Embaucher les seniors

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En pleine période de réforme des retraites, la question de l’emploi des seniors est sur le devant de la scène. En parallèle, le secteur de la restauration fait face à un manque crucial de main-d’oeuvre. Des professionnels s’astreignent à créer un pont entre ces deux univers, jusqu’à y trouver de nombreux avantages.

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Des acteurs du secteur CHR militent pour améliorer l'employabilité des seniors en hôtellerie-restauration. Crédits : Teepy Job

Quand Jean-Emmanuel Roux, fondateur de Teepy Job, s’est lancé en 2018, certains ne comprenaient pas pourquoi il présentait des seniors. « Les entreprises estiment qu’après 50 ans on n’est plus bons à rien », introduit celui qui a créé une plateforme d’emplois destinée aux plus de 50 ans. Qu’ils aient des difficultés à trouver un emploi, la nécessité d’augmenter leurs trimestres cotisés ou besoin d’appoint à une retraite insuffisante, bon nombre de seniors souhaitent, ou sont contraints par leur situation, rester actifs sur le marché du travail. « Certains ont vraiment du mal à retrouver un emploi car ils sont rejetés à cause de leur âge, souligne le fondateur de la plateforme. On a fait de la mise en relation entre ce public senior et des entreprises car on a remarqué que les TPE et PME avaient du mal à recruter de la main d’oeuvre qualifiée. » Teepy Job a ainsi dédié sa plateforme aux personnes de plus de 50 ans au chômage et aux retraités actifs. « L’objectif est qu’ils amènent leur savoir-faire dans ces entreprises et qu’ils transmettent aux jeunes », ajoute-t-il.

Parmi les 14.000 emplois proposés sur Teepy Job, 15% sont à destination du secteur CHR. Serveur, manager en restauration, cuisinier, barman, réceptionniste en hôtellerie, des postes sont à pourvoir un peu partout sur le territoire. « L’hôtellerie-restauration est un secteur en tension qui doit s’ouvrir à toutes les sources de candidats possibles », estime Jean-Emmanuel Roux. Pour lui, le recrutement d’un public dit senior va petit à petit se normaliser, notamment avec la nécessité de travailler plus longtemps mais aussi du fait du vieillissement annoncé de la population. En effet, selon les chiffres et les projections de l’INSEE, 31% de la population française aura 60 ans ou plus en 2035, soit 10% de plus qu’en 2007. L’âge moyen, qui était de 39 ans en 2007, passerait à 43 ans en 2035. Une réalité à laquelle le secteur CHR doit s’adapter. En outre, en 2017, 40% des employés en restauration avaient moins de 30 ans. Un chiffre qui s’établit à 20% tous secteurs confondus et qui montre à quel point le secteur CHR mise initialement sur la jeunesse.

Selon la même étude, seulement 14% des employés du secteur ont plus de 50 ans. « Jusque-là les restaurateurs préféraient prendre des jeunes, car la restauration est réputée pour être physique. Aujourd’hui, les seniors sont en forme et bon nombre de restaurateurs qui ont passé le pas y trouvent des avantages », expose l’entrepreneur. Un discours partagé par Nadège Trad, restauratrice à Juan-les-Pins (06). Cette dernière emploie cinq seniors, trois en cuisine et deux en salle, soit 25% de son effectif. « J’ai pris le risque et je ne le regrette pas. Ils connaissent leur métier, ont la valeur du travail, sont à l’heure, ont toujours un coup d’avance », souligne-t-elle, critiquant au passage l’attitude de certains employés plus jeunes, attentistes et désinvoltes.

Un public fiable

Toujours du côté de la Côte d’Azur, Henry Mathey, président de l’Umih 06, milite pour l’emploi des seniors et appelle les professionnels du secteur à s’ouvrir à ce public. « La profession est ouverte aux seniors, ce sont des gens fiables au niveau du travail, ils ont envie de bosser et sont capables d’assumer des services. Il faut qu’on aille chercher ceux qui sont motivés pour retrouver un emploi », exhorte-t-il. Selon les données du ministère du Travail, 316.000 personnes âgées de 55 à 64 ans étaient au chômage en Henry Mathey souhaite par ailleurs créer des formations à destination de ces seniors, novices en restauration, qui aimeraient rejoindre le secteur et appellent les institutions à se saisir de la question : « On a besoin que les départements, les régions, l’État, aident à attirer, à former ce public au même titre que des jeunes. On a besoin qu’ils communiquent là-dessus, qu’on montre que des gens à 50 ans sont dynamiques dans nos métiers. »

À Cholet (49), Muriel Lacroix-Pringarbe, directrice générale du groupe Rose de la Morinière, lassée de ne trouver personne pour ses différents établissements, a pris les choses en main. Cette membre du Medef local a organisé un job dating à destination des seniors. « À Cholet, le taux de chômage est très faible. Il n’y avait aucun jeune disponible ou intéressé et tous les 25-45 ans étaient déjà en poste. On a réalisé que les seules personnes qui pouvaient être motivées et disponibles étaient les 45-64 ans », explique-t-elle. À l’issue de cette journée de rencontres, elle embauche deux personnes, dont Françoise, ancienne factrice à la recherche d’un complément de revenus de retraite, comme responsable des petits déjeuners dans un de ses établissements. « On s’est rendu compte avec cette expérience que les seniors étaient fidèles à l’entreprise, qu’ils font bien leur boulot et qu’ils n’ont pas de problème d’horaire, de présentation ou de politesse », affirme-t-elle. Parmi les limites régulièrement soulevées sur l’emploi des seniors dans la restauration, la question de la pénibilité, du rythme et celle du manque d’adaptation aux nouvelles technologiques reviennent avec insistance.

Mais ces limites sont écartées par l’ensemble des acteurs rencontrés. « La plupart des seniors que j’ai pu croiser dans la profession sont ponctuels, souriants, patients, assure Henry Mathey. Ils ont un vécu, une expérience et sont fiables. On a besoin de gens qui ont un savoir-être avant tout. » De son côté, Muriel Lacroix-Pringarbe concède devoir s’adapter quelque peu. Elle propose à ses employés les plus âgés des contrats de 30 heures et organise des formations régulières sur la prise en main des logiciels utilisés dans ses établissements. « On s’adapte en fonction des gens, des profils. En tant que cheffe d’entreprise, il faut être souple. On va chercher avant tout un savoir-être, ce qui est le point principal dans nos métiers. On est en train de faire tomber les barrières d’âge au profit des barrières de personnalité », conclut-elle.

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