Ludovic Mey, acteur incontournable de la gastronomie lyonnaise avec sa femme Tabata, partage sa réflexion sur l’avenir de la table, les défis du présent et l’héritage du passé. Il répond aux questions d’Au cœur du CHR en évoquant son parcours et ses convictions.

« Lyon reste une ville gastronome »
Vous venez d’ouvrir deux restaurants à Lyon côte à côte, un restaurant gastronomique Ombellule et la brasserie Roseaux, pourquoi ce choix ?
On avait envie d’ouvrir une maison de vie, où l’on retrouverait d’un côté notre cuisine gastronomique et de l’autre une brasserie traditionnelle française, où l’on peut déguster des classiques de la cuisine bourgeoise. Nous sommes des amoureux de la gastronomie française, nous voulons ici lui faire honneur. S’ils se complètent, les deux restaurants ont des identités distinctes. Ce qui peut être complexe parfois, lorsqu’on ouvre deux établissements, c’est de savoir qui va choisir telle ou telle table. Entre nous deux, avec nos équipes, nous travaillons les cartes ensemble, main dans la main avec nos chefs, mais les cuisines ne communiquent pas. Dans les deux, nous avons mis l’accent sur un service client de qualité, avec des gestes attentionnés comme le service au guéridon, tout en maintenant des prix abordables.
L’énergie de nos équipes est essentielle : les clients doivent ressentir une atmosphère positive et un service impeccable. Chaque détail compte. Côté gastro, l’idée, nous voulons proposer une expérience unique et immersive, sans chercher à impressionner par un grand plat. On propose aussi une immersion en cuisine, les clients viennent partager un plat avec nous et échanger. On veut avant tout créer des moments de partage et d’interaction.
Vous et Tabata êtes un couple dans la vie et en cuisine. Comment vos deux visions s’enrichissent-elles mutuellement ?
Notre force repose sur nos complémentarités. Tabata, par exemple, est une technicienne remarquable. Elle a travaillé avec des chefs comme Nicolas Le Bec pendant des années, marquant son parcours par sa maîtrise technique et son audace. Elle est une battante, toujours tournée vers l’avant, cherchant des solutions et relevant les défis avec brio. De mon côté, je suis plus orienté vers la créativité en cuisine. Nos forces respectives se complètent parfaitement, et cela nourrit notre collaboration et notre vision commune. Ensemble, nous peaufinons et développons les idées pour les amener à maturité.
Personnellement, j’aime aussi tout ce qui touche au management. L’humain m’intéresse profondément, comprendre les dynamiques, résoudre les problèmes, manager de grandes équipes, créer une culture d’entreprise collective. Nous avons chacun des atouts qui nous permettent d’avancer. Travailler en couple peut être une force, même si cela n’est pas toujours facile. Être deux apporte des raccourcis et une complémentarité qui facilitent les choses, surtout lorsque chacun connaît bien ses forces.
Quels sont vos critères pour choisir vos producteurs ?
Notre démarche est guidée par une recherche de qualité et de responsabilité. Nous privilégions les producteurs locaux pour les fruits et légumes, mais nous ne nous interdisons pas d’aller plus loin pour certains produits comme les agrumes ou les poissons. Par exemple, on aime travailler le homard ou le rouget, même s’ils ne viennent pas de nos rivières locales. Ce choix reste néanmoins responsable : nous évitons les pratiques destructrices comme la pêche intensive et privilégions des fournisseurs engagés dans des démarches durables. Nos fournisseurs, qu’ils soient producteurs directs ou commerçants, sont sélectionnés avec soin. Nous nous assurons de leur éthique et de la qualité de leurs produits. Ce respect de toute la chaîne d’approvisionnement garantit non seulement une excellente qualité mais aussi une cohérence avec nos valeurs.
L’année 2023 a été marquée par la fermeture de votre restaurant étoilé Les Apothicaires, c’était devenu trop petit pour vous ?
Oui, mais pas seulement. Il y avait aussi une envie de renouveau. Quand nous avons lancé ce projet, c’était avec peu de moyens, un défi fait de trois bouts de ficelle. À l’époque, nous ne visions pas forcément là où nous sommes arrivés. Le restaurant était un bel endroit, et j’en étais totalement amoureux mais il devenait trop étroit, à la fois physiquement et symboliquement. Nous cherchions un lieu qui puisse accueillir deux établissements côte à côte, une configuration qui n’est pas évidente à trouver. Être proches était primordial, car cela permet une organisation optimisée. Par exemple, nous partageons un même pôle de sommellerie dirigé par un chef sommelier pour les deux établissements, une pâtisserie commune et même un bureau unique. Cette flexibilité est précieuse.
Un an plus tard, vous avez fermé Food traboule, le food court du Vieux Lyon, comment cela s’est passé ? Quelles leçons en tirez vous ?
Nous avons réalisé un très beau projet avec Food Traboule, qui nous tenait particulièrement à cœur. Cependant, les débuts ont été marqués par des imprévus. Quinze jours après l’ouverture, nous avons dû affronter deux années de pandémie, ce qui a bouleversé nos plans. Nous avons dû restructurer sans pouvoir vraiment développer l’idée comme nous l’aurions souhaité. Cela dit, ce projet nous a énormément appris. Il nous a permis de faire de belles rencontres, et nous n’avons aucun regret.
Vous êtes devenues des figures emblématiques de la scène culinaire lyonnaise, vous en rendez-vous compte ?
Je ne sais pas… On fait bouger les lignes comme on peut. Mais rien ne vient sans effort dans la vie. Tous les sacrifices que nous avons consentis pour en arriver là en témoignent. C’est un métier de rigueur, de passion, où il faut s’investir à 200 % chaque jour, y compris les week-ends. C’est une valeur essentielle pour nous. Avec Tabata, nous aimons recevoir, et nous voulons que les gens ressentent cette envie. Si un jour on nous dit que nous sommes inspirants, ce serait formidable. Mais pour l’instant, nous restons concentrés sur ce que nous aimons : notre métier, le partager, et continuer à être simplement des aubergistes dans l’âme, sans prétention, mais avec le cœur.
Est-ce que Lyon est toujours la capitale de la gastronomie ?
La scène culinaire lyonnaise est cyclique. Pendant longtemps, Lyon a été marqué par de grandes maisons et des noms prestigieux qui ont forgé sa réputation. Puis, une vague de modernité a émergé dans les années 2010. Mais le Covid a freiné cet élan, et aujourd’hui, les ouvertures sont plus rares, bien qu’on sente encore un attachement des Lyonnais à bien manger et bien boire. Lyon reste une ville gastronome où l’art de la table est central. Concernant le titre de « capitale de la gastronomie », il reflète surtout une philosophie héritée de figures comme Paul Bocuse, qui ont valorisé la cuisine française. Lyon, grâce à sa situation géographique idéale et ses produits locaux – entre la Drôme, les montagnes, et les vignobles voisins – reste un porte-drapeau de la gastronomie. C’est une ville qui incarne l’amour de la bonne table.
Et comment voyez vous la scène gastronomique française ?
La situation en France reflète un certain contexte morose, mais nous restons fiers de notre pays et de sa gastronomie. Avec Tabata, nous défendons et croyons en la richesse culinaire française, même après avoir beaucoup voyagé. La France reste un grand pays pour la gastronomie, malgré les défis qui sont les mêmes partout, comme au niveau du recrutement.
Comment imaginez-vous la gastronomie dans 10 ou 20 ans ?
La gastronomie évolue constamment, suivant des cycles et des inspirations. Par exemple, on est passés des nappes aux tables en bois épurées, et maintenant les nappes reviennent. Dans dix ou vingt ans, de nouveaux concepts émergeront, peut-être inspirés par des influences africaines ou autres, reflétant notre monde de plus en plus connecté. C’est pour cela que nous avons nommé notre brasserie Roseau : comme cette plante qui plie sans rompre, la gastronomie française se réinvente sans perdre ses racines. Après avoir intégré des influences nordiques, japonaises ou espagnoles, on revient toujours à l’essentiel. L’avenir est imprévisible, mais la richesse et l’adaptabilité de notre patrimoine culinaire resteront au cœur de tout.