Les Auvergnats et les CHR : une histoire d’amour qui dure

  • Temps de lecture : 13 min

Les Auvergnats au sens large, c’est-à-dire originaires du Massif central, sont toujours très présents dans la restauration française et parisienne en particulier, mais aussi dans l’hôtellerie. À l’occasion de ses 140 ans, l’Auvergnat de Paris revient sur quelques-unes de ces histoires iconiques.

Le terrasse Sénéquier.
Le terrasse Sénéquier. Crédits : Au Coeur du CHR.

Depuis une trentaine d’années, certains opérateurs ont choisi d’exploiter simultanément plusieurs adresses constituant des groupes familiaux de dimension appréciable. Quelques-uns d’entre eux, comme Olivier Bertrand, se sont hissés au rang d’acteurs de premier plan de ces métiers. Nous avons réalisé un petit tour d’horizon des groupes qui comptent à Paris. La liste est loin d’être exhaustive car beaucoup de jeunes professionnels venus du Massif central se développent aujourd’hui activement, suivant ainsi les traces de leurs aînés.

La formidable réussite de Gilbert et Jean-Louis Costes

iLe Café Marly, au Louvre, une des nombreuses adresses du groupe Beaumarly.
Le Café Marly, au Louvre, une des nombreuses adresses du groupe Beaumarly. Crédits : Au Coeur du CHR.

Gilbert et Jean-Louis Costes ont quitté Saint-Amans-des-Cots (Aveyron) pour monter à Paris dans les années 1960. Ils ont respectivement 17 ans et 16 ans lors de leur arrivée dans la capitale. Après avoir débuté un plateau à la main, pour le premier à l’Ambassade d’Auvergne et pour le second à La Strasbourgeoise, ils connaissent un parcours classique de gérants, puis de propriétaires de brasseries. En 1984, ils frappent un grand coup, en créant aux Halles le Café Costes, dont la décoration est confiée à Philippe Starck.

C’est le départ d’une formidable réussite qui va les conduire à créer de nombreux restaurants de luxe, concentrés pour la plupart autour des stations de métro de la ligne 1. Les deux hommes ont le génie de s’imprégner des tendances du moment et d’aller à l’essentiel en évacuant le superflu tant dans l’architecture d’intérieur que dans la cuisine. Ils s’entourent de décorateurs de renom comme Jacques Garcia ou Christian de Portzamparc. Leur organisation représente un modèle de rationalisation du métier. Ils connaissent aussi une réussite sociale car Gilbert est devenu avocat après avoir repris des études et il possède un DEA de droit privé. Cela lui a permis d’être élu à la présidence du tribunal de commerce de Paris de 1999 à 2004.

Aujourd’hui, la famille Costes contrôle près de 50 établissements. Ils sont essentiellement parisiens, mais la griffe familiale est aussi présente à Nice, Montpellier, en Belgique et bientôt à Deauville. Jean-Louis se concentre actuellement sur la réunion des hôtels Costes et Lotti à partir desquels il entend créer un palace qui serait le seul à Paris détenu par un indépendant. Pour Thierry Costes, fils de Gilbert, qui dirige le groupe Beaumarly, l’attachement à l’Aveyron reste fort pour la famille. Lui-même se rend chaque été dans sa maison de Campouriez et participe volontiers aux fêtes de village.

« Mon père et mon oncle ont l’habitude de passer le mois d’août à Saint-Amans, où mon oncle Jean-Louis et ma tante Généviève possèdent toujours la maison familiale des Tours près du camping de Saint-Amans », indique-t-il. Selon lui, les valeurs auvergnates imprègnent toujours le groupe Beaumarly : « Le travail, la rigueur, la frugalité, l’entraide. La discrétion est aussi une de nos vertus comme la fidélité. Depuis le début, nous restons liés aux mêmes distributeurs auvergnats comme Richard. »

La famille Joulie fait renaître les bouillons

iLe bouillon Chartier de Montparnasse.
Chez Bouillon Chartier, les prix n'augmentent pas. Crédit: DR.

La famille Joulie a signé elle aussi une très belle réussite parisienne en misant sur les valeurs classiques de la brasserie. Gérard Joulie, né à Pachins, un hameau de Montbazens (Aveyron) est arrivé à Paris en 1965, un an avant les frères Costes. Après avoir débuté lui aussi au plus bas de l’échelle, il rachète en 1975 le Trianon, porte Maillot, pour créer le Congrès Maillot, une brasserie à succès, vite dupliquée à la porte d’Auteuil. Il va rapidement se révéler comme un grand spécialiste du genre et collectionner ainsi de très belles adresses parisiennes comme L’Européen, Les Grandes Marches ou Sébillon.

Christophe Joulie.
Christophe Joulie. Crédits : Au Coeur du CHR.

Depuis quelques années, il a transmis le flambeau de l’entreprise familiale à son fils, Christophe, qui a diversifié les activités vers l’hôtellerie en créant un établissement de 42 chambres dans le voisinage de son restaurant Au bœuf couronné. Christophe et son père ont aussi choisi de « sauver » le célèbre Bouillon Chartier en le rachetant en 2007. L’enseigne populaire qui était en nette perte de vitesse, a vite repris des couleurs grâce à la réorganisation impulsée par Gérard et Christophe Joulie.

En moyenne, le restaurant de la rue du Faubourg-Montmartre sert aujourd’hui près de 1 800 couverts par jour. Christophe imagine ensuite d’installer ce concept de bouillon dans une de ses brasseries, le 1900, à Montparnasse. Il signe là un second succès et au printemps dernier, il a ouvert un troisième bouillon Chartier à la gare de l’Est, dans l’ancien emplacement de la Strasbourgeoise.

Cette réussite du bouillon a inspiré d’autres opérateurs à Paris, mais aussi en province. Il s’avère en tout état de cause très pertinent à une époque où la question du pouvoir d’achat est placée au centre des préoccupations. Christophe Joulie est en eff et très attentif au rapport qualité-prix de ses adresses. Il estime toujours gérer son entreprise en Auvergnat.

« Nous savons compter, ce qui ne s’apparente pas pour autant à la pingrerie dont on accuse à tort nos compatriotes. Nous nous développons en douceur et avec du bon sens, tout en faisant preuve de patience. Nous savons qu’il faut du temps pour construire… »

Il témoigne d’un attachement viscéral à l’Auvergne tout en avouant se rendre peu souvent en Aveyron. « La ferme familiale a été reprise par mon oncle et comme mon épouse Élodie est cantalienne, née à Aurillac, je me rends en revanche très souvent dans ce département et notamment à Pailherols où nous nous rendons régulièrement quelques jours, l’hiver ou l’été. Jusqu’à l’âge de 16 ans, j’ai passé toutes mes vacances chez mes grands-parents en Aveyron. J’ai besoin de retrouver cette vie ; ce sont mes racines et par bonheur j’ai pu les transmettre à mes enfants qui aiment séjourner là-bas. Il y a quelques jours encore, ils aidaient le fermier voisin à traire ses vaches. »

Céline Falco, créatrice de la maison Albar

iParis 16e Le Diamond Hôtel, une des adresses de la collection.
Paris 16e Le Diamond Hôtel, une des adresses de la collection. Crédits : Au Coeur du CHR.

Née Albar, dirige avec son mari Jean-Bernard, Centaurus, un puissant groupe hôtelier parisien créé au début de l’année dernière. Cette entité rassemble 40 hôtels, en France et à l’étranger, emploie 1 200 collaborateurs et réalisait un CA de près de 100 M€ en 2019.

Céline Falco.
Céline Falco. Crédits : Au Coeur du CHR.

Dans ses établissements, le groupe détient 23 bars et restaurants et 11 spas. Il faut savoir qu’à l’origine de Centaurus on trouve un groupe complètement aveyronnais constitué depuis quatre générations et près d’un siècle.

Les arrière-grands-parents de Céline Falco, Odette et René Albar étaient restaurateurs en Aveyron. Connaissant le succès, ils ont tenté leur chance à Paris. Depuis lors, la famille Albar a cumulé les adresses hôtelières.

En 2005, Jean-Bernard Falco et Daniel Albar, le père de Céline, créent Paris Inn group qui va considérablement se développer. Il y a quelques années, Céline et Jean-Bernard Falco on imaginé une marque hôtelière haut de gamme (5*), Maison Albar, qui compte déjà 9 unités dont 3 à Paris et une au Portugal.

Conséquence de ce développement tous azimuts, Centaurus est venu fédérer au début de 2021 toutes les activités du groupe, mais aussi développer l’activité de location gérance et les mandats de gestion hôtelière.

Thierry Bourdoncle s’aventure hors de Paris

Il a réalisé une belle réussite professionnelle qui s’étend désormais au-delà de la capitale. Il a le don de dynamiser le potentiel des brasseries qu’il rachète. Il parvient à trouver Thierry Bourdoncle. l’alchimie particulière qui convient lors du rachat de chacune de ses 30 adresses.

Parmi elles, on peut citer le Mabillon, la Palette, le Hibou (Paris 6e), le Petit Poucet, le Dôme de Villiers (Paris 17e), mais aussi le Durand Dupont de Neuilly-sur-Seine ou l’Eugène Eugène de Puteaux. Cet entrepreneur né à Paris, mais issu d’une famille originaire de La Terrisse, ne se contente plus d’élargir son terrain opérationnel à la banlieue mais il est présent depuis une dizaine d’années en province où son groupe compte désormais 13 restaurants et une boulangerie. Il a entamé ces implantations en dehors de la capitale de manière spectaculaire, il y a une dizaine d’années, en rachetant le célèbre café tropézien Sénéquier.

iLe groupe Bourdoncle est aussi présent à Megève avec des établissements comme le Sénéquier ou le Hibou blanc.
Le groupe Bourdoncle est aussi présent à Megève avec des établissements comme le Sénéquier ou le Hibou blanc. Crédits : Au Coeur du CHR.

Depuis lors, le développement en régions s’est accéléré avec 2 restaurants à Arcachon, 3 à Megève (avec son enseigne Le Hibou) et 8 sur le périmètre Deauville-Trouville. Ces rachats et transformations se sont réalisés au prix de la vente de certaines brasseries parisiennes du groupe. Thierry Bourdoncle reconnaît que ce rééquilibrage en dehors de Paris représente un choix économique délibéré : « Après avoir traversé les périodes d’attentats, de Gilets jaunes, il est normal de regarder en dehors de la capitale et je constate que, en province, il y a des opportunités et de belles choses à faire. Aujourd’hui, j’estime que mon groupe dispose d’un maillage plus judicieux. »

« Je reste sensible aux échos du pays »

Ces implantations en province ne permettent plus à Thierry Bourdoncle de se rendre aussi souvent en Aveyron qu’il ne le souhaiterait. « Je reste sensible aux échos du pays, mais ma vie professionnelle est aujourd’hui organisée de telle façon que je dois me partager entre les différents pôles. L’été, je vais plutôt à Saint-Tropez, Arcachon ou Deauville. L’hiver, je prends la direction de Megève. »

Pour ce restaurateur, « l’Auvergne cela représente avant tout un réseau et des hommes courageux ». Il reste ainsi fidèle à ses fournisseurs, Tafanel et Richard auxquels il voue un attachement naturel. « Pour moi, être Auvergnat, confie-t-il, c’est être prudent, travailler en respectant des valeurs. J’essaie toujours d’exercer le métier de la manière dont on me l’a appris. Mais la clé de la réussite, c’est de toujours penser à faire plaisir aux clients, ne pas tricher et de rester proche de ses collaborateurs. »

Jean-Pierre Long, le discret

Il ne se livre pas dans la presse et peu de photos de lui circulent. Pourtant, ce dirigeant d’entreprise originaire du Cantal, aujourd’hui âgé de 71 ans, a accompli une formidable réussite et contrôle nombre d’adresses enviables, comme le Deauville ou le George V sur les Champs-Élysées, le Café Madeleine ou encore le Clairon des chasseurs, à Montmartre Paris 18e). Il détiendrait ainsi avec sa famille une bonne trentaine d’établissements à Paris auxquels il faut ajouter le pâtissier Carette (Paris 16e).

Les frères Moussié, la jeune garde

Les frères Moussié font partie de la nouvelle génération auvergnate. En une vingtaine d’années, ces quadragénaires aurillacois, fils de l’ancien directeur technique du Comité interprofessionnel des fromages d’Auvergne, ont déjà réalisé un parcours édifiant avec des créations d’envergure. C’est le cadet, Pierre, qui est monté à Paris à la fin des années 1990, vite suivi par Richard, l’aîné et Guillaume, le benjamin.

Après avoir été formés dans les établissements d’Emmanuel Laporte, ils reprennent en 2001 la gérance libre de la Terrasse à Saint-Mandé (Val-de-Marne). Leurs résultats très flatteurs à la tête de cette affaire leur permettent une ascension rapide au cours de laquelle ils vont prendre le contrôle de brasseries comme le Floréal (Paris 10e), Le Bellerive (Paris 19e), le Parisien (Paris 3e), Le Buffet de la gare de l’Est, le Mansart (Paris 9e) et Le Sans Souci (Paris 9e).

Ils se spécialisent au départ dans la remise au jour de vieux bistrots un peu oubliés. Parfois, ils sont associés à dans ces adresses à d’autres acteurs cantaliens de la profession, comme c’est le cas avec Jean Vedreine. C’est avec ce dernier que Pierre Moussié a créé l’événe-ment en 2015 en ouvrant la Brasserie Barbès. Par la suite, associés à la famille Richard, les trois frères ont fait un détour par l’hôtellerie en ouvrant dans la foulée l’Hôtel Providence (Paris 10e).

L’année suivante, ils récidivent en rachetant l’Hôtel Delcher, à Aurillac et le rebaptisent Hôtel des Carmes, après rénovation. C’est Richard qui dirige personnellement l’établissement cantalien. C’est aussi à cette époque que la famille s’aventure à Montpellier pour ouvrir le Rosemarie. En 2017, la fratrie réalise un nouveau coup d’éclat avec la création du Bouillon Pigalle, en association avec la famille Richard. Ils revisitent ainsi avec succès le vieux concept du Bouillon.

iLes Frères Moussié misent désormais sur les bouillons, comme ici à République.
Les Frères Moussié misent désormais sur les bouillons, comme ici à République. Crédits : Au Coeur du CHR.

Non seulement la fréquentation de l’établissement dépasse les espérances de la famille, mais de surcroît, la crise sanitaire vient révéler le nouveau potentiel de ce concept en restauration livrée. Un atout qui a favorisé l’ouverture par les Moussié du Bouillon République l’année passée, en lieu et place de la brasserie Chez Jenny.

Philippe Vaurs, le succès dans l’hôtellerie

Il préside le groupe Elegancia qui détient 22 hôtels parisiens disposant de 30 à 63 chambres. Il est actionnaire de la moitié de ces établissements et dirige les autres pour des tiers. Ses grands-parents exploitaient l’hôtel Régis de Laguiole, qui aujourd’hui encore est géré par son oncle. Son père, Paul, avait fait le choix de monter à Paris pour travailler dans les brasseries parisiennes. Il est parvenu à acquérir plusieurs affaires et à détenir à la fin de sa carrière le Louis XVI à Puteaux et le Capétien, à Neuilly.

Mais après avoir obtenu un diplôme à l’école hôtelière Jean-Drouant, Philippe Vaurs a préféré tracer son propre chemin dans le secteur de l’hébergement. Un concours de circonstances lui a facilité la tâche. À la faveur d’un projet immobilier, les parents de Philippe ont eu l’opportunité de revendre leur établissement putéolien et ils ont décidé de racheter un vieil hôtel meublé dans la même ville.

« Pour me mettre le pied à l’étrier, ils m’ont donné la moitié des parts de l’entreprise et m’ont laissé faire mes preuves. En 1984, j’ai procédé à la rénovation de l’établissement que j’ai ouvert sous l’enseigne Le Dauphin. »

Très vite, il crée dans le voisinage l’hôtel Princesse Isabelle, et se retrouve rapidement à la tête de cinq hôtels installés dans Puteaux. « En 1990, pour parer à l’éventualité de la concurrence des chaînes intégrées, j’ai imaginé de m’assurer un flux de clientèle en créant une centrale de réservation qui s’appelait Elysée West Reservation, raconte-t-il.

Cela a tellement bien fonctionné pour mes établissements que des confrères ont souhaité adhérer. C’est devenu une vraie entreprise qui à son apogée rassemblait 130 hôtels entre Paris Lyon et Marseille ». Après avoir revendu sa centrale de réservation au groupe espagnol Hotusa, Philippe Vaurs a choisi de réinvestir ce flux financier dans Elegancia Hôtels, un groupe qui se développe depuis lors dans la capitale en créant des petits hôtels (3* ou 4*) autour d’un thème particulier. On lui doit ainsi des adresses très originales, comme le Crayon, la Parizienne, le Seven, le Snob ou encore plus récemment, le Chouchou, un hôtel guinguette qui a ouvert rue du Helder (Paris 9e).

iLe Chouchou, la dernière création d’Elegancia.
Le Chouchou, la dernière création d’Elegancia. Crédits : Au Coeur du CHR.

« Chaque hôtel raconte une histoire différente, déclinée par un décorateur spécifique, indique Philippe Vaurs. Chaque création donne lieu à un tour de table auquel nous convions différents actionnaires. » Même s’il reconnaît que la crise sanitaire et les fermetures d’hôtels qui en ont résulté, l’ont durement éprouvé, Philippe Vaurs est désormais plus serein. « Fin août, assure-t-il, les chiffres observés depuis le début de l’année sont désormais supérieurs à ceux de 2019 sur la même période observée, alors que la plupart de nos hôtels étaient fermés en janvier février… »

Ce constat positif pousse l’hôtelier à poursuivre son développement. Des compromis ont été signés pour deux rachats d’établissements à Paris et le groupe songe à attaquer le marché provincial.