En France, le marché de la bière se réveille

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Une fois passé le choc de la crise sanitaire, le marché de la bière commence à retrouver sa dynamique. Les grands brasseurs continuent d’innover sur les segments du sans-alcool, de l’aromatisé et des bières de spécialité. Ils multiplient également les partenariats avec les structures plus modestes pour apporter une offre variée et locale dans les becs pression.

Illustration becs à bière dans un bar parisien. Crédits : L'Auvergnat de Paris.
Illustration becs à bière dans un bar parisien. Crédits : L'Auvergnat de Paris.

Depuis près d’une dizaine d’années, le marché de la bière se redresse, mais la crise sanitaire a provisoirement cassé cette dynamique. Alors que les chiffres ne sont pas encore tombés, il est fort probable que les volumes globaux en France aient encore connu en 2021 un tassement par rapport à la normale, comme en 2020, notamment en raison de la mise à l’arrêt du circuit CHR durant plusieurs mois.

Mais comme le font remarquer de nombreux acteurs, ce ralentissement a été atténué par deux facteurs. Le marché à domicile a partiellement compensé la baisse du hors-domicile. Heineken France note ainsi une hausse en valeur de 17 % dans la grande distribution entre 2019 et 2021, alors que dans le même temps le brasseur déplorait une perte en volume de 40 % en CHR. Au regard de la période de fermeture imposée aux bars, cette chute limitée représente presque une bonne nouvelle. Dès l’ouverture des établissements, au mois de mai de l’année dernière, l’activité est repartie en flèche dans ce secteur.

En dépit de cette parenthèse, Anders Roed, fraîchement nommé à la tête de Kronenbourg SAS, nourrit de grandes ambitions pour les prochaines années. Ce Norvégien estime ainsi que le « marché français de la bière apparaît comme le plus intéressant en Europe ». Il a d’ailleurs récemment indiqué qu’il voulait consacrer d’importants investissements dans la brasserie d’Obernai (Bas-Rhin) afin d’accélérer le développement des produits innovants.

La filiale de Carlsberg consacrera 6 M€ pour y installer une unité de houblonnage à cru ainsi que 6 M€ dans l’accroissement des capacités de stockage. Enfin, deux nouveaux fermenteurs absorberont une enveloppe de 2 M€ et permettront un travail plus pointu sur les levures. Il s’agit ainsi d’adapter une industrie brassicole habituée à travailler sur des grandes gammes à proposer des produits plus variés.

Sans-alcool, bières aromatisées et de dégustation : les trois axes de croissance du marché

Anders Roed a aussi indiqué qu’il ne prévoyait pas d’innovation dans le secteur CHR cette année, en attendant que ce marché retrouve sa vitesse de croisière. Mais à travers les nouveautés présentées pour le hors-domicile, il a assuré privilégier trois axes : le sans-alcool, les bières aromatisées et celles de dégustation. Alors que des marques comme Kronenbourg voient leurs ventes diminuer au profit de 1664 qui a gagné ses galons de marque internationale au yeux du P-DG de la brasserie, ces trois familles de produits ont connu une progression impressionnante ces dernières années. En 2010, toutes trois confondues, elles représentaient 16 % des volumes de vente de l’entreprise. Elles en concentrent aujourd’hui 36,5 % et en 2025, d’après Anders Roed, elles pèseront pour moitié.

Le marché français de la bière apparaît comme le plus intéressant en Europe
Anders Roed, P-DG de Kronenbourg SAS

Du côté de Heineken France, Antoine Susini, directeur marketing, fait peu ou prou le même constat. Le groupe a gagné l’année passée dans l’Hexagone 0,8 % de parts de marché avec les bières aromatisées, 0,3 % avec les bières sans alcool, et 0,2 % sur les bières d’abbaye. Il est bien décidé à enfoncer le clou et lance sur le secteur hors domicile la Desperados Virgin 00 parfum fresh berry et l’Affligem blanche 00. Mais surtout, la brasserie va décliner sur l’ensemble du marché français son produit emblématique sous une nouvelle forme, Heineken Silver.

Jusqu’à présent, le brasseur néerlandais avait répugné à présenter de nouvelles versions de sa marque iconique, en dehors du sans-alcool ou de créations ponctuelles. « Les grandes marques comme la nôtre se retrouvent face à des tendances telles que la fragmentation, le local, qui jouent contre elles », justifie Antoine Susini.

Heineken Silver qui sera distribuée en CHR en fûts de 30 litres représente une version plus contemporaine de la marque avec une bière maturée à – 1 °, moins alcoolisée (4 ° au lieu de 5 °) et deux fois moins amère que la classique. La Silver sera sur le marché officiellement à Paris à la fin d’avril. Un pop-up store baptisé Extrafresch Market et disposant d’un bar speakeasy prendra place du 28 avril au 7 mai au cœur du quartier Vertbois (Paris 3e ) pour appuyer Heineken Silver.

Antoine Susini espère ainsi dynamiser l’image de la lager avec un lancement qui vient d’avoir lieu dans 15 pays européens. Ce segment des bières légères se développe activement. On peut aussi évoquer, à cet égard, le succès de la Ginette installée l’année passée par ABInbev (4,5°). Le brasseur vient également de réactiver Corona (4,6 °) cette année, en la proposant désormais à la pression grâce à une colonne spécialement étudiée sur le plan esthétique et technique.

La créativité des microbrasseries bouscule le marché

Si les brasseurs s’intéressent de plus en plus aux secteurs du sans-alcool ou low alcool, ils innovent aussi du côté de bières de dégustation très fortes ou présentant un houblonnage particulier, comme les IPA ou les hoopy lagers. Kronenbourg a présenté une Grimbergen cuvée 8,5 ° alors qu’AB Inbev a mis l’année passée sur le marché la Victoria, forte de ses 8,5 °.

Il ne faut pas oublier qu’une quatrième famille de bières secoue le marché, celle des bières artisanales. Certains acteurs restent perplexes quant à leur incidence à l’instar de Philippe Collinet, directeur de communication de Kronenbourg :

On dénombre aujourd'hui 2 500 microbrasseries en France et leur croissance sur le territoire ne s'est jamais ralentie. Pourtant, les Français figurent toujours parmi les plus modestes consommateurs de bière en Europe avec seulement 33 litres par habitant et par an.

De là à dire que les craft beers n’impactent pas les volumes, il n’y a qu’un pas. Mais une chose est sûre, ces dernières ont amené énormément de créativité dans ce marché. D’ailleurs, les grands brasseurs ont su nouer des liens avec des brasseries artisanales internationales qui sont sorties du lot. La filiale française de Carlsberg distribue ainsi une bière internationale comme Brooklyn. AB Inbev joue pour sa part la carte de la marque Goose connue pour ses IPA. Heineken bénéficie du succès de la Lagunitas, née en Californie, et entend la développer à la pression en CHR via la machine Blade.

En région, Kronenbourg appuie la commercialisation de locaux comme Pietra en Corse, Eguzki dans le Pays basque et plus récemment Demory, à Paris. Pour sa part Heineken bénéficie en région parisienne du rachat de Gallia et a offert à la jeune entreprise un nouvel outil brassicole à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne). La brasserie vient ainsi de présenter la Gallia Champ Libre, une blonde non filtrée titrant 5,8 ° et exclusivement confectionnée avec des ingrédients français. Elle est distribuée en CHR via la bouteille de 33 cl, le Blade (8 litres ou le fûts de 30 litres).

Ces coups de pouce apportent aux petits brasseurs une visibilité accrue sur le marché. Les grands industriels y trouvent leur compte. Leurs grosses lignes de production ne sont pas forcément adaptées pour fabriquer des brassins plus modestes. Grâce à ces partenariats, ils sont en mesure de proposer une diversité et même une off re locale à leurs clients CHR.

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