Depuis 2017, le vignoble francilien a connu un véritable renouveau avec la sortie de terre d’une quarantaine d’hectares de vignes à l’ouest de Versailles (Yvelines). Le projet mené par Adrien Pélissié et Julien Brustis est ambitieux, mais les premiers millésimes sont prometteurs et portés par un marketing astucieux.
Si l’on excepte les cinq communes de Seine-et-Marne évoluant dans l’AOC Champagne, la vigne n’a plus qu’une présence symbolique en Île-de-France, avec quelques poches de résistance, à Montmartre (Paris 18e ), Suresnes (Hauts-de-Seine), Argenteuil (Val-d’Oise)… Pourtant, à son apogée, au XVIIIe siècle, elle couvrait 42 000 ha. Mais le développement des moyens de transport a permis à d’autres vins plus ensoleillés de gagner l’estime des consommateurs parisiens. Enfin, la crise du phylloxéra a porté un coup de grâce au vignoble francilien. Néanmoins, deux facteurs sont en train de changer la donne. D’une part, le réchauffement climatique offre aujourd’hui une meilleure maturité des raisins sous cette latitude.
Et si on parvient à produire des vins buvables dans le Kent (Angleterre), pourquoi ne pas tenter alors l’aventure en Île-de-France ? D’autre part, l’UE a libéralisé en 2008 les droits de plantation de la vigne. Cette décision est devenue effective au 1er janvier 2016. Auparavant, il n’était possible de planter que sur des parcelles occupées par de vieilles vignes. C’est ainsi que deux jeunes professionnels du vin, Adrien Pélissié et Julien Brustis se sont engouffrés dans la brèche dès 2017 en créant le domaine La Bouche du roi, à Davron (Yvelines). Le premier dirige un domaine familial dans le Bordelais. Le second, ingénieur agronome, a exercé comme œnologue. Tous deux ont roulé leur bosse dans les vignobles du Nouveau Monde avant d’échafauder ce projet ambitieux.
Premier millésime en 2019
Ils ont ainsi obtenu auprès de la Safer (opérateur foncier de l’espace rural et périurbain) un terrain de 25 ha, issu du démembrement d’un domaine céréalier de 300 ha. Cette parcelle disposait d’un terrain plus pauvre ne convenant pas aux cultures classiques. En revanche, le sol argilo-calcaire un peu drainant et la topographie en légère pente convenaient parfaitement à la vigne. Dès 2019, le domaine La Bouche du roi a pu délivrer son premier millésime en vin de table, et le millésime 2022 qui arrive actuellement sur le marché en blanc peut arborer la toute nouvelle IGP Île-de-France. En outre, les deux vignerons s’appuient sur un réseau d’agriculteurs partenaires qui ont planté 15 ha de vigne, dont la production sera destinée à créer une cuvée baptisée le Bal du roi. Conduit en bio, le domaine affiche des rendements qui n’excèdent pas 40 ha.
Ce domaine privilégie les monocépages avec trois cuvées en blanc : chenin (cuvée Le Grand Lever), chardonnay (cuvée Louis d’or) et sauvignon (cuvée Grande Vue). Pour les rouges, il opte pour le pinot (Abondance), le cabernet franc (Coquille rouge) et le merlot (Les trois corneilles). Cette dernière cuvée fait exception à la règle car elle intègre 15 % de cabernet franc. Par ailleurs, les deux vignerons ont planté sur 2 ha, à titre expérimental, une collection d’une dizaine d’autres cépages. La Bouche du roi fait allusion à la branche de la maison du roi qui employait 2 000 personnes chargées de sillonner la France à la recherche de produits pour la cour.
Côté marketing, le domaine joue de sa proximité avec Versailles et de son statut de seul vignoble de poids en Île-de-France. Un choix qui lui a valu un intérêt rapide des acheteurs étrangers et des grandes tables franciliennes. Ce vin se positionne d’emblée sur un créneau haut de gamme avec des élevages en bois et des prix publics qui se situent autour de 24 € TTC la bouteille. Un tarif justifié au regard de la qualité des cuvées, dont les millésimes récents demandent un peu de garde pour s’affirmer. Mais le chenin 2020 est tout à fait convaincant et démontre déjà que l’Île-de-France peut produire de grands vins.
