La flûte à champagne met son pied dans le plat
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De plus en plus, le champagne trouve sa place à table, en dehors du moment de l’apéritif. La variété des cuvées présentes sur le marché permet à ce vin d’accompagner avec bonheur un large spectre de recettes gastronomiques. Une progression lente, mais inexorable !
Il y a quelques semaines, David Chatillon, le président de l’Union des maisons de Champagne, évoquait une « magnifique vendange 2022 ». En cet été solaire, les rendements des vignobles septentrionaux ont été normaux. L’état sanitaire et la qualité du raisin étaient par ailleurs très satis-faisants. L’interprofession a pu sans problème autoriser aux viticulteurs un rendement maximal de 12 000 kg/ha ; ce qui va reconstituer les célèbres «réserves champenoises» qui permettent traditionnellement de compenser les mauvais millésimes et de normaliser le goût des marques.
Une limitation forte et hâtive des rendements maximaux en 2020, puis une vendange historiquement faible en 2021, avaient fait craindre une pénurie. Cette restriction de l’offre est en effet survenue au moment où la demande repartait de plus belle à la fi n de la crise sanitaire. En 2022, 325 millions de bouteilles devraient être expédiées. Mais avec la belle vendange de l’année, le marché devrait retrouver sa sérénité.
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Valoriser les cuvées
Le champagne reste un vin cher ; ce qui s’explique notamment par le foncier très élevé dans ce vignoble. Le coût du raisin dans le prix de revient d’une bouteille se situe entre 7 et 8 €. À ce niveau, une bouteille de brut n’offre pas une rentabilité très importante. Les vignerons, mais surtout les grandes maisons de négoce, vont donc s’efforcer de valoriser leurs meilleurs raisins dans des cuvées spéciales ou millésimées.
Pour assurer la promotion de ces vins haut de gamme, la restauration s’affirme comme la meilleure prescriptrice idéale. C’est pourquoi les Champenois sont de plus en plus tentés depuis une vingtaine d’années d’investir la table pour y commercialiser leurs grandes cuvées. «Les accords mets-vins représentent l’opportunité de valoriser nos vins haut de gamme, souligne Élise Dinquel, chargée de communication chez Chassenay d’Arce. Nous avons, par exemple, un 100% pinot blanc, cépage très rare en Champagne. Je trouve qu’il serait dommage de le consommer à l’apéritif accompagné de cacahuètes. C’est un extra-brut dont les subtilités seraient idéalement mises en valeur par l’accompagne-ment d’un grand plat.»
Depuis de nombreuses années, les maisons de Champagne s’évertuent à démontrer dans les repas qu’elles organisent la pertinence d’accords mets-vins. Il y a quelques années, Michel Drappier faisait résonner la dégustation de ses cuvées avec la cuisine végétale d’Alain Passard. Il montrait à cette occasion que ces cuvées à la minéralité très prononcée s’accordaient parfaitement avec les tonalités végétales et fruitées du repas. Plus récemment, Jean-Marc Charpentier organisait une rencontre avec le MOF fromager, Xavier Thuret, afin de démontrer que le champagne pouvait supporter des accompagnements avec des spécialités fromagères très diverses et même des AOC réputées pour leur caractère.
Et si on essayait le fromage
Vigneron champenois, Jean-Marc Charpentier cultive 24 ha en biodynamie. Convaincu que le champagne ne connaît pas de limite dans les accords mets-vins, il a récemment organisé avec Xavier Thuret, le meilleur ouvrier de France fromager, une dégustation où cinq de ses vins étaient confrontés à diverses spécialités fromagères. Premier constat, ces cuvées qui offrent de belles tensions mettent particulièrement en valeur les arômes non seulement lactiques, mais aussi végétaux.
Au-delà de ce postulat, il faut considérer que le cépage dominant de l’assemblage va être déterminant. Le chardonnay plus solaire va s’accorder avec des fromages relativement doux. Le brut Emotion de la maison réalise un mariage convaincant avec le cantal entre-deux tandis que le mont d’or s’accommode avec Terre d’émotion, un blanc de blanc. Jean-Marc Charpentier a choisi un rosé sur la fourme d’ambert parce que la tension du vin rebondit agréablement sur les notes confites du fromage.
En revanche, les vins dominés par les pinots, plus minéraux, tendus et moins ou pas du tout dosés, vont soutenir le dialogue avec des fromages plus puissants. Le blanc de noir extra-brut, Terre d’émotion donne la réplique au camembert de Normandie alors que le pinot meunier zéro dosage de la maison s’accorde parfaitement avec les notes de feu de bois d’un gruyère d’alpage suisse.
Sortir de la vente à la coupe
«Il ne faut pas se leurrer, tempère Mathieu Brécy, directeur commercial de Pannier, la majorité des champagnes se vendent toujours à l’apéritif et à la coupe. Mais la tendance du glissement progressif vers la table est réelle.» Cette maison, entièrement tournée vers le circuit traditionnel, cultive historiquement de fortes relations avec la restauration. Elle est partenaire de plusieurs associations de chefs comme Euro-toques, Les Cuisiniers de France et le Collège Culinaire. «L’univers de la gastronomie est un bon moyen de sortir de la vente à la coupe et de proposer des champagnes haut de gamme, insiste Mathieu Brécy. Notre maison propose 12 cuvées. J’estime que cela incite les sommeliers à préparer des accords mets-champagne.»
Il paie même de sa personne pour encourager ces initiatives. Il prépare actuellement un repas qui aura lieu à la mi-décembre à la Licorne, un restaurant étoilé de Lyons-la-Forêt (Eure). Il y déclinera avec le chef l’association de plats et de champagnes de la maison Pannier. C’est un travail de longue haleine pour ramener le champagne de la carte des apéritifs à celle des vins. Pour les maisons de Champagne, le sommelier est désormais aussi incontournable que le barman. La maison Pannier a été jusqu’à décliner Velours, une gamme de trois champagnes destinés à s’al-lier avec l’ensemble des plats d’un restaurant. Le blanc (70 % de chardonnay, 20% de pinot noir et 10 % de pinot meunier) agrémente idéalement un plat de poissons ou de saint-jacques. Le rosé va plutôt couvrir l’ensemble des accompagnements du dessert. Plus étonnant, une cuvée Rubis intègre 35 % de vins rouges et offre une couleur rubis très soutenue. Elle présente ainsi un profil aromatique qui peut se confronter à la dégustation d’une côte de bœuf.
Je ne crois pas que les dominantes de pinot noir dans les assemblages soient plus adaptées à la table
Axel Gillery, responsable export et marketing chez Pol Roger, est aussi persuadé que le champagne peut jouer les premiers rôles à table : «Les facettes des profils du champagne sont innombrables et permettent des accords très convaincants.» Il estime même que n’importe quel champagne de qualité convient à l’affaire: «Je ne crois pas que les dominantes de pinot noir dans les assemblages soient plus adaptées à la table. De même, notre trilogie de non-millésimés peut soutenir des accompagnements incroyables. C’est aussi une question d’usage. Beaucoup de clients commandent une bouteille qui va servir durant tout le repas. Dans ce cas, un brut réserve conviendra parfaitement à l’affaire. En revanche, si on veut être plus pointu, il faut monter en gamme. Ainsi, notre cuvée Churchill peut parfaitement s’allier à une viande blanche, une viande rouge, un vieux comté ou une mimolette. » Mathieu Brécy estime, lui aussi, que l’accompagnement d’un repas au champagne n’est pas forcément ruineux et qu’il peut s’apprécier à différents niveaux. «On peut se faire plaisir avec une de nos cuvées millésimées, vendue 35 € chez un caviste et qui peut accompagner un large spectre de plats.»
Le dosage dans le mariage
Partisan du maintien de dosages raisonnables qui viennent souligner les atouts du vin, Axel Gillery indique que cette question est importante dans le mariage mets-vins : «Je ne suis pas convaincu de la pertinence des extra-bruts ou sans dosage servis durant le repas. Je conseillerais plutôt ces vins à l’apéritif accompagnés de pata negra, c’est merveilleux. En revanche, à table, je conseillerais des champagnes un peu plus dosés.» Durant le dessert, il reconnaît même les demi-secs, cuvées devenues rares sur le marché : «En fi n de repas, on sert systématiquement des rosés qui sont peu dosés et cela ne fonctionne jamais alors qu’un demi-sec est tout indiqué pour les desserts. »
Élise Dinquel partage aussi cette aversion pour les rosés au moment du dessert. «Cela peut opérer sur des recettes fruitées, mais pour le reste, c’est assez décevant. Mais à ce moment du repas, je conseille plutôt un ratafi a, largement produit dans nos caves de champagnes.»
Enfin pour passer à table, certains habillent leurs bouteilles. Ainsi Champagne Gremillet vient-il de mettre une nouvelle cuvée sur ce marché, Gold & Red. Il s’agit, selon Anne Gremillet, directrice marketing, d’«apprécier le nectar d’un millésimé dans sa jeunesse, avant sa pleine maturation ». Ce champagne est bien entièrement issu du millésime 2019 et il a été mis en bouteille en 2020 et n’y a donc pas vieilli trois ans, comme le veut le cahier des charges des millésimes. Ce champagne jeune et très vivace, qui n’aurait pu devenir millésime qu’en 2025, off re de franches notes fl orales et fruitées. Cette cuvée aromatique est destinée, d’après la maison, à accompagner «les pois-sons, les volailles et toutes les créations sucrées non chocolatées». Mais surtout, le même vin est décliné en deux habillages, rouge et doré. De quoi donner du relief à la table. Avec le champagne, la fête, c’est tous les jours !
Ruinart décline les accords mets-vins à Paris
Du 17 au 27 novembre 2022, les caves Ruinart ont installé Maison 1729, au 116 rue de Turenne (Paris 3e). Ce bar à champagne éphémère a accueilli le public sur réservation pour déguster ses cuvées dans un décor de Crayères et de vignes. Ce lieu se vit au rythme d’une promenade dans le terroir champenois. On pouvait y admirer une des œuvres Habitat mises en place dans les vignes de Ruinart, par le pionnier du land art, Nils-Udo.
Cette installation singulière visible désormais à Taissy, sur la Montagne de Reims, est destinée à la protection de la nature et à la préservation de la biodiversité, en fournissant un abri aux migrateurs de passage. Ce bar éphémère proposait aussi des master classes conduites par les sommeliers de la maison venus spécialement de Reims. Mais Ruinart a aussi privilégié les accords mets-vins lors de brunchs, déjeuners ou dîners, élaborés avec les cuvées de la marque. Plusieurs chefs étoilés Clément Bouvier et Philippe Mille, Alessandra Montagne et Valérie Radou ont ainsi participé à l’opération.