Victoria Boller, une cuisine qui éveille…et réveille
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À 32 ans, Victoria Boller vient d’être distinguée Cheffe de l’Année par le guide Pudlowski pour le restaurant d’Alain Ducasse, Aux Lyonnais (Paris 2e). Après avoir gravi les échelons dans plusieurs établissements étoilés, en tant que commis, cheffe de partie puis sous-cheffe, elle dirige aujourd’hui sa propre brigade dans un bouchon qu’elle a su réveiller.
Créé en 1890, ce bistrot mythique a séduit Alain Ducasse qui le reprend en 2002. Avec ses moulures, ses stucs, ses faïences « métro », ses glaces biseautées et ses affiches vintages, Aux Lyonnais ne manque pas de charme et on y respire avec plaisir cette atmosphère des bouchons, à peine la porte franchie. Depuis juillet 2023, c’est Victoria Boller qui est aux fourneaux et qui y fait vivre une belle cuisine lyonnaise gourmande, mais aussi subtilement renouvelée et teintée « gastro ».
Son parcours l’a tout droit menée Aux Lyonnais : originaire du Beaujolais, elle commence son apprentissage au lycée hôtelier de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), sûre déjà de sa vocation. « Je me suis toujours sentie à l’aise dans une cuisine. Mes grands-mères, ma mère cuisinaient beaucoup (et bien), et ma marraine avait une maison d’hôtes. J’étais beaucoup dans leurs jambes, j’observais, je participais… » Interne en semaine, elle travaille dans un étoilé, La table de Chaintré (Saône-et-Loire) le week-end, puis découvre vraiment le métier comme commis à La Pyramide, à Vienne (Isère), âgée de 17 ans. L’étape suivante la mène chez Régis Marcon en pâtisserie, en Haute-Loire, puis Au Neuvième Art avec Christophe Roure à Lyon (Rhône), avant un retour comme cheffe de partie à La Pyramide.
Des expériences exigeantes et formatrices avec sans doute un point commun : un chef patron, présent en cuisine, dans des maisons familiales avec de relatives « petites » brigades. Ce qui permet beaucoup d’échanges et de proximité, et où des liens forts se tissent. Nouveau challenge en 2017 : Victoria Boller se découvre l’âme voyageuse et « monte » à Paris, Au Grand Véfour (1er), pour un premier poste de sous-cheffe. Puis, migration dans le Sud, à l’Hôtel Negresco de Nice (Alpes-Maritimes), en 2019 : « Une rencontre forte avec Virginie Basselot, trois années intenses et passionnantes. »
Puis vient l’envie de prendre une place de cheffe, peut-être de s’établir seule. Et, finalement, la belle rencontre : Alain Ducasse lui propose ce lieu, Aux Lyonnais. « Ça avait du sens dans mon parcours, de par mon origine lyonnaise, bien sûr, mais aussi car le chef voulait en faire un bouchon haut de gamme. » Un lieu qui parle à Victoria Boller et lui ressemble.
« C’est grâce à mon équipe que j’ai été élue Cheffe de l’Année »
Une aventure culinaire, pleine de fraîcheur
Le restaurant propose entre 55 et 60 couverts sur deux étages. Au déjeuner, un « Menu du travailleur », généreux et savoureux, entrée-plat-dessert à 32 €, pour la clientèle du quartier plutôt business : banques, grandes enseignes… qui souhaite déjeuner rapidement mais saitapprécier la bonne chère et de bons vins. Le soir, l’ambiance est plus studieuse, on prend le temps de la dégustation. La carte a été élaborée avec Alain Ducasse : « Je lui fais des propositions, il vient goûter et on échange. C’est une chance inouïe de travailler en direct avec lui pour ma première place de cheffe. Au bout de presque deux ans, j’apprends encore chaque jour. Il m’a fait grandir, bien au-delà de la seule notion de cuisine. »
En lui confiant les clés, le chef multi-étoilé avait indiqué une direction claire. Et Victoria a tenu le cap : l’esprit de la cuisine lyonnaise, et plus largement de la cuisine bourgeoise française, dans une interprétation respectueuse mais fine et pétillante. Parmi les marqueurs revisités, la quenelle de brochet intemporelle avec sa sauce Nantua et ses écrevisses. La quenelle reste classique mais aérienne avec une sauce goûteuse étonnamment légère, et une pointe d’estragon qui amène une fraîcheur inattendue. Ou le fameux « saucisson au gène » pommes vapeur de fin des vendanges, qui surprend agréablement le néophyte avec son sabayon à la sauge. Mais encore, pour les amateurs, le foie de veau qu’elle découpe de façon à le servir très épais, façon steak… Un aperçu des desserts : crème caramel, une recette de sa mère ; pot de thé au jasmin d’Alain Chapel, exceptionnel en goût comme en texture ; tarte aux pralines avec une pâte très fine servie sous forme de mignardise avec le café…
Le menu du déjeuner, lui, change chaque semaine et maintient un élan de créativité. « Une façon aussi de laisser s’exprimer le sous-chef et le chef de partie. Dans ce métier au rythme si exigeant, il faut un engagement fort et, avec cette équipe, j’ai trouvé des gens comme moi ! C’est grâce à eux que j’ai été élue Cheffe de l’Année ! Quand je vois les gens heureux en salle, c’est aussi ce qui me fait vivre… mais le partage ne se fait pas qu’avec les clients ! » Pudlowski évoque son « style »… ce qui la fait sourire ! « J’ai commencé à me construire ici avec Alain Ducasse. Je suis convaincue qu’on ne réinvente rien, mais, bien sûr, on a chacun son interprétation. J’aime la cuisine franche, gourmande où on reconnaît les ingrédients du plat, mais qui en même temps réveille un peu, qui surprend. »