La nouvelle donne du pourboire

  • Temps de lecture : 5 min

Avec la multiplication des systèmes de paiement par QR code, la restauration adopte petit à petit la collecte des pourboires de manière dématérialisée. Si elle reste encore marginale, la pratique divise. Certains salariés sont unanimes sur son efficacité pour gonfler leurs fins de mois, tandis que d’autres s’inquiètent de la mise en lumière d’une partie de leur rémunération qu’ils estiment confidentielle.

Pourboire
La nouvelle donne du pourboire. Crédit : Unsplash.

Fini la soucoupe à pièces, bienvenue à la machine à cash ! Lorsqu’on évoque le sujet des pourboires, un constat met tout le monde d’accord : la digitalisation a doublé, voire triplé les cagnottes. Mais le consensus s’arrête là. Héritée des systèmes de paiement à table, qui ont démocratisé le digital dans le parcours client, la collecte dématérialisée des dons suscite encore la méfiance. Environ 22 % des Français disent utiliser le pourboire dématérialisé* et, dans le même temps, plus de 60 % restent très sceptiques.

Contrairement aux États-Unis où le pourboire s’affiche sans complexe sur les TPE pour rémunérer le service, les consommateurs français se sentent un peu obligés. La conduite du changement, aussi bien du côté des salariés que de celui des consommateurs, est un élément fondamental à prendre en compte, selon Christophe Dolique, président de Lyf, société de solutions de paiement mobile. « Nous avons tiré les leçons de la première solution de pourboire que nous avions lancée en 2021, rapporte-t-il. Les serveurs présentaient un QR code personnel aux clients pour collecter leurs pourboires. La marche a été très haute à franchir face aux habitudes : personne n’était mûr pour cela. Mais l’adhésion a radicalement changé lorsque nous avons intégré le pourboire à la fin du parcours de paiement sur mobile à table. C’est beaucoup moins intrusif pour tout le monde. »

Un argument de recrutement

La collecte et la répartition du pourboire évoluent au même titre que l’ensemble des fonctionnements de la restauration. Au nom de l’égalité, de la transparence ou pour une meilleure attractivité des entreprises. Certains patrons ont opté pour l’équité pure et simple. « Nous travaillons sans rangs, avec une politique de partage équitable entre toute l’équipe, y compris la cuisine. C’est clairement devenu un argument pour recruter », explique Georges Laureau, associé gérant des établissements Mifa Group. Désormais, il affiche sa politique jusque dans ses offres d’emploi.

Une autre partie des professionnels n’est, pour autant, pas encore prête à balayer les pratiques habituelles. Au Vaudeville (Paris 2e), la mise en place de l’addition digitale n’a pas fait l’unanimité. « Nos chefs de rang ont le choix de placer ou non les QR codes sur leurs tables pour inciter le paiement dématérialisé, explique Colin, maître d’hôtel responsable au sein de la brasserie. Certains préfèrent les collecter en direct, sans passer par une application » comme Beryl, cheffe de rang dans l’établissement. Elle a bien conscience que la collecte dématérialisée est plus lucrative, mais elle ne se sent pas lésée. Et surtout, elle estime que le montant de ses gains ne regarde qu’elle. Son collègue Antonio abonde : « Jusqu’à présent, les pourboires n’étaient pas taxés parce qu’il était impossible de les contrôler. À partir du moment où c’est informatisé, ce n’est plus la même histoire. »

L’ombre de la fiscalisation

Sunday a développé plusieurs solutions de paiement à table et a automatisé la perception des pourboires, directe et indirecte. L’évolution de la gestion et de la collecte des pourboires dans les entreprises a conduit l’entreprise à lancer, il y a quelques mois, un module totalement différent, en circuit fermé.

« Lorsqu’un restaurateur décide de distribuer du pourboire au personnel qui n’est pas en contact avec la clientèle, il a l’obligation de ne pas avoir connaissance des montants distribués. Il ne peut donc pas y avoir de centralisation, explique Théo Landereethe, directeur des opérations chez Sunday. Nous avons donc mis au point une solution décentralisée qui permet au restaurant de déléguer le versement des pourboires à Sunday. L’employeur nous communique seulement les clés de répartition pour que nous reversions les sommes aux employés directement sur leur compte bancaire. Nous informons les salariés de l’obligation de déclaration, libre à eux d’agir comme ils le souhaitent. »

Exonération de cotisations

Malgré la prolongation (jusqu’à la fin de 2025) de l’exonération de cotisations et d’impôts sur le revenu pour une partie des professionnels, la fiscalisation des pourboires pèse comme une épée de Damoclès. Et les instances professionnelles espèrent pouvoir mettre fin au doute par la loi (voir interview de Franck Trouet). Même si les employés étaient les premiers impactés, Georges Laureau estime que le métier perdrait en attractivité.

Chez Lyf, Christophe Dolique avance à pas mesurés. « Il est urgent d’attendre. Tant que les pourboires seront défiscalisés, les applications seront plébiscitées par les serveurs. Mais si demain ils finissaient par être taxés, certains enclencheraient sans doute le frein. » Dans certains établissements où les pourboires atteignent des sommets, les équipes se posent déjà la question d’un retour en arrière pour passer sous les radars, le cas échéant. Georges Laureau souhaite tout de même nuancer : « Les applications permettent d’encaisser beaucoup plus de pourboires qu’avant, on ne peut pas tout avoir non plus. »

*Baromètre Opinion Way pour Lyf – Mars 2025

IMPOSITION

La loi de Finance pour 2025 a reconduit le dispositif d’exonération des contributions et cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, jusqu’au 31 décembre 2025. Cela vaut pour les pourboires-libéralité exclusivement, c’est-à-dire les sommes remises volontairement par le client, en sus de sa note. Seuls les salariés en contact avec la clientèle sont concernés, en référence à la loi Godard, et à condition que leur rémunération mensuelle soit inférieure à 1,6 Smic (soit 2 882,88 €).

DÉCLARATION

Malgré la mesure d’exonération, la déclaration des pourboires reste une obligation dans la mesure où ils sont considérés comme un revenu, au même titre qu’un salaire. Il est de la responsabilité des employeurs de faire apparaître ces montants sur les fi ches de paie, en y appliquant les exonérations de cotisations. Lorsque c’est le cas, le salarié doit penser à corriger sa déclaration de revenus pour bénéfi cier également de l’exonération d’impôts sur le revenu. Cette modification concerne les cases 1AJ (si le montant des pourboires est inclus dans le montant global des salaires) et la case 1PB qui permet d’indiquer le montant des pourboires non imposés.

PARTAGER