Matériel de seconde main, le nouveau réflexe

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Le matériel de seconde main se fait progressivement une place dans les CHR. Portée au départ par la tendance du vintage en décoration, cette logique est désormais une véritable réponse pour les entreprises face aux coûts environnementaux et financiers induits par les activités de restauration et d’hôtellerie. D’autant que l’offre s’organise de mieux en mieux pour démocratiser l’usage de l’occasion et du reconditionné.

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Vesto reconditionne l’équivalent de 6 tonnes de matériel chaque mois après avoir récupéré des appareils partout en France. Crédit Laura Duret.

La possibilité d’acheter du matériel d’occasion pour la restauration et l’hôtellerie n’est pas un fait nouveau. Mais depuis quelques années, les enjeux autour des équipements de seconde main sont de plus en plus prégnants, non seulement pour des questions environnementales – les CHR génèrent 42.000 tonnes de déchets matériels par an –, mais aussi dans un contexte économique difficile. L’offre est donc en train de se structurer pour permettre à l’occasion de franchir un cap, notamment en apportant de la fiabilité et une garantie de satisfaction.

Car cette manière de consommer subit encore des a priori et un besoin de fiabilité : « La seconde main s’est totalement démocratisée dans nos vies privées mais c’est complètement différent dans la sphère professionnelle, constate Sophie Scantamburlo Contreras, cofondatrice et directrice générale de Scop 3. En entreprises, on retrouve beaucoup d’a priori sur l’état des produits, sur le fait que le style sera hétérogène. Notre objectif c’est justement de démontrer le contraire. »

L’entreprise, lancée il y a deux ans, se place comme un trait d’union entre les deux parties de la seconde main : ceux qui jettent et ceux qui veulent s’équiper. La plateforme vend du matériel, mais tire sa plus-value surtout dans l’accompagnement de projets pour « flécher le mobilier de seconde main vers les bons aménagements ». « La seconde vie n’est pas forcément moche, et permet de réaliser des projets d’ampleur tout à fait homogènes, au même niveau de qualité que du neuf. Le but est de structurer et d’organiser toute cette filière pour qu’acheter d’occasion soit aussi facile et fiable qu’acheter neuf ». La plupart des acteurs de ce mouvement de démocratisation du matériel de seconde vie proposent d’ailleurs des garanties de plusieurs mois sur le matériel qu’ils vendent.

Un besoin de confiance

C’est le cas de Negoce CHR mais aussi d’Alpagga, une plateforme de vente d’occasion spécialisée en CHR. Une manière de rassurer les professionnels. « J’ai besoin de savoir qu’un SAV sera au rendez-vous si j’ai un problème. Je ne peux pas me permettre de me retrouver sans lave-verres ou sans four pendant 72h », réagit Laurent Perlès, cofondateur des écoles de cuisine La Source, qui intègrent depuis le départ la seconde main dans l’aménagement des cuisines et des restaurants d’application, 30% de l’ensemble du matériel en moyenne. Il se fournit majoritairement chez Vesto, qui s’est spécialisé dans le reconditionnement, un marché spécifique. L’entreprise a levé des fonds pour se doter d’une nouvelle usine et assurer la formation spécifique de ses techniciens. « Notre travail, ce n’est pas seulement de faire marcher une machine, c’est de la fiabiliser dans le temps », explique Benjamin Thémot, le chef d’atelier.

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Les écoles de cuisine La Source intègrent 20% à 30% d’équipements reconditionnés dans leurs labos. Crédit La Source.
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La Source, visuel d'une cuisine reconditionnée. Crédit La Source.

Une centaine d’appareils (cuisson, froid positif et négatif, lavage, préparation) sortent chaque mois de l’atelier, comme neufs, après avoir été récupérés partout en France moyennant une prime « au maintien en l’état » pour le donateur. L’entreprise a longuement travaillé sa chaîne de réhabilitation du matériel pour fiabiliser son catalogue. « Nous avons listé les marques que nous ne voulons pas travailler. Principalement parce qu’elles ne disposent plus des pièces détachées », précise Bastien Rambaud, le cofondateur de Vesto.

Au final, la gamme liste 220 marques, des plus populaires comme les fourneaux Ambassade de Bourgogne, aux plus pointues comme Rational ou Winterhalter. La réparabilité est, par ailleurs, au cœur de la stratégie de l’entreprise. Pour éviter d’investir à fonds perdu sur des machines peu valorisables, un protocole permet d’évincer les plus endommagées et d’« établir la rentabilité du reconditionnement. Nous savons ce que coûte chaque type de réparation. Nous investissons uniquement sur des appareils qui trouvent preneurs ».

Enjeux écologique et économique

La question du modèle économique est en effet centrale dans la démocratisation des offres de seconde main. « Il faut qu’on propose au moins 30% d’économie par rapport au neuf, estime Sophie Scantamburlo Contreras, de Scop 3. Au final, le nerf de la guerre, ça reste le budget. Il faut pouvoir aligner cette économie environnementale avec l’économie financière. » Les clients le reconnaissent, si l’intention de départ se fonde bien sur une volonté d’agir en faveur de l’environnement, l’argument financier n’est jamais loin, surtout en cette période d’inflation.

« C’est un fait, le reconditionné représente une valeur ajoutée financière, on gagne jusqu’à – 30% ou – 40%, confirme Laurent Perlès, de La Source Foodschool. À part les grands groupes, à mon sens, tous les restaurateurs qui se lancent ont des budgets très serrés. C’est aussi un argument vis-à-vis des banques. » La question environnementale reste pour autant une préoccupation centrale et les entreprises engagées dans ce sens tâchent de préserver un juste équilibre. « La problématique ne vient pas de la demande, elle est très forte, souligne Sophie Scantamburlo Contreras. La difficulté, c’est de trouver le bon matériel pour le bon endroit. Et l’intérêt, c’est de sourcer localement sinon cela alourdit la facture transport et environnementale, et l’effort n’aurait plus de sens. »

Le laboratoire Greet

Au sein du groupe Accor, la marque d’hôtels Greet fait pour sa part office de laboratoire sur la question. Les projets intègrent dès le départ la logique de la seconde vie. Des partenariats ont été noués à l’échelle nationale avec des acteurs comme Emmaüs ou la plateforme Selency.

Intérieur Greet
Chaque hôtel Greet est pensé dans une logique de réemploi des équipements. Ici, l’établissement de Beaune (Côte-d'Or). Crédit Severine Beaudot.
Intérieur Greet
Visuel Greet. Crédit Severine Beaudot.

Mais Florence Liger- Tourres directrice marketing des marques économiques Accor Europe, milite pour une approche différente. « On ne réfléchit pas du tout un projet de la même manière que pour nos autres marques. Généralement, Accor fournit un tool kit pour les porteurs de projet. Sur Greet, on leur demande d’avoir une démarche proactive. La logique, c’est aussi de relocaliser le sourcing au plus près des hôtels. Nos équipes en interne les accompagnent pour cela, en les mettant en contact avec des designers compétents, mais l’idée c’est aussi que l’équipe se rapproche des acteurs locaux. » Pour l’hôtel Greet de Lyon Confluence, les tables et les bureaux ont notamment été créés à partir de chutes d’acier des usines de Fermob, le fabricant d’équipements de terrasse situé à quelques kilomètres.

La seconde main, gage de cohésion d’équipe ?

Faire appel à de la seconde main pour son établissement, c’est donc aussi déconstruire une manière assez automatique de consommer en tant que professionnel, en étant plus ouvert. « Il y a de plus en plus de solutions et le choix s’élargit, constate Florence Liger-Tourres. Il faut essayer de tendre le plus possible vers une logique de circuit. » L’aspect communautaire, très symbolique de l’économie sociale et solidaire, déteint aussi positivement sur la manière de vivre de ce type d’établissement.

La directrice marketing de Greet voit comme un gage de succès « l’engagement des équipes et du propriétaire. Tout le temps passé à sourcer des produits de seconde main, c’est un gain de temps pour le team building. C’est un atout pour souder l’équipe, ils construisent ensemble la marque de l’hôtel et ils se l’approprient. Cela implique une dynamique collective qui n’existe pas forcément ailleurs. Il n’y a pas forcément besoin de designer pour ça, cela fait vivre l’établissement. »

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