La livraison s’installe durablement

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Dans le paysage de la restauration, la livraison est devenue incontournable. Les Français en sont friands et les restaurateurs qui la pratiquent y trouvent leur compte. À condition de bien connaître sa clientèle et d’adapter son offre.

kiss my burger
Kiss My Burger, une marque de burgers vegan dédiée à la livraison. Crédit : DR.

La livraison n’est pas un phénomène passager. Elle entre même dans l’âge adulte, selon le cabinet d’études Food Service Vision qui publie la troisième édition de sa Revue Livraison. Si ce mode de consommation a connu des débuts timides en France avant la crise sanitaire de Covid-19, elle prend désormais toute sa place dans le paysage de la restauration. « C’est devenu un incontournable dans le secteur, et tous les professionnels qui en font y trouvent un avantage », lance d’emblée François Blouin, président fondateur de Food Service Vision. En effet, en France, près de 43 000 restaurants indépendants proposent aujourd’hui la livraison, pour un chiffre d’affaires global de 3,7 milliards d’euros, soit environ 85 000 euros en moyenne par point de vente.

Pour François Blouin, il s’agit désormais d’un troisième canal de consommation, entre le choix du client de manger au restaurant et celui de cuisiner à la maison. D’ailleurs, quand son cabinet s’est intéressé à la livraison en 2019, l’équipe se doutait que cela ne resterait pas un épiphénomène. « En observant les différentes études de marché, nous avons pensé que ça allait se développer, mais la fermeture administrative des restaurants a donné un vrai coup de boost », assure-t-il. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Près d’un Français sur deux (48 %) est adepte de la livraison en 2022 et près de six Français sur dix (59 %) en ont déjà fait l’expérience. Quatre clients sur dix commandent toutes les semaines, et la part des clients réguliers s’est stabilisée à un niveau élevé par rapport à 2019 (+ 10 points). « La livraison va grignoter des parts à la grande distribution, ce n’est pas une concurrence à la restauration en table, le consommateur va faire un achat chez le restaurateur plutôt qu’au supermarché, donc c’est intéressant », note François Blouin.

Avantage pour les restaurateurs 

La livraison représente ainsi 26 % du chiffre d’affaires des points de vente lorsqu’il s’agit d’un indépendant qui livre, contre 33 % pour la vente à emporter et 41 % pour la consommation sur place. De plus, pour 70 % des restaurateurs, la livraison « contribue significativement au chiffre d’affaires » et 67 % d’entre eux estiment que c’est une activité rentable. Selon Food Service Vision, différentes typologies d’acteurs se dessinent. En premier lieu, les « classiques » (80 % d’entre eux), qui proposent leurs produits en livraison en propre ou via un agrégateur (Uber Eats, Deliveroo…), en utilisant la marque de leur restaurant. Également, les « marques hybrides » – exclusivement dédiées à la livraison – ainsi que les « full dark » qui ne disposent pas de restaurants. Les « licencieurs », des marques ayant déjà une notoriété et qui proposent une licence à des restaurateurs, ainsi que les « licenciés », utilisant une ou des marques déjà existantes ayant une notoriété auprès des consommateurs, complètent le tableau. « Il s’agit d’un marché en mutation permanente, les acteurs se multiplient, les nouveaux entrants sont de plus en plus nombreux et ils s’adaptent à des modèles émergents », assure François Blouin.

Pour les restaurateurs qui souhaitent se lancer, il est toutefois important de bien connaître son environnement. D’abord, qui commande en ligne  ? Selon le cabinet d’études, le profil type de l’utilisateur de livraison est majoritairement de genre masculin, génération « millennials » (25-35 ans), actif, résidant dans des grandes villes (plus de 100 000 habitants), avec une surreprésentation en Île-de-France. Le cabinet note également que la part des CSP+ est en augmentation sensible (+ 7 points entre 2021 et 2023), alors que celle des inactifs baisse fortement. De plus, si les cadres professionnels ne représentent pour le moment que 29 % des commandes, ils sont plus nombreux à s’y intéresser (+ 8 points depuis 2020), surtout pour le déjeuner en semaine. « Les clients réguliers sont une cible intéressante, mais il est aussi possible de tenter de toucher des personnes qui vont avoir occasionnellement recours à la livraison », ajoute le directeur du cabinet.

Faire les bons choix 

Bien choisir son offre en livraison est également déterminant. « Ce qui est particulier dans le cas de la livraison de repas, c’est qu’elle correspond à un besoin, et non juste un divertissement », tient à noter François Blouin. Il s’agit donc d’être en mesure d’y répondre. Le cabinet d’études estime qu’une offre plus locale, plus originale et plus conviviale (produits locaux, plats nouveaux, préparations réalisées par des chefs, plats familiaux à partager…) figure parmi les leviers de croissance. Par ailleurs, toujours très populaire en livraison, la pizza a déjà été commandée par 70 % des utilisateurs. Food Service Vision note néanmoins un taux de pénétration en baisse significative, de moins 15 points. Même chose pour le burger, qui diminue de 15 points au déjeuner. La nourriture asiatique s’en sort mieux, avec une hausse de 10 points par rapport à 2021. « Les pokés et les glaces figurent parmi les catégories les plus en progression », note François Blouin. De plus, les boissons et desserts sont présents dans la moitié des commandes, ce qui montre que le liquide et le sucré peuvent permettre des ventes additionnelles intéressantes. Si les offres sont de plus en plus nombreuses, pour se démarquer, il est important d’y ajouter des promotions, puisque celles-ci déclenchent plus de 40 % des commandes sur les plateformes de livraison. « Il faut garder une compétitivité pour que les clients consomment encore », souligne François Blouin. Le président de Food Service Vision estime toutefois que des problématiques de budgets freinent la consommation, surtout en période inflationniste. « Tout le monde ne peut pas se payer une livraison », glisse-t-il.

Parmi les utilisateurs, les parts de ceux qui indiquent vouloir commander plus souvent et de ceux qui réduisent leurs commandes s’égalisent autour de 20 %. Ceux qui indiquent consommer moins souvent invoquent, à 66 %, des raisons budgétaires, 39 % préfèrent préparer eux-mêmes leurs repas, et 25 % privilégient la vente à emporter. D’autres freins sont mentionnés par Food Service Vision. Alors que 88 % des restaurateurs passent par une société de livraison nationale (dont 60 % par Uber Eats et 32 % par Deliveroo), les clients sont nombreux à avoir une perception négative des conditions de travail des livreurs. Pour 66 % des consommateurs, celles-ci « ne sont pas satisfaisantes ». La question de l’écoresponsabilité constitue également un frein. En effet, 63 % des personnes interrogées jugent que cette activité va à l’encontre de la protection de l’environnement, notamment en raison de l’utilisation d’emballages à usage unique. « Des alternatives sont en train de se développer en termes de packaging, mais il reste du chemin », assure-t-il. Il estime également que la possibilité de commander des produits en provenance de différents restaurants en une seule livraison sera au cœur des leviers de croissance pour la livraison dans les années à venir. Si elle répond à cet enjeu, la livraison de repas aura donc de beaux jours devant elle.

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