La restauration étoilée n’est plus la priorité

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Le fait d’accueillir en cuisine un chef auréolé par le Guide Michelin n’est plus aujourd’hui un impératif pour les gestionnaires des hôtels de luxe. La restauration « étoilée » ne rimant pas forcément avec rentabilité économique, l’offre gastronomique s’accorde avant tout avec l’identité de l’hôtel.

Pendant des années, les palaces comme le Meurice, le Crillon, le George-V et le Plaza ont fait la course aux deux ou trois étoiles Michelin. Leurs restaurants gastronomiques avaient le temps et les moyens pour accéder à cet objectif. Aujourd’hui, les personnes décisionnaires des hôtels ne souhaitent pas y investir. Le restaurant gastronomique n’est plus la priorité, nous sommes davantage sur le côté brasserie ou bistrot. » Christopher Hache établit ce constat avec plus de quinze ans d’exercice dans les cuisines de grands hôtels parisiens. Après des débuts au Lucas Carton, puis trois ans au Bristol, il devient chef du Crillon de 2010 à 2019 (Les Ambassadeurs et L’Écrin), où il succède à Jean- François Piège et obtient – dès l’année suivant son arrivée – une étoile au Michelin. Depuis le mois de mars, le chef de 37 ans est à la tête de son propre établissement à Eygalières (Bouches-du-Rhône), la Maison Hache, regroupant restaurant et chambres d’hôtes, dans un cadre familial et plus discret. Christopher Hache dit avoir « adoré » ses « années palaces », mais se plaît aujourd’hui à « sublimer des plats provençaux », comme son agneau des Alpilles. « Je veux que mon restaurant soit plein et qu’il ait de bons retours. Après, s’il y a des étoiles, on sera content, ça nous aidera dans le développement. » Les hôtels de luxe de la capitale ne sont plus eux dans le développement, mais plutôt dans le maintien de leur standing ou dans une optique de renouvellement bien étudié. « Les trois étoiles attribuées au Cinq récompensent l’essence même de la cuisine contemporaine. Nous nous efforçons de faire évoluer constamment notre style et nos techniques afin de créer un lien émotionnel avec nos clients », se félicite Christian Le Squer, chef du Cinq depuis 2014, sur le site du Four Seasons Hotel George-V. Cet hôtel luxueux du 8e arrondissement fait partie des douze établissements parisiens (31 en France) à bénéficier de la distinction « palace », attribuée durant cinq ans aux établissements cinq étoiles « d’exception », sous la conduite de l’Agence de développement touristique de la France, Atout France.

« On ne gagne pas d’argent avec un grand chef »

Mais parmi les palaces, tous n’ont pas la même direction aujourd’hui. François Delahaye, directeur général du Plaza Athénée depuis vingt ans et directeur des opérations du groupe Dorchester Collection, confirme ces différentes stratégies : « Beaucoup d’hôtels essaient de conserver leur offre gastronomique, mais aujourd’hui, je ne vois que le Bristol, le George-V et le Ritz qui vont dans ce sens. D’autres essaient encore, mais ils perdent de l’argent. Je pense qu’il y a des nouveaux choix à faire. Nous faisons partie des palaces les plus traditionnels, alors mettre un grand chef dans un grand hôtel a un vrai sens (NDLR : Alain Ducasse au Plaza, trois étoiles Michelin), même si on ne gagne pas d’argent avec un grand chef. » La fermeture de La Scène au sein du Prince de Galles, en février dernier, est symptomatique de l’analyse faite par François Delahaye. Alors que la cheffe Stéphanie Le Quellec venait de décrocher son deuxième « macaron » au Michelin trois semaines plus tôt, l’hôtel cinq étoiles du groupe Marriott annonçait la fermeture de son restaurant. Depuis, ce grand hôtel de l’avenue George-V travaille « sur un nouveau concept de restauration », mais offre pour l’instant à sa clientèle – si elle désire se restaurer – la carte de son bar Les Heures. Les classiques proposés sont de la « finger food » : un croque-monsieur, un bagel ou encore un cheeseburger black angus. Des salades César et une dizaine de desserts « Signature du chef » sont également au menu. Nous sommes loin des propositions gastronomiques de l’ancienne cheffe du restaurant de l’hôtel. Mais le Prince de Galles le concède : « Nous ne sommes pas les dignes représentants pour parler de ce sujet, actuellement. » De son côté, Stéphanie Le Quellec a rouvert sa propre Scène le mois dernier, délocalisée désormais avenue Matignon, avec la même équipe et toujours ce concept de cuisine ouverte au cœur de la salle. « Je ne voulais pas me retrouver à nouveau dans une cage dorée, comme ça peut être le cas avec des partenaires », expliquait au Figaro, le 19 octobre, la cheffe, qui préfère ne plus s’étendre sur ce sujet dans les médias. Cette tendance ne se limite pas à la France. Le Hyatt Regency Tokyo a annoncé qu’il fermait le restaurant Troisgros ouvert depuis 2006 dans ses murs et auréolé de deux étoiles Michelin.

« Un côté chic et décontracté»

Il a choisi de le remplacer par une formule de restauration simplifiée. Il y a quelques jours, de l’autre côté de la Seine, le Lutetia s’est vu attribuer par Atout France le titre de « palace ». L’hôtel, imaginé par Aristide et Marguerite Boucicaut – créateurs du Bon Marché – avait fermé pour rénovation entre 2014 et 2018. Avant cette fermeture, le Lutetia abritait, avec Le Paris, un restaurant une étoile. Aujourd’hui, l’hôtel offre plusieurs formules à sa clientèle. « Nous nous différencions des 11 autres palaces parisiens, admet Marine Servat, responsable communication de l’hôtel. Nous avons le restaurant Salon Saint-Germain, la brasserie Lutetia et deux autres bars. Beaucoup de nos clients viennent du quartier ou travaillent au Bon Marché. Au Bar Joséphine, nous proposons des burgers et des salades, des choses faciles à manger. Notre idée est d’être accessible à tout le monde. » L’hôtel Lutetia se veut représentatif du quartier de Saint-Germain-des-Prés et « empreint de l’esprit Rive gauche, insiste Marine Servat. Nous voulons être chics et élégants, mais pas trop guindés. Il est important de proposer une offre de restauration aux Parisiens et aux touristes, dans cet esprit Rive gauche. C’est-à-dire profiter, flâner et être épicurien. Nous n’avons pas d’étoiles ; si nous en obtenons de nouveau, nous serions contents, mais nous souhaitons garder un côté chic et décontracté dans tout l’hôtel. » Si l’on s’en réfère à cet exemple, aujourd’hui même, un palace peut très bien vivre sans aucune étoile. D’ailleurs, 9 des 31 places français sont aujourd’hui dans ce cas.

Classement au Michelin des restaurants présents dans les 31 palaces français.

Four Seasons Hôtel George-V : 3* + 1*

Hôtel de Crillon : 1*

Hôtel Lutetia : sans étoile

Hôtel Plaza Athénée : 3*

La Réserve Paris-Hotel and Spa : 2*

Le Bristol Paris : 3*+1*

Le Meurice : 2*

Mandarin Oriental Paris : 2*

Park Hyatt Paris Vendôme : 1*

Royal Monceau-Raffles Paris : 1*

Shangri-La Hotel Paris : 2*

The Peninsula Paris : sans étoile

Cheval Blanc Courchevel, Courchevel : 3*

Hôtel Barrière Les Neiges, Courchevel : sans étoile

Hôtel L’Apogée Courchevel : sans étoile

Hôtel Le K2, Courchevel : 2* + 2*

Hôtel Les Airelles Courchevel : sans étoile

Le Royal Évian, Évian-les-Bains : 1*

Byblos Saint-Tropez, Saint-Tropez : sans étoile

Château de la Messardière, Saint-Tropez : sans étoile

Château de Saint-Martin & Spa, Vence : 1*

Grand-Hôtel du Cap-Ferrat, Saint-Jean-Cap-Ferrat : 1*

Hôtel du Cap-Éden-Roc, Antibes : sans étoile

Hôtel Le Cheval Blanc, Saint-Tropez : 3*

La Bastide de Gordes, Gordes : 1*

La Réserve Ramatuelle, Ramatuelle : 1*

Villa La Coste, Le Puy-Sainte-Réparade : 1*

Hôtel du Palais, Biarritz : sans étoile

Les Sources de Caudalie, Martillac : 2*

Hôtel les Prés d’Eugénie, Michel Guérard, Eugénie-les-Bains : 3*

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