Vins blancs sucrés, en quête de qualité

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Alors que la production et la consommation des blancs moelleux et liquoreux demeurent minimes en France, cela pourrait changer. En effet, quand la plupart des cuvées ont gagné en qualité, certains vignerons se sont adaptés en proposant des vins moins sucrés et plus équilibrés. D’autres se sont diversifiés à travers les blancs secs, qui jouent le rôle de locomotive.

Vin blanc
Vin blanc d’illustration. Crédit UnSplash.

Les clichés ont la vie dure, les vins blancs sucrés peuvent en témoigner. Dans l’imaginaire collectif, ces blancs moelleux ou liquoreux sont irrémédiablement associés au traditionnel foie gras, particulièrement lors des fêtes. Deux produits qui ont vécu des fortunes similaires, mais à des degrés divers. En effet, ce type de vin a connu son âge d’or pendant la seconde moitié du XXe siècle, avant de connaître un passage à vide. Un désamour lié à la baisse structurelle de la consommation de vin, mais pas seulement.

Et pour cause, dans le même temps, les blancs secs ont connu une trajectoire inverse avec une demande croissante du consommateur. « La tendance est assez erratique selon les vignobles, mais, au global, les moelleux, vins doux naturels et vins de liqueur sont relativement faibles dans la production totale », confirme Ségolène Camuset, déléguée aux affaires économiques au sein du Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique (CNIV). Par ailleurs, « nous avons connu un creux plus important au début des années 2000, puis une petite embellie dans les années 2010-2015. Aujourd’hui, cela stagne mais ce n’est pas complètement alarmant », souligne, quant à lui, David Grellier, directeur d’exploitation du Château La Varière, situé à Brissac-Loire-Aubance (49).

iChâteau La Varière
Le vignoble Château La Varière est présent sur les appellations de moelleux d’Anjou en coteaux-de-l’aubance, coteaux-du-layon, bonnezeaux et quarts-de-chaume. Crédit Jérôme Paressant.

Sur 150ha de vignes, le domaine dispose de 30ha de chenin. En particulier sur des terroirs de moelleux tels que les appellations coteaux-de-l’aubance, coteaux-du-layon, bonnezeaux et quarts-de-chaume, « les quatre appellations les plus connues de moelleux d’Anjou ». C’est sur ces deux dernières appellations d’origine contrôlée que le château a fondé sa réputation.

Accord avec la cuisine

Le sujet de l’accord de ces vins blancs sucrés avec des mets constitue pour certains l’une des explications de leur mauvaise passe actuelle. « Ils sont très difficilement proposables à table tandis que les secs s’accordent plus facilement. Pourtant, ce sont des vins magnifiques », avance ainsi Antoine Dupré, directeur général de Vidal-Fleury. La maison de négoce spécialisée dans les vins de la vallée du Rhône compte dans sa gamme un muscat de Beaumes-de-Venise, une référence historique. « Le vrai souci est que beaucoup de clients ne savent pas à quel moment les consommer. Avant, il y avait une vraie tradition, on débouchait facilement un vin blanc moelleux à 16h, à 18h, à l’apéritif », abonde David Grellier.

Pourtant, les vignerons ne manquent pas d’idées d’accords. Les moments de l’apéritif, pour éveiller les papilles, de l’entrée ainsi que du dessert sont les plus cités. Même avec du fromage comme le bleu. « Ils vont sur beaucoup de plats, notamment épicés. Par exemple, c’est un vin qui peut très bien accompagner un repas indien, avec de la sucrosité et de l’acidité », affirme également Matthieu Arroyo, directeur technique du Château d’Arche, grand cru classé de Sauternes en 1855. Ce domaine organise en outre avec des chefs de cuisine des repas entiers au sauternes, dans l’optique d’informer ses clients sur les différents usages.

Château d'Arche
Le Château d'Arche est un grand cru classé de Sauternes en 1855. Crédit Château d'Arche.
Domaine Mann-Vignoble des 3 Terres
Le Domaine Mann-Vignoble des 3 Terres, situé en Alsace, dispose de cuvées en vendanges tardives et en sélection de grains nobles. Crédit Domaine Mann.

De son côté, Sébastien Mann, du Domaine Mann–Vignoble des 3 terres, situé à Eguisheim, dans le Haut-Rhin, qualifie même d’« erreur française » l’association systématique d’un moelleux ou liquoreux à du foie gras : « On saturait les papilles en consommant des vins liquoreux avec du foie gras, qui est déjà gras. Alors qu’un liquoreux est un vin de méditation. De plus, il tient longtemps ouvert, donc nous ne sommes pas obligés de finir la bouteille. » Ce vignoble produit chaque année 75.000 cols à travers 35 cuvées, dont plusieurs de vin, blanc ou non, sucré (vendanges tardives et sélection de grains nobles pour un total allant de 600 à 1.000 bouteilles par cuvée).

Le sucre en baisse

À ce constat s’ajoute le contexte d’une époque faite d’excès. « Avant, tout le monde voulait du vin sucré parce que c’était un signe d’opulence, de liberté, de plaisir de vivre. Nous avons changé d’époque et nous faisons maintenant attention à notre santé », argumente ainsi Nicolas Parmentier, directeur de la Cave du Vendômois, qui détient la cuvée de moelleux Montgreffier, en AOC côteaux-du-vendômois. Une réalité donc complètement à rebours de l’actuelle où le sucre est sans cesse montré du doigt.

Domaine Cauhapé
Le Domaine Cauhapé, en jurançon, produit désormais 80% de blanc sec. Crédit Domaine Cauhapé.

De plus, les jeunes générations semblent se détacher de ce type de vin, alors que la saveur sucrée est appréciée dès le plus jeune âge, à l’inverse de l’amertume qui demande un palais plus aguerri. « Les jeunes ne vont pas être les plus grands connaisseurs sur le moelleux, ils vont avoir envie d’une expérience avec plus de fraîcheur », estime Audrey Clisson, responsable marketing et communication de Loire Propriétés, regroupement de plusieurs caves coopératives allant du Muscadet jusqu’en Touraine.

Mais Henri Ramonteu, du Domaine Cauhapé, qui produit du jurançon, possède une analyse un peu différente : « Pour les jeunes qui s’initient au vin, les moelleux et liquoreux constituent une porte d’entrée parce qu’ils représentent l’autosuffisance du palais, c’est ce qui le flatte le plus. Plus le palais s’initie et plus il recule devant le sucre. »

Néanmoins, rien n’est inéluctable. « Il y a toujours les amateurs qui savent mesurer la dimension d’un liquoreux », ponctue le vigneron. David Grellier, du Château La Varière, se montre conciliant : « C’est une génération qui n’a pas forcément l’image des moelleux avec des consommateurs âgés. Ils redécouvrent ce style de vin et l’apprécient. » Il ne reste donc plus qu’à transformer l’essai. De cette évolution de la demande découle fort logiquement une modification de l’offre. « Tout ce qui était moyen en termes de production, les vins où le but premier était le sucre, a disparu. Nous recherchons désormais toute la complexité qu’apporte un vin de vendanges tardives », poursuit Nicolas Parmentier.

La course au sucre

La course effrénée à la quantité de sucre dans le vin n’a plus lieu d’être. « Il y a 20-30 ans, nous assistions à la compétition à celui qui avait le plus de sucre. Aujourd’hui, nous sommes dans la logique d’avoir un bel équilibre, de la fraîcheur, et donc d’être davantage dans le respect de notre terroir », estime ainsi Matthieu Arroyo, du Château d’Arche. Tandis qu’un vin sec contient au maximum 4g de sucre par litre, les vins moelleux en contiennent entre 12 et 45g, et les liquoreux plus de 45g. Concrètement, la réduction de sucre a pu être significative. « Nous sommes plutôt autour de 80-90g de sucre par litre pour les coteaux-du-layon ou les coteaux-de-l’aubance alors qu’avant nous étions plutôt à 100-110. Sur les grandes cuvées, nous sommes entre 120 et 150g de sucre par litre, nous allons rarement au-delà », déclare en effet David Grellier, du Château La Varière.

Néanmoins, nul n’est prêt à changer l’identité de ses vins. « Nous avons choisi de produire ce qui se faisait à l’époque, avec de l’opulence. Aujourd’hui, le vin de paille est généralement plus facile à boire et ressemble davantage à des vendanges tardives. Mais nous n’avons jamais suivi les modes, explique Alexandra Mossu, du Domaine Mossu, au sujet de son vin de paille du Jura. Il n’est pas facile à boire, il apporte de l’alcool et du sucre. Un verre suffit. Chez nous, il tourne autour de 17% vol. tandis que dans l’appellation il est souvent vers 14-15% vol. De plus, l’appellation prévoit 18 mois d’élevage sous bois et une commercialisation au bout de la troisième année. Alors que nous laissons notre vin trois ans en fût et qu’il est commercialisé au bout de la quatrième année. »

L’enjeu de l’équilibre du vin

Château Monestier
Le Château Monestier La Tour, en Dordogne, possède une cuvée de liquoreux en AOC saussignac. Crédit Domaine Mann.

La clé fondamentale se situe au niveau de l’équilibre du vin. « Il faut toujours que le minéral prenne le dessus parce que c’est écœurant lorsque nous n’avons que du sucre », expose Sébastien Mann, du Domaine Mann-Vignoble des 3 Terres. Avant d’ajouter : « Les plus grands secs au monde sont ceux dont on a l’impression qu’ils sont sucrés, tandis que les plus grands liquoreux sont ceux pour lesquels nous avons l’impression qu’ils sont secs. »

Un propos que partage Mathieu Eymard, vigneron du Château Monestier La Tour, en AOC saussignac, appellation représentant une cinquantaine d’hectares sur quatre communes : « Nous n’allons pas concurrencer Monbazillac ou Sauternes en termes de quantité. Nous préférons un saussignac bien équilibré, sans trop de sucre en bouche. Pour beaucoup de liquoreux, nous n’avons pas envie d’y revenir au bout d’un verre. Je suis originaire de Monbazillac et, auparavant, les vins y étaient très concentrés en sucre. »

Une recherche d’équilibre finalement commune aux autres types de vin avec des consommateurs qui sont aujourd’hui en quête de fraîcheur et de fruité. Cet équilibre se travaille ainsi durant les étapes de fabrication de la boisson et révèle l’adaptation des vignerons. « Nous avons des vinifications qui conservent la fraîcheur, des fermentations mieux maîtrisées, donc nous conservons toute la fraîcheur du fruit dès le début et les arômes de vieillissement viennent réellement avec le temps, ils ne sont pas forcés par une vinification un peu lente », développe alors David Grellier.

Du côté du Château d’Arche, l’adaptation se porte sur la gamme, avec la création d’une nouvelle cuvée, baptisée Soleil d’Arche, la deuxième de sauternes présentée sous la forme d’une bouteille de spiritueux dotée d’un bouchon en verre. « Elle est adressée à une clientèle jeune ou à des gens qui ne s’y connaissent pas. Elle marche très bien », confie Matthieu Arroyo, le directeur technique. De plus, la bonne santé de la deuxième cuvée possède des effets positifs sur les ventes de la première, Château d’Arche.

Mais ce n’est pas tout, le domaine a décidé il y a cinq ans de produire non seulement du sauternes, mais aussi du blanc sec et même des vins pétillants sucré. Une stratégie de diversification qui s’est révélée payante pour le domaine qui affiche chaque année 200.000 bouteilles, dont 50.000 en blanc sec et 40.000 en liquoreux. « C’était une nécessité car nous avons plus de vins à vendre et moins de pertes. Ce n’est pas une remise en cause. Dans les vignobles historiques de liquoreux, nous produisons des blancs secs qui sortent du lot », justifie-t-il, avant d’assurer que « ce n’est pas que pour répondre à la demande en sec parce que faire du monoproduit est plus compliqué que disposer d’une gamme. Nous vendons bien nos blancs secs et le public s’approprie les liquoreux, ce qui les renforce ».

Au Domaine Cauhapé, Henri Ramonteu a conduit une démarche similaire. « Il y a 30 ans, je produisais 75% de moelleux, aujourd’hui, à l’inverse, c’est 80% de secs. Je n’ai fait que m’adapter à l’évolution de la consommation », lâche-t-il. Par ailleurs, le vin sucré peut apparaître, pour le blanc ou non, comme un complément de gamme. C’est ainsi le cas du Domaine Christophe Pichon Père & Fils et de leur cuvée Patience, en récoltes tardives en AOC condrieu, dont le dernier millésime a représenté environ 5.000 demi-bouteilles.

« Notre clientèle ne vient pas pour acheter ce vin, il constitue un plus et il est bien de l’avoir dans la gamme », confirme en effet Corentin Pichon, qui précise ne pas chercher à développer ce vin. Malgré tout, la demande est toujours présente. Pour preuve notamment, les coteaux-du-layon se produisent à hauteur d’1,2 million de bouteilles chaque année. Ce qui en fait le troisième plus important volume de Loire Propriétés. « Si nous en avions plus, nous en vendrions davantage », s’enthousiasme même Audrey Clisson.

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Loire Propriétés produit chaque année 1,2 million de bouteilles de coteaux-du-layon. Crédit Loire Propriétés.

Pour d’autres, les cuvées étant disponibles en quantités limitées, du fait de petites surfaces et de rendements faibles, l’écoulement des stocks ne pose pas de problème. D’ailleurs, les vignerons s’accordent sur un point : les blancs sucrés sont loin d’être morts, il restera toujours des amateurs éclairés pour en consommer.

La tendance générale semble tendre vers la persistance de cuvées de haute qualité. « Les petits moelleux correspondant à de la consommation régulière vont disparaître au profit de ceux de moments d’exception. Comme le vin au global, nous ne nous concentrerons que sur les belles bouteilles », confirme ainsi Nicolas Parmentier, de la Cave du Vendômois. Dans cette même veine, Sébastien Mann appelle à ne pas produire en masse, « mais seulement les plus belles années ». Il se veut d’ailleurs optimiste quant à l’avenir : « Je ne crois pas à la fin de vie des liquoreux mais il est certain qu’il faut se concentrer sur ceux qui ont de la matière et qui se gardent. »