Viande bovine : la grande valse des étiquettes

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En un an, le marché de la viande bovine a subi une valse des étiquettes sans précédent avec une inflation de l’ordre de 20 %. Deux acteurs de la filière, un représentant de la production de limousines et le distributeur Metro France, détaillent la situation et les mécanismes qui l’ont provoquée.

Illustration de vache limousine.
Illustration de vache limousine. Crédits : Au Coeur du CHR.

Le marché de la viande bovine est en pleine ébullition. L’inflation, dans ce domaine, y est largement supérieure à la normale. « En 2020, avant l’arrivée de la Covid-19, le prix moyen de la carcasse payé à l’agriculteur était de 4,20 €/kg. Il atteint désormais 5,30 €/kg », commente Jean-Marc Escure, directeur du label Viande limousine. Selon lui d’ailleurs, cette hausse des prix n’en est qu’à ses prémices, car « elle ne fait que répercuter la hausse des prix de l’énergie, des salaires, mais surtout des engrais et de l’alimentation du bétail ».

Pour ce responsable de la race limousine, le rapport entre l’offre et la demande est désormais inversé après une longue période durant laquelle le revenu des agriculteurs a été négligé. « Aujourd’hui, pour se lancer dans l’élevage, il faut investir 500 K€ et on se retrouve ensuite avec un Smic, voire un demi-Smic pour vivre. Beaucoup d’agriculteurs renoncent. »

550.000 vaches envolées

Résultat, selon l’Institut de l’élevage, en cinq ans, la France a perdu plus de 260.000 vaches laitières et près de 390.000 vaches allaitantes, soit près de 10 % des effectifs. L’Institut augurait un nouveau repli de 1,4 % en 2022 et 600.000 vaches devraient encore disparaître dans les dix ans qui viennent. Une érosion logique alors que la consommation de viande bovine abandonne régulièrement de 1,5 à 4,5 points chaque année depuis dix ans.

Selon les éleveurs, cette viande serait ainsi victime des campagnes sur le bien-être animal, mais aussi des recommandations médicales qui préconisent une baisse de sa consommation. Des conseils qui laissent sceptique Jean-Marc Escure : « Les autorités sanitaires recommandent de ne pas manger plus de 500 g de viande rouge par semaine, alors que la consommation moyenne par habitant ne dépasse pas 350 g… »

Pour ce spécialiste de la viande, les augmentations actuelles des tarifs ne font que traduire la réalité du prix de revient des éleveurs. Cette évolution notable contribue en effet à perturber l’ensemble de la filière. Jean-Noël Quilez, directeur métiers produits ultra-frais et cave et champagne à Metro France, reconnaît que la disponibilité sur le marché de la viande bovine constitue l’enjeu le plus impactant pour les restaurateurs. Selon lui, « l’inflation touche tous les marchés, du cheptel laitier au troupeau allaitant, toutes les races sont concernées ».

La loi Egalim 2 pointée du doigt

Les mécanismes qui ont provoqué cette hausse de prix sont divers et complexes. « La loi Egalim 2 a modifié les relations en amont et en aval pour tous les acteurs de la filière et la GMS. En imposant une approche contractuelle, cette loi a permis une amélioration de la rémunération de l’élevage et donc une réévaluation des prix entrée abattoir », estime ainsi Jean-Noël Quilez. Par ailleurs, selon lui, beaucoup d’éleveurs laitiers, découragés, ont jeté l’éponge et le cheptel laitier a mécaniquement diminué. Certains prédisent déjà un manque de lait dans les mois qui viennent. Les vaches de réforme qui alimentent en partie ce marché se raréfient.

« Or certains restaurateurs sont toujours à la recherche de viande à petit prix pour leurs menus, souligne Jean-Noël Quilez. Les tarifs se sont orientés à la hausse en raison de la rareté de l’offre. » Il faut bien voir que, sur le marché, le choix se restreint pour le client. « Aujourd’hui, au moment de désosser, de nombreux abattoirs ont déjà choisi leurs clients et la valeur du produit. » En conséquence, certains restaurants substituent parfois à leur offre de viande bovine une offre en volaille qui présente des approvisionnements plus réguliers et plus accessibles.

Le risque de voir la viande d’importation s’envoler sur le marché

Jean-Marc Escure craint que le consommateur, dissuadé par les prix, privilégie la viande d’importation bon marché. Il souhaite éviter qu’à terme les éleveurs français ne produisent plus 80 % de la consommation nationale comme c’est encore le cas, mais qu’ils soient contraints de se spécialiser dans des viandes de haute qualité. « Ce n’est pas seulement la fin de nombreuses exploitations qui en découlerait, insiste-t-il. C’est tout l’entretien des paysages français de prairies qui serait laissé à l’abandon. »

Jean-Noël Quilez appelle les consommateurs et les restaurateurs au civisme et les exhorte à acheter français pour maintenir l’activité des éleveurs sur notre territoire. Le trou d’air actuel que traverse la filière a aussi déséquilibré le rapport entre l’arrière de la carcasse (produits nobles) et les avants essentiellement destinés à alimenter la demande du steak haché. « Il y a une telle pression sur le marché des avants que certaines parties arrière rejoignent la destination des avants », souligne Jean-Noël Quilez.

Les tarifs de ces avants qui alimentent le marché du steak haché, et donc du burger, sont aujourd’hui hors de prix pour de nombreux restaurateurs. Cette situation bénéficie au secteur de la viande de vaches laitières dont les prix sont assez soutenus. « Le prix d’un kilo-gramme de carcasse de vache laitière de 7 ans atteint en moyenne 4,90 €/kg, détaille Jean-Marc Escure. Celui d’une vache allaitante évolue de 5,30 à 5,70 € selon son degré de finition. La différence n’est pas énorme au regard des efforts consentis par les éleveurs qui commencent à se lasser. »

La météo aggrave les choses

Un autre facteur vient envenimer la situation. Jean-Noël Quilez estime que les éleveurs laitiers engagent désormais leurs vaches dans des lactations plus longues, ce qui provoque une réduction du poids des carcasses. En outre, la sécheresse n’a pas permis dans certaines régions une alimentation convenable du bétail, provoquant aussi une diminution de la couverture graisseuse des animaux.

« Metro France se félicite d’avoir anticipé la situation actuelle en sécurisant ses approvisionnements en races à viande et races locales vis-à-vis d’industriels partenaires, de coopératives et d’éleveurs », souligne le directeur métiers produits ultra-frais de Metro France. Le distributeur a fait le choix de soutenir l’origine France dans son offre boucherie en déclinant plus de 500 références de viande bovine d’origine France disponibles à la commande pour ses rayons dont sept races.

« Nous partageons la valeur avec nos éleveurs partenaires en prenant une part de notre responsabilité sur l’achat de carcasse, poursuit-il. Nous coconstruisons le prix d’achat en fonction du prix de revient. Cette relation de confiance nous permet aujourd’hui de continuer à proposer un large assortiment en origine France. Nous sommes engagés sur le partage de l’échelle de valeur avec amont. » La montée en qualité peut constituer une solution pour revaloriser la viande bovine. On peut remarquer que si la plupart des grandes races françaises, y compris la charolaise, ont perdu du terrain ces dernières années, trois races particulièrement appréciées par leurs qualités bouchères, la blonde d’Aquitaine, la salers et l’aubrac, ont vu leur cheptel progresser ces dix dernières années.

Mais contrairement à ce qu’affirme le discours ambiant, le levier de l’orientation qualitative présente des limites économiques. Il constitue un marché presque marginal. « Les viandes produites sous Label rouge voient leurs ventes augmenter très significativement, mais elles représentent tout au plus 4,5 % de la consommation française », précise Jean-Marc Escure.

Le cheptel français en 2021

18 millions de têtes de bovins

10,7 millions de têtes pour le cheptel allaitant, dont 3,3 millions de vaches allaitantes

7,3 millions de têtes pour le cheptel laitier et 3,9 millions de vaches allaitantes

4,4 millions de bovins abattus/an

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