains de Lyon ont développé un savoir-faire de gravure et de mise en relief pour habiller la bordure ou la piste. « La gravure fait 1 mm de profondeur, donc lorsqu’on nettoie, il n’y a pas de risque de l’effacer », note Grégory Laurent, dirigeant de l’entreprise. De nombreux établissements inscrivent ainsi leur nom, leur logo « dans l’étain ». « Nous avons également un savoir-faire en fonderie, pour élaborer des décors en complément des bordures. Aujourd’hui, grâce à l’impression 3D, on peut réaliser n’importe quelle forme. »

L’export comme moteur

La demande de sur-mesure est de plus en plus forte. Emmenée notamment par l’attrait des étrangers pour ce petit bout de France posé sur leur bar. Chez Nectoux, ces projets internationaux représentent 40% de l’activité, 50% même aux Étains tourangeaux. Formes, largeur de pistes, dessins de bordures, les fabricants ont su s’adapter et développer des techniques innovantes pour moderniser leur art. « Les bars à cocktails ont fait évoluer les choses, surtout aux États-Unis où les gens dînent beaucoup plus avec des cocktails. La législation nous impose aussi des formes particulières, notamment le drink rail qui permet aux clients de voir la préparation. Ça arrive doucement en France. »

PARTAGER