En terrasse jusqu’à minuit mais…

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L’ouverture des terrasses estivales jusqu’à minuit, entre le 1er juillet et le 8 septembre, pose question. Philippe Meilhac, avocat à la cour d’appel de Paris et spécialisé dans les affaires juridiques liées au CHR, nous livre ses réponses.

terrasses estivales
Terrasse. Crédit Richard El Mestiri.

Les autorisations estivales en chiffres

1.000

terrasses sur les trottoirs

700

contre-terrasses sur les trottoirs

150

terrasses installées sur une place sur les trottoirs

2.000

emprises sur les zones de stationnement

L’Auvergnat de Paris : La prolongation de l’ouverture des terrasses estivales donne satisfecit aux exploitants…

Philippe Meilhac : La maire de Paris en personne a en effet annoncé, le 15 mars dernier, sa volonté d’étendre la plage horaire des terrasses estivales, de 22h à minuit. Si cette mesure a été accueillie avec enthousiasme par les professionnels, des riverains se disent inquiets, et certaines associations sont vent debout. Ainsi, le collectif Droit au sommeil Paris, l’association du Réseau Vivre Paris et l’association Pour une ville souhaitable ont déclaré dans un communiqué commun quitter immédiatement le Conseil de la nuit et ont demandé sa dissolution.

iMaître Philippe Meilhac.
Maître Philippe Meilhac. Crédit Frédéric Leroi.

ADP : Elle s’inscrira donc dans le cadre réglementaire des terrasses estivales ?

P. M. : Depuis l’arrêté du 11 juin 2021 portant nouveau règlement municipal des terrasses et étalages parisien (RET), l’installation des terrasses estivales a été réglementée et, comme pour les emprises permanentes, une autorisation préalable est nécessaire. Ce texte est très fourni. Rendez-vous compte qu’il est passé de 10 pages dans les années 1990 à 70 pages dans sa version actuelle…

ADP : Des démarches spécifiques sont-elles nécessaires ?

P. M. : Au regard de la manière dont la mesure sera réglementée, il n’y aura, de toute évidence, pas besoin de demander une autorisation particulière. Ainsi, l’établissement qui dispose d’une autorisation de terrasse, ou de contre-terrasse, estivale ou sur stationnement pourra l’exploiter de plein droit jusqu’à minuit. Par ailleurs, un établissement qui ne bénéficierait pas encore d’autorisation estivale ou de stationnement peut encore faire une demande. Néanmoins, on peut craindre que le prolongement de la plage horaire ait une incidence négative sur l’accueil des nouvelles demandes d’autorisation. La Ville de Paris pourrait refuser ou tarder à répondre afin d’éviter qu’un nombre d’installations « trop important » ne soit autorisé au 1er juillet prochain.

ADP : Quoi qu’il en soit, les craintes d’une partie des riverains sont parfois légitimes…

P. M. : Les craintes de nuisances, en particulier sonores, exprimées par les riverains sont légitimes et les exploitants doivent y faire face. Une approche réaliste s’impose. Il est évident que plus on avancera dans la nuit, plus le risque est important et sa perception difficilement acceptée. Paris est une ville bruyante de jour comme de nuit, comme le montrent toutes les études, mais contrairement au camion des éboueurs, des livreurs ou aux personnes éméchées ou violentes qui hurlent sans raison, le bar-restaurant ne peut se déplacer et il est une cible toute trouvée quand une personne souhaite se plaindre du bruit qu’elle subit. Tout dépend de la situation géographique. Si l’établissement est situé sur une place déjà animée ou bruyante (Pigalle par exemple), il risque moins d’être pointé du doigt que s’il est installé dans un lieu paisible, par exemple au cœur du Marais.

Je conseille, bien sûr, à l’exploitant de rendre visite à ses riverains, d’aller à leur rencontre et d’entendre leurs doléances. Cela peut se révéler délicat pour certains qui reprennent un établissement où l’ancien propriétaire a connu des déboires ; dans ce cas, difficile de renouer un dialogue constructif. La crainte de l’autre est souvent à l’origine de plaintes qui, sur le fond, ne sont pas justifiées forcément. Sur ce sujet, il me semble que les mairies d’arrondissement pourraient prendre des initiatives pour échanger et réunir les diff érentes parties. Pourquoi ne pas convier des établissements pointés du doigt au Conseil de quartier ? Ces craintes doivent être nuancées compte tenu de l’implication de la police municipale.

La police municipale dispose de caméras-piétons en voie d’être généralisées pour la verbalisation des terrasses.
Philippe Meilhac, Avocat à la cour d'appel de Paris et spécialisé dans les affaires juridiques liées au CHR

ADP : Qu’entendez-vous par là ? Un zèle excessif de sa part ?

P. M. : Il est un fait que la création et surtout la pérennisation de nouveaux modes d’exploitation du domaine public apparus durant la crise sanitaire se sont accompagnées d’un renforcement de la répression, tant sur le plan juridique que matériel. La vérification des installations était historiquement confiée au service de l’urbanisme et à la police nationale, et ce contrôle était très imparfait. Le service chargé d’instruire les demandes et de rendre les décisions est depuis des années – comme l’avait relevé un rapport d’audit de l’Inspection générale de la Ville de Paris – sous-dimensionné et le demeure aujourd’hui au regard du nombre de demandes qu’il doit traiter (environ 10.000 en 2023).

La police nationale est, elle aussi, débordée. Elle ne conçoit pas comme faisant partie de ses missions prioritaires de contrôler les terrasses de cafés, car lorsque des problèmes de troubles à l’ordre public se posent les exploitants sont les alliés des forces de l’ordre. Depuis sa création le 2 juin 2021, ce contrôle revient à la police municipale, dont les agents sont de plus en plus nombreux et de mieux en mieux équipés. Ils disposent ainsi depuis novembre 2023 de caméras-piétons déjà utilisées pour les agressions sur la voie publique et qui peuvent servir pour la verbalisation des terrasses. Celles-ci pleuvent.

En outre, il existe de nouvelles sanctions, plus dissuasives que par le passé. Par exemple, auparavant, un gérant qui exploitait sans autorisation une terrasse ou qui se situait sur une surface supérieure à celle autorisée, pendant des mois, voire des années, ne craignait pas d’en être empêché. Au pire, il s’exposait à une amende, dont le montant n’était souvent pas dissuasif, même lorsque le tribunal de police était saisi. Le nouveau règlement municipal des étalages et des terrasses (RET) parisien, arrêté le 11 juin 2021 (soit quelques jours après la création de la police municipale), comporte (article DG.20.1) toute une batterie de sanctions administratives, en particulier « l’amende administrative » et, surtout « l’enlèvement d’office ».

Au-delà de ces sanctions, on assiste aussi depuis quelques mois à des campagnes de verbalisation plus ou moins ciblées de certains exploitants qui font l’objet de très nombreuses contraventions plus ou moins justifiées ou qui sont victimes de la lenteur de la Ville de Paris.

ADP : Que voulez-vous dire par cette « lenteur » ?

P. M. : Je fais référence à la durée d’instruction des demandes d’autorisation. Rappelons qu’une fois le dépôt de demande d’une terrasse estivale effectué sur le site de la Ville de Paris, le service de l’urbanisme a deux mois pour répondre. Mais contrairement à d’autres domaines, le silence de la Ville vaut refus ! Les demandes où la Ville met de nombreux mois à répondre sont de plus en plus courantes. Je pense à cet établissement qui a demandé une autorisation de terrasse estivale en avril de l’année dernière, et, après maintes relances, celle-ci vient seulement de lui être accordée en avril 2024.

Résultat : certains exploitants s’impatientent et installent par anticipation, ce que je déconseille vivement de faire car, au final, même si le dossier a toutes les chances de recevoir un feu vert, l’autorisation pourra être refusée du fait des verbalisations, ce que le RET prévoit. Il faut être patient et bien accompagné.

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