Le snacking en toute liberté

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L’évolution du marché de la restauration rapide (snacking) contribue à changer en profondeur les habitudes de consommation. L’offre s’étend, gagne en qualité, et flirte même avec les domaines voisins que sont la boulangerie et la restauration traditionnelle. Chacun dans leur domaine, les acteurs se mettent en rang pour proposer une réflexion de plus en plus poussée sur les goûts et l’expérience client.

Speak Snacking
La pizza est le premier produit préféré des français lorsqu'il est question de snacking. Crédit UnSplash.

À travers son top 100 mondial des plats les plus commandés, la plateforme Deliveroo laisse entrevoir l’orientation des goûts actuels. Ainsi, les bols à composer, à base d’ingrédients colorés, frais et sains, ressortent parmi les plats favoris en France, mais aussi dans de nombreux autres pays, notamment en Italie, au Royaume-Uni ou aux Émirats arabes unis, représentant 40 % du top 10 mondial. Le snacking, une tendance de fond, donc. Les favoris de longue date, à savoir les pizzas et les burgers, continuent de dominer, représentant respectivement 7 % et 19 % des plats vendus en livraison. Mais de nouveaux plats de la street food internationale concurrencent de plus en plus les « classiques » de la livraison : la popularité des wraps et des bols de burritos mexicains, par exemple, a presque doublé par rapport à 2022.

Snacking : le kebab renaît

En France, on assiste également à la renaissance d’un grand classique de la street food, le kebab (lire L’Auvergnat de Paris du 29 février 2024). Depuis trois ans, plusieurs enseignes, à l’instar de Sürpriz à Paris, Mont Berliner à Lyon ou la chaîne Berliner Das Original, ont entrepris de restaurer l’image du sandwich turc. Ce dernier figure d’ailleurs parmi les plats les plus commandés dans plusieurs régions françaises, selon le dernier baromètre Datalicious de Just Eat. « C’est un marché particulier car très atomisé, il n’y avait pas de leaders jusque-là, alors que, paradoxalement, les clients ont besoin d’être rassurés, explique Timothée Tronet, président de Brand Baker, le groupe à l’origine de la franchise Berliner DO. Notre enseigne souhaite proposer un produit de qualité, ce qui n’est pas la qualité propre de ce secteur. » Pour cela, l’entreprise a adopté tous les codes du fast casual (restauration rapide haut de gamme), qui détermine désormais les contours du snacking en France : bon, sain, réfléchi et impliqué. Les sandwichs intègrent donc un pain boulanger et le groupe a sourcé des broches de viande plus qualitatives que les standards (sans ajout d’eau, sans additifs). Une stratégie de réassurance qui paye puisque le groupe observe une modification de la clientèle, à moitié féminine sur un marché plutôt masculin jusqu’alors. Et un gain de valeur. « On est plus cher de 1 ou 2 €, ce qui n’est pas un problème dans les grandes villes. »

Snacking à thème

En quelques années, le snacking a pris de l’envergure. Alors que l’offre était encore essentiellement condensée autour des sandwichs, burgers, pizzas et salades en 2019, on assiste désormais à une réelle thématisation, aussi bien sur la variété d’enseignes qu’au sein même des points de vente. Les baos, les tacos, la pâtisserie américaine ou encore les tourtes – à l’image du concept Groot lancé par les anciens de Top Chef, Hugo Riboulet et Albane Auvray à Paris – tentent de se tailler la part du lion. «Les gens sont en recherche de produits assez spécialisés sur le fast casual, estime Timothée Tronet. Des thématiques se démarquent, mais je pense qu’il ne faut pas s’aventurer sur des concepts trop confidentiels. Il faut quand même arriver à créer des habitudes de consommation autour du produit.» L’animation de marque prend alors tout son sens, entre produits éphémères et déclinaisons. C’est d’ailleurs le virage qu’a opéré l’enseigne Bagel Corner avec son nouveau concept, déployé depuis l’année dernière. «On était monoproduit il y a 12 ans. Aujourd’hui, on est un coffee shop à bagels», précise Michaël Cohen, cofondateur de l’enseigne.

La chaîne a considérablement repositionné son offre, misant sur le donut et le freakshake pour asseoir sa proposition. Mais surtout, ce nouveau positionnement s’est accompagné d’un lifting complet des points de vente, entièrement tourné vers un parcours client digitalisé, qui laisse beaucoup de place à la personnalisation des commandes. « Cette démarche était devenue impérative pour répondre aux attentes de développement de nos franchisés. On faisait 80 % du CA entre 12 h et 14h. Il nous fallait étendre les horaires d’ouverture et cela passait par une off re plus complète. La France, c’est différent des pays anglo-saxons où on peut vendre des bagels toute la journée », précise le dirigeant de Bagel Corner. Pour la restauration traditionnelle également, le rapprochement s’est enclenché. À l’image de la nouvelle version des restaurants Del Arte, désormais organisée en trois espaces distincts, dont un exclusivement dédié au snacking à emporter. L’offre aperitivo surfe entre deux vagues, proposant un nouveau temps de consommation avec une offre légère, mais servie à table.

De son côté, la boulangerie a aussi largement accentué sa mue, entamée durant la période de pandémie. Et s’intéresse désormais à des concepts qui vont bien au-delà du pain. « Désormais, 50 % du chiffre d’affaires du snacking en France est réalisé par les boulangeries en réseau », commente Béatrice Gravier, directrice générale du salon Sandwich & Snack Show. Les entrepreneurs de la food l’ont bien compris et de nombreux concepts hybrides trouvent dorénavant leur place aussi bien en boulangerie qu’en restauration traditionnelle ou dans l’hôtellerie. C’est le cas de Pakata, une marque de crêpes prêtes à garnir, imaginée par l’entreprise Le Monde des crêpes, leader de la crêpe surgelée en foodservice. « L’idée est partie du constat sur le manque de variété de l’offre de snacking en boulangerie, souligne Régis Jegou, directeur commercial du Monde des crêpes. Nous avons donc imaginé une recette de crêpe qui soit adaptée à une consommation nomade, donc avec suffisamment de tenue, mais aussi qui permette de composer un repas qui amène de la satiété pour le consommateur. » Au final, une épaisse crêpe bretonne dont le grammage se rapproche des standards observés pour les pains à sandwichs. Le produit se positionne d’ailleurs sur la même gamme de prix de vente.

Si la marque préconise des idées de garnitures, chaque point de vente est libre de composer ses propres recettes. « L’avantage, c’est que les bases pour les sandwichs peuvent être aussi utilisées. Les professionnels peuvent garder leurs habitudes de coefficients. » Les préceptes du fast casual y trouvent aussi leur compte avec un sourcing local. D’abord développée en version froide, Pakata peut désormais aussi être servie chaude. Le kit comprend d’ailleurs papiers d’emballage et cartonnettes de transport logotées ou en marque blanche. De plus, la marque a aussi mis au point des supports de présentation pour les vitrines. Ce qui peut paraître un détail ne l’est pas en réalité. Car l’évolution du matériel fait également beaucoup dans l’élévation en gamme du snacking. « L’offre de tout petit matériel adapté à de tout petits espaces, 15 à 20 m2, s’améliore énormément, constate en effet la directrice du salon Sandwichs & Snack Show. Sur la pizza notamment, on voit de plus en plus de minifours qui ont la capacité de monter en degrés pour proposer une belle qualité de dégustation. Cette notion de compact est très importante pour cette montée en gamme, notamment sur les boulangeries qui resteraient sinon sur un principe de réchauffage moins qualitatif. » Le snacking, au-delà de s’imposer, se forge dorénavant une identité à la française, décomplexée et inventive.

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