Pierre Josse, fraternité bistrotière
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Ancien rédacteur en chef du Guide du routard, Pierre Josse a sillonné le monde et des centaines de bistrots. Ce reporter de 80 ans est engagé dans l’Association pour la reconnaissance de l’art de vivre dans les bistrots et cafés de France. Il cosigne avec notre confrère, Pierrick Bourgault, l’exposition photographique « Au bonheur des bistrots ».
Pierre Josse est une figure du Guide du routard, où il exerça pendant près de 40 ans. Pour les lecteurs familiers du guide édité par Hachette, cet ancien rédacteur en chef fut longtemps celui qui portait un globe-terrestre, dessiné en guise de sac à dos, sur la quatrième de couverture. Sa passion pour le voyage a commencé très jeune, grâce à « une idée géniale » de sa mère. « Elle était catho, un peu bigote, mais très ouverte, confie l’intéressé. À mes 17 ans, elle me met sur un bateau au Havre et “ Go west young man ! ” [Va vers l’ouest jeune homme, NDLR] ». C’est ainsi qu’il découvre New York, avant l’âge adulte. « Tu rentres dans un New York tel que l’avaient vu les premiers immigrants. Ellis Island venait juste de fermer », se souvient le Parisien. Après son service militaire, et quelques passages au trou, il intègre une école d’art, devient « décorateur et monteur de stand pendant cinq ans dans une boîte allemande » et tombe dans la révolution… « mais alors sévère ! ». En 1966, l’année de ses 22 ans, il participe à la construction de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), « un des éléments moteurs de mai-68 », aux côtés d’Alain Krivine, Henri Weber et Daniel Bensaïd.
« Le bistrot, c’est vraiment ma culture. »
En parallèle de son militantisme, il connaît un parcours professionnel un peu chaotique. Lassé par son travail artisanal de « monteur de stand de foire, décorateur de magasin », il ressent « la nostalgie d’apprendre » et profite alors du dispositif mis en place par « un ministère de l’Éducation nationale génial », Edgar Faure, à l’origine de la création de l’université Paris 8-Vincennes. « Si on avait fait trois ans de boulot, on pouvait rentrer sans le bac et faire des études », explique Pierre Josse, titulaire en 1970 d’une licence d’anglo-américain. Diplôme en poche, il enseigne pendant trois ans à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), avant de se retrouver dehors à la suite d’une « divergence grave avec l’institution pénitentiaire ». Il retrouve alors un métier manuel, au sein de l’imprimerie Draeger, dans le sud de Paris, et monte « des gros rouleaux de papier sur des paquebots géants », afin d’imprimer du papier peint, des catalogues, des tickets de PMU ou encore des billets en francs CFA. Alors délégué syndical, Pierre Josse est (une nouvelle fois) mis à la porte de l’usine. « Je voulais rester dans l’imprimerie et je choisis d’aller à Estienne [École des arts graphiques, Paris 13e] où j’apprends le beau métier de lecteur, correcteur et préparateur de copies. » Après deux-trois ans dans la presse traditionnelle, où il corrige des articles pour L’Humanité, Le Monde et Le Matin de Paris, Pierre Josse se tourne vers l’édition au Guide bleu. Sa vie prend encore un virage : le directeur de ces guides touristiques lui évoque la création d’un nouveau guide maison (Hachette), le Guide du routard, qu’il intègre comme correcteur.
En 1979, « dans les couloirs, je rencontre Philippe Gloaguen, patron du Guide, et lui dis : “ Vous ne cherchez personne pour voyager un peu ?” », relate Pierre Josse. La chance ne souriant qu’aux audacieux, il est engagé dans la foulée comme reporter au Routard, dont le succès est grandissant, et y impose sa patte, fatigué par les guides existants consacrés à Paris : « Il y en a que pour l’Arc de Triomphe, la tour Eiffel et l’opéra. Mais le 20e arrondissement, la rue Jean-Pierre Timbaud, la Goutte- d’Or : qui en parle ? Personne ! » En explorant des quartiers borderline, où les bars et les bistrots rythment la vie sociale, son Guide du routard, Paris de 1984 devient un succès : 100 000 exemplaires s’écoulent la première année. « La moitié d’un Goncourt », s’en amuse Pierre Josse. « Un des endroits privilégiés, c’est le bistrot ! C’est le lieu de contact de tout le monde. C’est là qu’on fraternise, qu’on se fait des copains et que la parole se débloque. Je me suis rapidement aperçu que le bistrot était le point nodal de la communication et du rapport avec le peuple, ajoute-t-il. Le bistrot, c’est vraiment ma culture : l’endroit emblématique de mon adolescence et de toutes les connaissances que j’ai pu faire. »
Au-delà de son attachement personnel, Pierre Josse explique l’impact politique du bistrot à travers l’histoire, en s’appuyant sur l’exemple du Procope. Cette brasserie du 6e arrondissement de Paris a vu se réunir d’importantes figures de la Révolution française (Marat, Robespierre, Camille Desmoulins…), avant que Benjamin Franklin y rédige, plus tard, des éléments de la future Constitution des États-Unis. « Le bistrot était un élément extrêmement important de la vie sociale et politique… jusqu’à l’avènement du numérique », regrette Pierre Josse. Membre de l’Association pour la reconnaissance de l’art de vivre dans les bistrots et cafés de France en tant que patrimoine culturel immatériel, il continue de faire vivre son exposition photographique, « Au Bonheur des bistrots », avec le journaliste, écrivain et photographe Pierrick Bourgault (auteur de sujets dans nos colonnes). Leur exposition témoignage de la beauté et du charme de nos bistrots – est visible au centre culturel Jean-Vilar de Marly-le-Roi (Yvelines), jusqu’au 17 octobre, et sur les grilles du parc de Choisy (Paris 13e) jusqu’au 13 octobre.