Cohabiter avec un chantier

  • Temps de lecture : 5 min

Lorsque des travaux d’aménagement ont lieu aux abords de son établissement, l’activité peut s’en retrouver impactée. Si dans certains cas un dédommagement est possible, bien souvent, la conciliation est la meilleure option. Explication.

Échafaudages restaurant
Lors de travaux devant son établissement, le restaurateur doit parfois investir dans une banderole afin de rester visible. Crédits : Au Cœur du CHR.

Échafaudage haut de plusieurs mètres, route barrée, barrières occultantes, bruit incessant… Lors de travaux devant son restaurant, les nuisances sont nombreuses. Elles peuvent fortement impacter l’activité, en entraînant une baisse de fréquentation et de chiffre d’affaires. Pour tenter d’éviter le pire, certains recours sont possibles. « Il n’existe pas d’indemnisation de droit« , avertit d’emblée Me Laurent Bidault, avocat associé chez Novlaw. Par ailleurs, il regrette que, dans certains cas, le restaurateur ne soit même pas prévenu de la tenue du chantier et qu’il se retrouve devant le fait accompli. En effet, si une phase de concertation ou d’information préalable peut avoir lieu, le commanditaire n’a aucune obligation légale de le faire. Seuls les travaux de grande ampleur, comme un projet de renouvellement urbain, doivent nécessairement être communiqués en amont aux commerces riverains. Les travaux d’entretien ou encore le renouvellement de la voirie ne sont donc pas concernés, alors qu’ils sont le plus couramment rencontrés.

Recours amiable

« Il a été jugé que le maître d’ouvrage, que cela soit la ville, les opérateurs de réseaux, les commanditaires des travaux, ne devait pas anormalement ou excessivement perturber l’activité des commerces, notamment en veillant à ce que les travaux n’occultent pas complètement l’enseigne de commerçants« , mentionne Me Laurent Bidault. Ce n’est toutefois pas toujours le cas, et le maître d’ouvrage ne se rend pas forcément compte des conséquences des travaux sur l’activité commerciale. Il existe alors deux cas de figure. D’une part, en cas de travaux dans l’immeuble où se situe le restaurant, décidés par la copropriété, il s’agit de droit privé. « Le gérant a peu de recours dans ce cas« , mentionne l’avocat. D’autre part, s’il s’agit de travaux publics, il est possible de tenter une action.

Toutefois, avant tout recours devant un juge, Me Laurent Bidault recommande le dialogue, afin de trouver une solution à l’amiable. Pour savoir qui contacter, il faut se reporter à la pancarte mentionnant le permis de travaux, apposée obligatoirement devant chaque chantier. Celui-ci doit comporter les coordonnées du bénéficiaire et parfois du maître d’ouvrage. Pour les travaux de voirie, la collectivité sera l’interlocutrice. « Généralement, il ne sert à rien de s’adresser à l’entreprise de travaux, elle n’est qu’exécutante, il faut contacter directement le maître d’ouvrage« , souligne l’avocat. Le dialogue permettra en outre de démontrer la bonne volonté du restaurateur devant un juge, si la situation devait aller plus loin. Au préalable, des compromis sur les conditions de travaux peuvent être envisagés. « Souvent, tout le monde est de bonne intelligence, le restaurateur peut, par exemple, demander un aménagement des horaires de réalisation, afin d’éviter les nuisances pendant les services, ou bien savoir s’il est possible de mettre des barrières moins hautes« , ajoute-t-il.

Il est également possible à ce moment-là de demander une indemnisation – toujours à l’amiable – à hauteur du préjudice subi. Dans certains cas, le maître d’ouvrage peut préférer cette solution à un recours devant le juge administratif. Mais dans le cas où la devanture du restaurant se retrouvait obstruée par des échafaudages, le commanditaire des travaux n’a aucune obligation légale de financer un quelconque affichage. « Le restaurateur doit donc prendre les devants et demander s’il peut mettre une banderole avec le nom de son établissement par exemple, toutefois, cela se fera à ses frais« , précise l’avocat.

Tribunal administratif

Si le recours amiable échoue, il est possible d’aller pour loin. Pour réclamer une indemnisation, notamment si les travaux ont un impact direct sur le chiffre d’affaires, le restaurateur doit d’abord faire une demande indemnitaire préalable auprès de l’administration concernée. « Le restaurateur doit démontrer que les travaux causent un préjudice direct et certain à son affaire« , souligne l’avocat. Il s’agit ainsi d’établir le caractère « anormal » et « spécial » du dommage allégué. Le caractère « anormal » correspond à un certain degré de gravité, excédant les inconvénients normaux du voisinage. Le caractère « spécial » signifie qu’il est suffisamment personnel, autrement dit que cela touche les entreprises riveraines des voies affectées par les chantiers.

Aussi, pour justifier sa demande, il est nécessaire de présenter des chiffres concrets: « Nous préconisons de faire réaliser une étude par l’expert-comptable, afin de matérialiser les pertes. » Concernant le montant de l’indemnité, aucune règle n’est établie et cela dépend grandement de l’ampleur des travaux, du commanditaire, mais aussi du restaurant. « Il faut prouver le manque à gagner, les pertes de matériels ou encore la perte de chance« , justifie Me Laurent Bidault. Autre cas de figure : demander l’arrêt immédiat des travaux. Si le restaurateur s’estime trop impacté, il peut saisir le juge administratif et utiliser un référé liberté. Cette procédure permet de demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale, si l’administration y porte atteinte de manière grave et illégale.

L’avocat avertit cependant sur la longueur de ce type de démarches. « Le maître d’œuvre a deux mois pour répondre, ensuite la procédure va durer au minimum un an, il faut donc se questionner avant de se lancer, pour savoir si cela en vaut vraiment la peine« , suggère-t-il. Par ailleurs, lors du recours, le juge va observer les intérêts en balance, et bien souvent si les travaux sont d’intérêt public, les chances qu’il fasse droit restent faibles. « Nous conseillons donc plutôt de privilégier l’entente à l’amiable, en adaptant les conditions de chantier ou en améliorant l’affichage« , conclut Me Laurent Bidault.

PARTAGER