Covid-19 : des fermetures administratives excessives

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Les contrôles se multiplient, comme les décisions de fermeture administrative. La volonté de l’État de durcir le ton a engendré des excès de la part du préfet de police de Paris. Mais, du fait des conditions strictes d’accès au juge des référés, il est difficile pour le restaurateur d’obtenir rapidement l’annulation de la décision de fermeture.

Terrasse fermée
Terrasse fermée

Sans doute inquiet des multiples appels à la désobéissance civile et à la réouverture potentielle des restaurants, l’État a demandé aux préfets de durcir le ton face aux CHR. Les contrôles se sont alors multipliés, les mesures de fermeture administrative aussi. « Il y a eu pendant 10 à 15 jours une accélération brutale du nombre de contrôles et de fermetures, confirme Me Henri de Beauregard, avocat associé au cabinet BeLeM Avocats. Cela témoigne vraisemblablement d’une instruction visant à multiplier ce nombre, même au prix de contrôles excessifs : soit bien trop tatillons, soit excessivement répétitifs. » Un avis partagé par Me Laurent Bidault, avocat associé au sein du cabinet NovLaw, en charge de plusieurs dossiers relatifs à des mesures de fermeture administrative : « La préfecture de police de Paris en particulier s’en donne à cœur joie, c’est-à-dire que très souvent elle prend un arrêté de fermeture, sans aucune mise en demeure préalable comme l’exigent les textes. » Depuis le 1er janvier 2021, 352 mesures de fermeture administrative ont ainsi été prises à Paris dont 290 débits de boissons, selon des chiffres communiqués par la préfecture de police de Paris. Me Henri de Beauregard précise que les dossiers qu’il a eu ne concernaient pas des restaurants clandestins. Mais les faits reprochés affectent « des files d’attente pour la vente à emporter avec des gens trop proches, un patron seul dans son restaurant ne portant pas de masque ou le non-port réglementaire du masque de salariés ».

L’absence de mise en demeure discutable

L’avocat Me de Beauregard a représenté le propriétaire du Café Hugo, situé place des Vosges (Paris 4e), qui a fait l’objet d’une fermeture administrative. « Il y avait la queue devant le point de vente à emporter, sous les arcades, raconte-t-il. Mais les policiers ont considéré que les clients se trouvaient sur la terrasse de l’établissement. Il était aussi affirmé que certains d’entre eux ne portaient pas de masque car ils venaient de consommer. » Pour cela, le café est sanctionné de 15 jours de fermeture. La décision a néanmoins été annulée par le juge des référés, le préfet de police de Paris n’ayant pas notifié au restaurateur de mise en demeure préalable.

À savoir, l’article 29 du décret du 29 octobre 2020 permet au préfet de police de fermer administrativement un établissement recevant du public lorsque celui-ci ne respecte pas les obligations sanitaires qui lui incombent. Or, ce même article précise que cet arrêté peut être pris « après mise en demeure restée sans suite ».

L’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration dispose aussi que ce type de décision ne peut intervenir sans être précédé d’une procédure contradictoire. Mais pour contourner cette obligation, le préfet s’appuie sur l’article L. 121-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ce texte de droit commun prévoit en effet qu’une procédure contradictoire* (notamment la mise en demeure préalable) n’est pas obligatoire en cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles.

« En droit, le texte spécifique s’applique »

Laurent Bidault explique la manœuvre des préfectures : « La malice de la préfecture est de citer les dispositions générales. Nous serions hors contexte sanitaire, ce serait ces dispositions qui s’appliqueraient. Sauf qu’aujourd’hui nous sommes dans un cadre d’exception qui est régi par le décret du 29 octobre 2020, et c’est donc ce texte-là qui prime. La préfecture se fonde sur ce décret pour prendre un arrêté de fermeture administrative, mais pour ce qui est de ne pas respecter l’obligation de mise en demeure préalable, elle se rapporte au cadre général. C’est totalement illégal. En droit, le texte spécifique s’applique, et à défaut de disposition particulière c’est le texte général. »

« Avec un référé-suspension, le juge peut se prononcer jusqu’à 10-15 jours après fermeture, et en référé-liberté, le juge doit en principe se prononcer dans les 48 heures. » Me Laurent Bidault, avocat associé au sein du cabinet NovLaw

La préfecture de police de Paris a réagi en indiquant à nos confrères du Point qu’un propriétaire de restaurant ou de bar possède le droit de contester son arrêté. Contactée par La Revue des Comptoirs , elle a ajouté que « la grande majorité des procédures en référé contestant une fermeture devant le tribunal administratif a été rejetée, confirmant le bien-fondé des fermetures prononcées par le préfet de police ».

Pour Me Laurent Bidault, « ce n’est pas parce qu’une décision n’est pas contestée qu’elle est légale. Et elle a pu très bien être contestée et échouer au stade de l’ordonnance de tri vis-à-vis de la condition d’urgence, appréciée très strictement par le juge, voire trop strictement dans un contexte économique déjà très détérioré pour les restaurants. Donc conclure de la légalité d’une décision du fait qu’elle n’a pas été contestée est faux. C’est un raisonnement qui est facile pour faire de la communication, mais en réalité beaucoup de commerçants ou restaurateurs sont juste dépités et renoncent à contester la décision. »

Analyse stricte de l’urgence 

Aux arrêtés illégaux du préfet se pose la question de l’accès au juge des référés, la voie la plus rapide pour obtenir une décision de justice. « Depuis l’affaire du Café Hugo, j’ai eu deux décisions de rejet », rapporte Me Henri de Beauregard. Le juge de l’urgence a rejeté ses recours selon le motif de l’insuffisance… d’urgence, une condition sine qua non dans ce type de procédure. Or, l’avocat affirme avoir apporté les mêmes éléments de preuve que pour le Café Hugo, qui a obtenu gain de cause.

Alors que pour les recours au fond la procédure peut durer environ un an, les procédures d’urgence apparaissent comme la meilleure solution pour contester rapidement une fermeture administrative, tant que ses effets persistent. « Avec un référé-suspension, le juge peut se prononcer jusqu’à 10-15 jours après fermeture, et en référé-liberté, le juge doit en principe se prononcer dans les 48 heures », explique M Laurent Bidault. Mais l’avocat déplore le « filtre » mis en place pour « éviter un engorgement ». La condition d’urgence est analysée par le juge de manière très restrictive.

« Si le restaurateur ne démontre pas suffisamment que la mesure va lui porter préjudice économiquement, ce dont on peut difficilement douter vu le contexte économique, les juridictions administratives n’analysent même pas le recours et n’observent pas si la mesure de fermeture administrative est légale ou illégale. » Pour Me Henri de Beauregard, « il y a quelque chose d’assez gênant, choquant. C’est peut-être illégal, mais on vous balade sur l’urgence. C’est une manière de botter en touche pour ne pas entraver l’action de la préfecture de police de Paris ».

* Le principe du contradictoire constitue l’un des principes fondamentaux du droit français. Il garantit à chaque personne le droit de connaître les faits qui lui sont reprochés ainsi que les preuves et les arguments de droit utilisés par l’autre partie.

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