Trois questions à Johan Thyriot, chef du Domaine du Colombier dans la Drôme

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Rencontre avec Johan Thyriot, chef du Domaine du Colombier dans la Drôme. Le chef Meusion a répondu aux trois questions d’Au Cœur du CHR.

Johan Thyriot
Johan Thyriot, chef du Domaine du Colombier. Crédit DR.

Johan Thyriot occupe le poste de chef du Domaine du Colombier, situé à Malataverne (Drôme). Du haut de ses 43 ans, le cuisinier invite ses convives à vivre un « voyage poivré » à travers une quarantaine de « vrais et faux poivres ». Cette passion pour cette épice, Johan Thyriot l’a découverte durant les saisons d’hiver lorsqu’il cherchait un ingrédient pour créer un lien entre ses cartes. Johan Thyriot a répondu aux trois questions d’Au Cœur du CHR.

Au Cœur du CHR : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Johan Thyriot : J’ai eu un parcours classique. Pas très intéressé par les cursus scolaires, j’ai choisi le milieu de la cuisine comme j’aurais pu choisir un autre milieu. Mais une fois entré dans le monde du travail, j’ai été piqué par le métier, j’ai eu le feu sacré. J’ai commencé à l’Hôtel Martinez à Cannes (Alpes-Maritimes) puis au Château de Bagnols, à Bagnols (Rhône) avec le chef Philippe Labbé. C’est là où tout a réellement commencé. Ensuite, pendant cinq ans, j’ai travaillé à nouveau avec le chef Philippe Labbé au Château de La Chèvre d’Or, à Èze (Alpes-Maritimes). Il est l’un de mes trois mentors, il m’a appris toute la partie technique de la cuisine. J’y ai également rencontré ma compagne, Émilie.

Par la suite, nous postulons, avec ma femme, pour travailler chez Michel et Sébastien Bras. Au bout de la troisième année, nous sommes sélectionnés. Une fois la première saison terminée, ils nous envoient dans leur restaurant au Japon. Nous y restons trois ans et demi en décrochant trois étoiles. Michel Bras est mon deuxième mentor, il m’a appris toute la poésie de la cuisine. Puis arrive Fukushima [accident intervenu le 11 mars 2011 au sein de cette centrale nucléaire japonaise, NDLR]. Alors nous terminons notre contrat et décidons de retourner en France. À ce moment, nous montons le restaurant Meo à Tarascon (Bouches-du-Rhône). Nous obtenons une étoile au Guide Michelin et trois toques Gault&Millau dès la première année. Mais nous savons d’ores et déjà que nous n’y resterons que peu de temps.

Après cette étape, je rencontre mon troisième et dernier mentor : Émile Viciana. Il m’offre une formation complète sur toutes les facettes du rôle de directeur, que ce soit dans la maîtrise des chiffres, la gestion des opérations, ou encore le leadership. Je travaille avec lui au Cures Marines, à Trouville-sur-Mer (Calvados). Lorsqu’il quitte l’établissement, je pars également. Enfin, un chasseur de tête me propose le Domaine du Colombier à Malataverne (Drôme). C’est la meilleure destination que je pouvais espérer. Je me sens à la bonne place, dans une maison qui me ressemble et qui partage ma vision de ce que doit être un chef, c’est-à-dire promouvoir les produits locaux d’où il travaille tout en étant responsable. Je suis même désormais directeur de l’entreprise.

ACDC : D’où vous vient cette passion pour le poivre ? Et comment le travaillez-vous ?

J.T. : Lorsque je travaillais avec Michel Bras, j’ai appris à devenir un cuisinier-jardinier. Pour confectionner mes cartes par rapport aux saisons, je n’avais aucun problème pour celles du printemps, de l’été et de l’automne. Mais il me manquait toujours quelque chose pour celle de l’hiver. Je n’arrivais pas à m’exprimer. Alors j’ai cherché un produit qui pourrait lier les quatre saisons. Mais je ne suis pas fan des épices et les plantes aromatiques sont peu présentes durant cette période. J’ai d’abord essayé le faux-poivre baies des Cimes avec ses notes de mandarine. J’ai tout de suite apprécié le côté exhausteur de goût de cet épice, le fait qu’il ne dénature pas le reste des aliments. Petit à petit, tout cela s’est accéléré et il est devenu le produit au cœur de mes recettes.

Le poivre possède plusieurs bienfaits. Par exemple, lorsque je réalisais de la cuisine diététique, j’ai découvert qu’il disposait d’un effet coupe faim. Tout le contraire du sel, qu’il faudrait bannir des cuisines. Le poivre jouit d’une mauvaise image car il est en permanence associé au sel. C’est un produit qui gagnerait à être plus connu.

Il s’agit également d’un produit de terroir, j’aime bien le comparer aux cépages d’un raisin. La texture, le goût, les arômes du poivre changeront toujours en fonction du sol où il a été cultivé. Maintenant, quand je confectionne une recette, j’ai toujours ma palette de poivres, comme un peintre. Il oriente mes plats.

ACDC : Comment voyez-vous l’avenir de votre profession ?

J.T. : Le chef de demain devra être l’acteur du local. Je pars du principe qu’il devra promouvoir le terroir, la région où il se situe. C’est à nous de faire vivre le terroir. Dorénavant, le métier est voué à changer. Nous ne sommes plus seulement dans la transmission. Lorsque l’on recrute, la personne veut fédérer autour d’un concept, que ce soit par les conditions de travail ou la vision de la cuisine. Tout est question d’équilibre. Aujourd’hui, nous avons beaucoup plus de responsabilités. Dans l’avenir, je suis même sûr que les chefs devront apprendre à être davantage polyvalent, surtout sur l’aspect administratif. Le chef de demain doit arrêter de réaliser des plats pour les réseaux sociaux. De la terre à l’assiette, il doit raconter des histoires.

Enfin, le consommateur doit revoir ce qu’est le concept de restaurant. Aujourd’hui, nous faisons face à beaucoup de no-show, des personnes qui réservent mais ne se présentent pas. Je pense qu’un restaurant se dirigera comme une pièce de théâtre, à l’instar des paiements effectués en amont. Cette problématique met en péril les emplois, mais également les fournisseurs.

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