Charles Weyland, un chef d’orchestre au Clarence

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Il existe des directeurs de salle qui déroulent leur partition comme on le ferait d’un exercice parfaitement appris. Et puis, il y a Charles Weyland. À 40 ans, regard franc et gestes précis, le directeur du Clarence (Paris 8e) fait du service un art vivant.

Charles Weyland
Charles Weyland. Crédit : DR.

Soudainement en plein service, le chef (Christophe Pelé NDLR) peut décider de tout changer. C’est comme dans le jazz, tu peux t’arrêter en plein milieu d’une partition, et partir sur une toute autre tonalité”, déclare Charles Weyland, directeur de salle du Clarence (Paris 8e), lorsque nous le rencontrons au sein de l’historique établissement. Ce métier de chef d’orchestre, cela fait 20 ans qu’il l’a dans la peau. Sa partition, il l’a connaît désormais sur le bout des doigts. Et pour cause, Charles Weyland est parvenu à acquérir au fil des années une aisance sans faille qu’il marie avec ingéniosité à une philosophie du mouvement, de l’écoute et du rebond et ce, quelle que soit la situation. Accompagné d’une équipe soudée comme un corps de ballet, il propose au Clarence une chorégraphie tant maîtrisée qu’elle peut s’autoriser des arabesques spontanés.

Cette vocation, elle naît d’abord d’un souvenir fondateur. “J’ai grandi en Lorraine et ma grand-mère était hôtelière. Je me souviens qu’enfant, j’adorais lui préparer son café”, déclare ce dernier. Pourtant, cette madeleine de Proust ne suffit pas à l’élancer dans les métiers de salle. Charles Weyland suit d’abord un bac général qui lui ouvre les portes de l’université afin de suivre un parcours axé économie. Mais ne dit-on pas “chassez le naturel et il revient toujours au galop” ? C’est ainsi que plusieurs années plus tard, aux effluves boisées et chocolatées du café, se superpose une autre scène marquante vécue, elle aussi, durant son enfance. Âgé d’une vingtaine d’années, Charles Weyland retourne au Flot Excelsior, une institution de sa région natale.

Là, tout lui revient. « Je me revois à l’un de mes anniversaires. Je devais avoir quatre ou cinq ans. À ce moment-là, les lumières s’éteignent, et les maîtres d’hôtel arrivent en rang d’oignon, avec des bougies. Je me souviens de leurs voix puissantes. C’était un véritable théâtre vivant », se remémore Charles Weyland. Cette réminiscence joue un rôle décisif puisqu’il décide dès lors de quitter la monotonie universitaire pour les établissements de Pierre Gagnaire. Après dix années passées à ses côtés, le jeune directeur d’établissement souhaite quitter le navire amiral pour continuer son éclosion. Il rejoint le chef japonais Kei Kobayashi, à l’époque auréolé d’une unique étoile au Guide Michelin. Dans ce jeune établissement, Charles Weyland éprouve un grand sentiment de liberté. “J’avais l’impression de vraiment pouvoir imprégner ma propre patte”, précise-t-il. Puis, il passe par le Ritz, place Vendôme (Paris 1er), et apprend “les rouages d’une grande machine” et le “all day dining”.

Une partition vivante et hors du temps

Désormais bien établi au cœur des murs du Clarence, Charles Weyland travaille dans l’osmose la plus totale avec le chef doublement étoilé Christophe Pelé. “Nous sommes sur notre petit nuage. En cuisine, Christophe a une grande liberté de création tandis qu’en salle, nous sommes là pour susciter une énergie, une certaine ambiance. L’idée dans ce métier, c’est de parvenir à lâcher prise. Il ne faut jamais être figé”, soutient le directeur de salle. Selon lui, ces métiers, plus que jamais sans doute, se doivent d’être adaptables, sensibles et profondément “libres”. En outre, Le Clarence s’attache à refléter un lieu où s’entrelacent les relations sincères. “Je veux que chacun conserve sa personnalité. Par exemple, lorsque Gaëlle, Yanis ou Julie s’adressent à un client, il est important qu’ils fassent vivre leurs mots, qu’ils s’en soient imprégnés et non qu’ils récitent une poésie ou un passage qu’on aurait pu leur demander d’apprendre sur le bout des doigts”, explique-t-il.

Bien sûr, ce métier, c’est aussi une multitude de souvenirs. Des moments suspendus, qu’il raconte avec pudeur et chaleur. L’anniversaire d’une cliente un samedi soir, où toute l’équipe s’est prise au jeu, a ri, a dansé, jusqu’à très tard. Ou cette femme, venue dîner seule pour honorer une réservation faite avec son mari, parti un peu trop tôt. « Ce jour-là, il y avait un flottement. On ne comprenait pas. Puis on a parlé avec elle. Et tout s’est éclairé. On a tout fait pour qu’elle passe un beau moment. » Il évoque encore ces scènes de fiançailles dans ces salons somptueux, ces enfants curieux comme cette petite fille qui réclame un beurre blanc. “Je suis allé voir le chef en cuisine pour faire passer son message. C’est aussi ça mon rôle”, confie-t-il. Dans ces instants, Charles Weyland touche ce qui, au fond, l’a toujours animé : la sincérité des liens, la justesse du geste et enfin, la beauté d’un service qui ne se contente pas d’être bon, mais qui touche l’âme.

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