Volaille : le canard dans tous ses états

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Il y a le magret, la cuisse confite; et aussi le filet, du côté du canard de Barbarie. L’offre en restauration va rarement plus loin. Pourtant, la mention de la viande de canard peut être accompagnée d’autres qualificatifs, sur son origine, ses labels, ou encore une découpe singulière.

Canards
Canards

Personne n’ignore les difficultés qu’a connues la filière canard pendant les deux années de grippe aviaire. Si les consommateurs sont vite revenus vers le foie gras– dès la première année – les choses ont été plus compliquées pour la viande de canard: « Au début, le marché du magret n’était plus là. Les gens étaient un peu passés à autre chose », témoigne Jean Lafargue, président de l’association Label foie gras des Landes et producteur lui-même. Mais le magret est en train de reprendre, progressivement, sa place. Les restaurateurs qui avaient encore un peu peur des ruptures d’approvisionnement au début de l’an dernier ont été rassurés par la saison 2018. « Le magret est revenu à la carte de nos clients habituels, confirme Fabien Chevalier, directeur général de la Maison Lafitte. Pour ce début de l’année 2019, nous enregistrons une hausse de 30 % des ventes (en volume et en prix), par rapport aux mêmes semaines de l’année dernière. »

Le canard aussi sait cocorico

La demande des clients a toutefois un peu évolué. « Ils veulent des viandes 100% françaises, affirme Leila Veillon, directrice marketing chez Sarrade. Cette demande existait déjà avant la grippe, mais elle revient maintenant de façon récurrente: les clients veulent du français, connaître l’origine des canards et s’assurer de la traçabilité. » En effet, durant les deux années de grippe aviaire, des produits d’importation sont venus prendre la place sur le marché. « Mais les consommateurs ont vu la différence. Du coup, avoir une origine France les rassure. », développe Fabien Chevalier. Les clients se tournent également vers les labels. Actuellement, 60% de la production de canard gras est labellisable IGP, et 5% l’est en Label Rouge. Le cahier des charges de ce dernier est bien plus drastique, exigeant une surface de parcours plus importante, un âge à l’abattage plus élevé (102 jours plutôt que 91), un engraissement plus long et lent, etc. Une qualité qui a un prix, plus élevé, mais qui attire tout de même. « Le confit était le seul produit qu’on ne faisait pas en label Rouge, parce qu’il n’y avait pas forcément de demande, explique Fabien Chevalier. Mais le logo Label Rouge rassure le consommateur. Et comme la communication des restaurateurs envers leurs clients au sujet des différentes appellations des produits Lafitte a bien marché sur le magret et le foie gras, ils nous l’ont demandé aussi pour le confit, qui sortira donc en Label Rouge en septembre 2019. »

Le canard déchaîné

La grippe aviaire n’est, malgré son importance, qu’un épisode de plus dans l’histoire de la viande de canard française. « Autrefois, la viande de canard partait entièrement en confit. Et ce n’était pas un mets de choix, rappelle Jean Lafargue. Puis, dans les années quatre-vingt, des chefs des Landes ont pris le magret cru pour le cuire. Cette viande maigre, avec la graisse en périphérie, était un peu spéciale, différente du bœuf ou du porc. Ce choix supplémentaire a plu. » Mais, de l’avis de certains des experts que nous avons interrogés, le canard a fini par s’enferrer dans des préparations toujours un peu semblables. « Il nous semble que le canard a un peu souffert du fait qu’on a, pendant un moment, oublié de le réinventer, juge Leila Veillon. On a donc voulu l’imaginer différemment. Et on a vu que dès que les chefs bénéficient de ces nouveaux produits, ils s’orientent très vite vers des recettes inventives. Il manquait juste cette petite touche du fabricant, pour remettre le canard à sa place de viande s’offrant à l’imagination. » Lors du salon du Snacking 2018, Sarrade a ainsi présenté un effiloché de canard en tant que produit se travaillant chaud (en burger, nuggets, etc.). Et ce sont les chefs qui s’en sont emparés et ont remarqué que ce produit était aussi très agréable froid (en tacos, bagels, taloa, etc.). La maison Laffite a lancé un produit assez similaire: une viande confite de canard pour sandwichs, effilochée à la main. Sortie à l’export durant la grippe aviaire, elle est vendue en France en novembre 2018. « Cette viande à sandwichs a un fort potentiel de développement, se félicite Fabien Chevalier. C’est un produit qui demande beaucoup de travail et offre donc moins de rendement, mais la viande a beaucoup de goût. Donc, il n’y a pas besoin d’en mettre énormément dans un sandwich ! » Le canard semble donc être un produit très pratique, capable de se couler dans toutes les tendances. Le magret de canard séché et affiné de Sarrade le démontre. « On a repensé le magret autour de quelque chose qui marche bien en ce moment, c’est-à-dire la maturation et la salaison premium. », explique Leila Veillon. Le produit présente une chair un peu filandreuse mais tendre, avec un goût typique et puissant de canard.

À votre service

Une autre tendance de fond touche l’ensemble de la restauration et n’épargne pas le canard: l’offre de produits services, qui se définit par des produits déjà portionnés et/ou faciles à remettre en œuvre. Un magret de canard Label Rouge, par exemple, pèse environ 400 grammes et est rarement servi pour une personne. « Certains de nos restaurateurs nous demandent des portions, déjà marinées. Tout cela sur-mesure, pour quelques brasseries parisiennes, explicite Fabien Chevalier. C’est quelque chose qu’on va voir de plus en plus apparaître, parce qu’il y a de moins en moins de main-d’œuvre en cuisine. ». Le produit déjà découpé permet de faciliter le geste, de limiter les pertes et donc le coût/portion, mais aussi de surprendre. Poule et Toque, la nouvelle marque du groupe SBV (Société Bretonne de Volaille) propose ainsi des brochettes à partir de filet de canard tranché dans la longueur, des pavés marinés, ou encore un tournedos de canard. « C’est une nouveauté qui plaît vraiment aux restaurateurs, pour son visuel et son homogénéité de cuisson, se réjouit Anne-Lise Clavel, responsable marketing SBV. On essaye d’apporter de la nouveauté sur ce marché en s’inspirant des découpes de la tradition bouchère, pour proposer la même appétence que pour une viande rouge. » L’éleveur Jean Lafargue suggère aussi « une coupe intéressante, mais pas trop demandée: la côte de canard, pour plancha et barbecue. Ça permet d’avoir à la fois du magret, de l’aiguillette, et une cuisson à l’os. ». Le canard pourrait bien être la volaille du futur, avec sa chair rouge qui se défend plutôt bien, par exemple beaucoup mieux que le bœuf, face à la tendance flexitarienne.

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