Le décaféiné décline ses nuances

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Si, pour l’heure, les décaféinés et leurs alternatives ne tirent pas leur épingle du jeu sur les cartes des CHR, la demande des breuvages sans caféine se fait de plus en plus sentir. Néanmoins, les procédés d’extraction de la caféine sont divers et les ersatz locaux fleurissent.

coutume café
Le "Laurina" de chez Coutume café. Crédit : DR.

Bien que le « déca » soit proposé à la carte de presque tous les cafés et les restaurants, le processus de décaféination qui consiste à ôter la caféine des grains de café vert –leur couleur avant torréfaction– tout en essayant de préserver au maximum les composants responsables de la richesse aromatique du produit, reste quant à lui encore assez opaque. Ainsi, il n’existe non pas un, mais trois procédés de décaféination di érents, « la décaféination à l’eau, celle au CO2 et enfin l’utilisation de solvants chimiques ou naturels qui reste à ce jour le processus le plus utilisé car il permet de produire de gros volumes de décaféinés », précise Alice Juguet, responsable sourcing café vert chez Coutume. Les solvants sont plus ou moins respectueux de l’environnement et des saveurs du grain. Par ailleurs, très souvent, l’option privilégiée par le torréfacteur dépend de l’échelle à laquelle le café décaféiné est produit. Selon Alice Juguet, « les solvants naturels sont constitués de canne à sucre. Ils sont utilisés dans la préparation de décaféinés obtenus à partir de café de spécialité et sont assez respectueux du grain ». Dans ce processus, la mélasse, dérivée de la canne à sucre, est fermentée afin de créer de l’éthanol qui sera ensuite mélangé avec de l’acide acétique. C’est ce mélange qui sera employé pour décaféiner les grains de café naturellement.

A contrario, les solvants chimiques, pourtant soumis à des règles et à des normes européennes strictes, ont tendance à altérer les qualités aromatiques du café en rendant le grain poreux, puis en le distillant. Ceci a tendance à augmenter l’acidité de l’estomac du consommateur. Malgré cela, ce processus reste encore très utilisé dans la préparation de décaféinés industriels. En ce qui concerne la décaféination à l’eau, brevetée sous les termes « Swiss Water Process » et « Moutain Water process », les grains de café vert sont « immergés dans de l’eau enrichie en composants aromatiques tels que de l’extrait de café vert. L’eau étant un solvant naturel, une partie de la caféine va être extraite et les arômes conservés ». Néanmoins, Alice Juguet précise que la décaféination à l’eau, bien qu’elle soit entièrement naturelle, comporte quelques désagréments: « Cela n’est pas coûteux et très probant mais cela prend beaucoup de temps car il faut répéter l’opération à plusieurs reprises. » Enfin, en ce qui concerne la décaféination au CO2 , il reste « le processus le plus onéreux, car il demande plus de manipulations », commente Alice Juguet. Le processus consiste à employer du CO2 dans un état appelé « super critique ». Ce dernier va agir comme un solvant en captant la caféine et permettre de décaféiner le produit naturellement. « À ce jour, c’est le plus concluant en termes de qualité aromatique, mais aussi le plus onéreux », indique-t-elle.

Autres alternatives

En revanche, pour Alice Juguet, il est toutefois important de préciser qu’il existe « des cafés naturellement pauvres en caféine comme c’est le cas pour les variétés de caféiers bourbon pointu ou laurina ». En effet, ceci s’explique par le fait que « le taux de caféine contenu dans un caféier dépend essentiellement du degré de stress qu’il subit. Ceci peut notamment être lié au terroir dont la plante est issue », précise Alice Juguet. De ce fait, certaines variétés de caféiers dites « peu stressées » contiennent un pourcentage de caféine compris entre 0,2 et 0,4% alors qu’un décaféiné ordinaire oscille aux alentours de 0,1%. Ainsi, bien que les coffee shops Coutume proposent leur propre décaféiné, la responsable sourcing de la marque préconise davantage la consommation de « low caf », le nom donné aux cafés faiblement caféinés, et ce, dès leur état naturel. « Ils sont intéressants en termes de saveur car la caféine est l’agent qui donne une amertume au café, et par conséquent son caractère », précise-t-elle. Par ailleurs, en matière de décaféinés, d’autres préfèrent tabler sur le local. C’est le cas notamment de Nathalie et Yoann Gouéry, fondateurs de Graine de Breton, entreprise de torréfaction située à Ploeuc-l’Hermitage (22), en Bretagne.

Le couple propose un café d’orge, populaire en Italie sous le nom de « caffè d’orzo » et dont la mouture, très semblable à celle du café traditionnel, est préparée à partir d’orge breton torréfié. « L’aventure Graine de Breton est née dans un restaurant. Nous voulions renouveler notre carte et nous sommes tombés sur un livre dont le titre nous a immédiatement plu La Cuisine gauloise continue », raconte Nathalie Gouéry. L’ouvrage, qui retrace les habitudes alimentaires de nos ancêtres, indique que « les Gaulois auraient eu pour habitude de boire une sorte de café préparé avec de l’orge ». Amusé, le couple décide dès lors de servir cette recette à ses clients : « Cela a tout de suite plu. Nos habitués en redemandaient et souhaitaient même en acheter! ». Cet engouement confirme leur envie de créer « une alternative bio et locale au décaféiné traditionnel ».

Aujourd’hui, Graine de Breton fournit une trentaine de restaurateurs. Ces derniers, s’ils utilisent bel et bien le café d’orge en remplacement du décaféiné ou simplement du café, s’en servent aussi pour « préparer des desserts ou des sauces pour leurs poissons ou leurs viandes », détaille la fondatrice. La mouture du café d’orge, moins fine que celle du café classique, s’utilise néanmoins de la même manière « cela s’adapte aux machines à expresso, italienne ou à pignon ». Enfin, certains chefs comme Florent Ladeyn, personnalité emblématique des Flandres dont les différents établissements tournent à plein régime uniquement grâce aux produits de sa région, le sempiternel café a depuis plusieurs années déjà déserté les tables. En le remplaçant par de la chicorée, le chef propose aux clients une boisson chaude dont la sapidité se rapproche de celle du café tout en faisant travailler l’économie locale. D’autres, comme Jacques Ferté et Guillaume Roy, fondateurs de la marque de bière Gallia, ont également flairé le potentiel incommensurable de cette plante et ont récemment lancé Cherico, leur propre marque de chicorée : « Nous étions de gros consommateurs de café et avions en tête que sa consommation n’est pas viable à terme. Nous avons donc cherché une solution qui réponde à cette problématique; après un peu de recherches, et beaucoup de rencontres, la chicorée nous est apparue comme une évidence. » Un autre argument et non des moindres « produire une tasse de chicorée émet moins de 10 grammes de CO2, contre 49 pour le café », argumentent les deux fondateurs.

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