Marché du kebab, vers la normalisation

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Le sandwich kebab représente un acteur à part entière de la restauration rapide. Souvent méprisé par une classe d’âge, il reste plébiscité par les plus jeunes. En voie de normalisation, il monte en gamme et pourrait désormais inspirer des créateurs d’enseignes et des restaurateurs désireux d’ouvrir leurs cartes.

Kebab
Berliner sandwich. Crédit DR.

Il y a quelques semaines, le quotidien Le Monde évoquait les stages « kebab », surnom « des stages d’observation par défaut » qu’effectuent les élèves de 3e des milieux défavorisés. Cette expression est symptomatique du peu de considération accordé à ce secteur de la restauration rapide. Souvent méprisés, les tournebroches verticaux qui fleurissent derrière les comptoirs de la street food connaissent pourtant un beau succès, car ils peuvent compter sur une clientèle d’inconditionnels chez les adolescents et les jeunes adultes.

Selon le Gira, 360 millions de kebabs ou döners seraient ainsi commercialisés chaque année dans 11.000 restaurants spécialisés. Certes, le marché évolue loin derrière ceux du sandwich, de la pizza ou du burger, mais il est loin d’être anecdotique. Les restaurants liés à ce produit se sont souvent développés dans des banlieues défavorisées, voire en périphérie des villes. Ils ont assuré leur survie en tirant sur les prix, sans investir outre mesure dans le décor. Lorsqu’ils s’aventurent dans les centres-villes, ils sont regardés avec méfiance par les édiles, même si des files d’attente se forment régulièrement devant leurs échoppes. Ainsi il y a deux ans, alors que deux « Kebabiers » s’étaient installés côte à côte dans le 17e arrondissement, le maire, Geoffroy Boulard, confiait au quotidien Le Parisien : « C’est un commerce qui apporte beaucoup de nuisances. La rue des Batignolles n’est clairement pas adaptée pour. »

Plus instagrammable

En lisant ces propos peu amènes, on comprend pourquoi le secteur est tenu à la marge. Pourtant, le président du Gira Conseil estime qu’il est promis à un bel avenir : « C’est un mode de restauration qui existe depuis un demi-siècle et a largement dépassé le cadre ethnique. Ceux qui en parlent mal sont des quinquagénaires qui n’ont jamais mis les pieds dans ce type de restaurants. Mais la génération Z adore. C’est vrai que le secteur a pâti d’une mauvaise réputation, mais il revient sur le devant de la scène en devenant plus sexy et plus instagrammable. »

Le prix moyen du « sandwich grec ou turc » a augmenté. Sous la barre des 5 euros il y a dix ans, il évolue aujourd’hui. entre 8 et 9 euros. « C’est une augmentation indépendante de l’inflation, précise Bernard Boutboul. Elle traduit une montée en gamme et en qualité. Le sandwich est accompagné de légumes, de salades assaisonnées. De plus en plus, le kebab est délivré sur assiette. » La recherche de qualité passe aussi par l’abandon des broches surgelées bon marché qui constituent encore 90% de l’offre. Avec des prix de viandes de 4 à 5 euros au kg, ces gros cônes congelés séduisent les exploitants avec les arguments du prix et de la praticité.

Une broche de viande fraîche

Broche à viande pour kebab
Broche avec de la viande fraîche de Impact Berliner Kebap. Crédit DR.

Pourtant, de plus en plus de restaurants choisissent de fabriquer eux-mêmes leurs broches avec de la viande fraîche et des marinades maison. Rue de la Boétie, à deux pas des Champs-Élysées, le restaurant OZ, ouvert depuis 2021, compose ses broches avec de la viande fraîche. En outre, ce sont les cuisiniers qui découpent la viande et fabriquent la marinade. Son directeur Numum Cambola est fier de proposer un produit authentique, conçu dans les règles de l’art. Le restaurant de la Boétie où figure sur la devanture l’inscription « Maître Kebabier » appartient à un petit groupe initié en 1991 par Mehmet Alparslan, avec la création sur les mêmes principes de Mélodie, rue d’Amsterdam (Paris 9e). Deux autres restaurants de ce type ont ensuite été ouverts par le groupe à Gonesse, à Garches et plus récemment à Osny (Val-d’Oise).

Rue de la Boétie, l’essentiel de la consommation a lieu sur place sur les 70 places assises qu’offre l’établissement. La vente à emporter et la livraison restent marginales. Outre la qualité des produits, Numum Cambola insiste sur l’hygiène et le soin de présentation. Viandes et frites sont servies dans des contenants en papier différents. La clientèle présente une moyenne d’âge supérieure à 30 ans. L’embourgeoisement de ce secteur de la restauration rapide se réalise toutefois sans griserie sur les tarifs qui restent mesurés. Rue de la Boétie, le prix de la formule sandwich kebab-boissons est fixé à 10,80 euros.

« Ce n’est pas facile dans une période où le prix de la viande augmente de 60% », assure Numum Cambola. On peut d’ailleurs remarquer que, en banlieue, les prix sont encore plus tendus puisque la même formule est proposée à 9 euros dans l’enseigne Oz d’Osny.

Un équilibre délicat

La montée en gamme présente en effet des limites. Saluée par la critique, la chaîne Grillé lancée en 2014 par Frédéric Peneau et le célèbre boucher, Hugo Desnoyer, a fermé son dernier établissement au mois de juillet. Évoluant sur des tarifs trop élevés, elle n’a jamais vraiment trouvé son public ; huit ans après sa création, elle n’avait jamais dépassé les rois unités. À l’issue de la crise sanitaire, un nouveau directeur général, Thierry Favier, a tenté de relancer l’enseigne avec une carte élargie et des tarifs plus adaptés (sandwich à 9,90 euros et formule à 13,90 euros).

Plusieurs ouvertures étaient programmées, mais finalement, Thierry Favier a dû renoncer pour se concentrer sur ses autres enseignes. « La conjoncture nous a amené à réfléchir, explique-t-il. D’une part, le prix de revient de notre produit haut de gamme a fortement augmenté et avec le contexte inflationniste, les consommateurs arbitrent leur budget. La livraison, axe de développement incontournable, était aussi trop onéreuse sur ce produit. » Thierry Favier indique aussi que son enseigne, qui misait sur une clientèle de centre-ville, était pénalisée par des loyers très lourds.

Les chaînes n’ont jamais fait recette dans ce secteur. La réussite la plus spectaculaire est à mettre à l’actif de Nabab Kebab, qui avait été créée en 2003, à Tours, par Hakim Benotmane. Elle aurait compté jusqu’à 140 restaurants. Mais ensuite le parc a régressé, enregistrant même des fermetures administratives, notamment dans le restaurant historique de Tours. On remarque toutefois de petits groupes régionaux qui se développent sur le segment du kebab, à l’image de Mister Döner, très inspiré de la tradition turque. On peut d’ailleurs noter que la nouvelle vague se réclame moins du kebab et désigne ce sandwich sous d’autres vocables : döner ou dürüm et se réfère plus volontiers à une tradition germano-turc.

Un kebab de plus en plus revisité

À Montmartre, Gemüse se réclame du « kebab berlinois ». Chez Impact Berliner Kebap, le « maître kebabier », Madhi Abid nous propose « une plongée historique dans le kebab berlinois, né dans la capitale allemande dans les années soixante-dix ». Sürpriz, qui détient deux restaurants à Paris, met l’accent sur « sa spécialité berlinoise, réalisée avec des produits artisanaux faits maison » et insiste sur les légumes frais qui entrent dans la composition des sandwichs. L’enseigne Berliner Däs Original, fondée en 2018 boulevard Voltaire (Paris 11e), s’affirme comme la représentante la plus emblématique de ce courant. Elle compte aujourd’hui 20 unités en France. Hubert Dessaint, son directeur général, ne cache pas son ambition de devenir leader du secteur : « Le marché évolue positivement et on y contribue en apportant de la traçabilité, de la qualité et de l’hygiène ».

iKebab Impact Berliner Kebap
Confection d'un kebab chez Impact Berliner Kebap. Crédit DR.

Le marché du kebab cherche en effet à acquérir une respectabilité nécessaire à un plus large développement. Le modèle McDo est bien présent dans les esprits de la nouvelle vague, qui s’efforce de proposer un produit plus aseptisé, normalisé, mais qui conserve ce caractère addictif et séduisant pour les jeunes générations. Les brasseries ne doivent pas négliger ce produit. Depuis 20 ans, elles font recette avec des burgers, puissant levier d’appel vers une jeune clientèle. Il est peut-être temps pour elles de s’approprier le kebab.

Berliner Däs Original, l’enseigne à suivre

Fort de huit restaurants en succursale, et 12 en franchise, Berliner Däs Original, désormais bien implanté en Île-de-France, vise la province. Une dizaine d’ouvertures déjà signées sont planifi ées cette année. Ces restaurants, qui réalisent en moyenne un CA annuel de 1 million d’euros, séduisent et visent principalement les centres-villes et les centres commerciaux. L’offre du sandwich a d’abord été agrémentée de sauces maison et d’un assortiment attractif de légumes. Pour le reste, pas question de renoncer aux cônes de viande surgelés. Pour garantir l’hygiène, la traçabilité et une qualité homogène dans tous ses restaurants, Hubert Dessaint s’est tourné vers un sous-traitant italien qui lui fabrique et surgèle les cônes poulet ou dinde/veau des restaurants selon un cahier des charges rigoureux.

iDevanture de Berliner Däs Original
Devanture de Berliner Däs Original. Crédit DR.

Le ticket moyen de l’enseigne évolue autour de 16 euros au gré d’un sandwich à 9,50 euros et d’un menu à 13,50 euros. Hors achat du fonds de commerce, le coût de création d’un Berliner est estimé à 350.000 euros. Les franchisés, selon Hubert Dessaint, peuvent ainsi se lancer dans l’aventure avec un apport personnel de 50.000 à 70.000 euros. Outre un droit d’entrée de 30.000 euros, les candidats devront rétrocéder à l’enseigne 6% de leur CA HT sur les ventes sur place et 4% sur celles effectuées en livraison. Une redevance marketing de 5% du CA est également exigée.