Ça chauffe en terrasse

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Les terrasses chauffées, c’est terminé, et les établissements CHR ont dû se mettre à la page. Alors qu’un décret du 30 mars permet des dérogations dans les espaces clos, Paris, Cannes ou encore Rennes choisissent de revoir la copie du Gouvernement selon leurs besoins.

Terrasse
À Rennes depuis janvier 2020 les CHR ne peuvent plus chauffer leurs terrasses. Crédits : Arnaud Loubry

Les chauffages désertent les terrasses françaises dans l’espace public. Longtemps vus comme une ineptie par certains restaurateurs, les braseros et autres radiants n’ont plus leur place depuis la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021. Conscients des conséquences néfastes qu’entraînent de tels dispositifs sur l’environnement, les restaurateurs s’inquiètent néanmoins de la perte de chiffre d’affaires causée par une telle mesure.

Tandis qu’un décret du 30 mars 2022 prévoit une exception dans « un lieu couvert, étanche à l’air et fermé par des parois latérales rigides par nature », certaines villes privent les établissements de cette dérogation. De quoi attiser la colère ou à l’inverse ouvrir le débat sur une nouvelle vision de la profession durant les mois les plus froids de l’année. Exemple, avec Paris où la municipalité prend le parti de supprimer et de taxer sans exception les restaurateurs qui décideraient de chauffer leurs terrasses, qu’elles soient fermées ou non.

Si la protection des espaces extérieurs par un dispositif souple peut normalement répondre à l’exigence de « lieu couvert » fixée par le décret ministériel, la mairie de Paris impose par un arrêté du 29 juillet 2022 un toit « en dur ». Précisant dans une délibération soumise au vote le 11 octobre, que « ni les terrasses ouvertes, même équipées d’écrans parallèles et perpendiculaires et couvertes par des stores bannes, ni les contre-terrasses ne garantissent l’étanchéité à l’air ». L’Umih se désole face à cette « mauvaise nouvelle », puisque dès l’annonce gouvernementale, plusieurs professionnels se sont empressés de mettre « aux normes » leurs terrasses. « Ils pensaient bien faire mais aujourd’hui leurs investissements sont vains », témoigne David Zenouda, président de l’Umih nuit Paris-Île-de-France. De plus, les terrasses implantées sur le domaine privé peuvent quant à elles être chauffées. Une entorse de plus à la réglementation qui n’a pas fini de faire parler d’elle.

Cannes repense l’espace public

À Cannes, la municipalité a même été plus loin en interdisant tout simplement les nouvelles terrasses fermées depuis 2009. Le président de l’Umih 06, Alain Lahouti, se désole encore de voir l’hiver arriver à grands pas sur des terrasses dépourvues de toutes protections. « Jusqu’à l’année dernière on pouvait chauffer les terrasses extérieures, mais aujourd’hui sans même une structure pour s’abriter, impossible pour nous de prendre les réservations des congressistes qui constituent notre principale clientèle l’hiver », s’inquiète-t-il. En effet, depuis plus de dix ans la municipalité a mis en place une charte des terrasses régissant leur implantation sur le domaine public.

En clair, si la surface des terrasses cannoises a été multipliée par trois en 15 ans, celles-ci ne peuvent tout simplement pas être couvertes, rendant ainsi impossible le chauffage des terrasses. De son côté, la municipalité assume avoir fait ce choix pour rendre plus qualitatifs et attractifs les espaces publics. « Il est primordial pour la municipalité d’encadrer les terrasses pour lutter fermement contre les abus qui nuisent à l’équité commerciale. La charte interdit les terrasses fermées qui se sont multipliées illégalement sur le territoire cannois et cela dès qu’il y a un changement d’exploitant et/ou une requalification du domaine public », détaille la directrice générale des services à la mairie de Cannes, Karin Topin-Condomitti.

Avec plus de 700 établissements de restauration et de débits de boissons, faisant d’elle la municipalité avec le plus important ratio de restaurants par habitant, Cannes fait la chasse aux structures, qui « s’appropriaient petit à petit l’espace public et ont été progressivement démontées ». Par ailleurs, bien que la ville affiche plus de 300 jours d’ensoleillement annuels, les restaurateurs se retrouvent finalement dans l’impossibilité de recevoir les milliers de congressistes attendus chaque hiver. En effet, si le Palais des congrès accueille au printemps le célèbre festival de cinéma, l’hiver, les événements s’y multiplient et des tentes poussent partout sur les plages pour protéger les convives des intempéries. Autorisées par la municipalité et régies par la loi littorale, elles ne sont pas soumises à la même réglementation que les terrasses.

De plus, leurs exploitants peuvent proposer des services de traiteur, créant une concurrence déloyale avec les restaurateurs cannois. « Mon objectif n’est pas de chauffer l’air, s’exclame Alain Lahouti. Je voudrais juste obtenir la certitude que les restaurateurs pourront accueillir les clients indépendamment de la météo en installant sur une période restreinte des structures légères. » Pour l’heure, les discussions sont en cours entre les professionnels du secteur et la mairie.

Rennes et Grenoble avant-gardistes

Certaines municipalités ont interdit les chauffages en terrasses bien avant le décret national. Ainsi à Grenoble, connue pour son maire écologiste Éric Piolle, cette décision a été prise dès 2018. Selon Gaétane Besson Chavant, directrice de l’Umih 38, la mesure a été plus ou moins suivie jusqu’alors. Le chef-lieu de l’Isère travaille par ailleurs actuellement à la réédition de sa charte des terrasses. Une compétence auparavant du ressort de la communauté de communes et reprise par la municipalité. De l’autre côté de la France, à Rennes, la transition s’est faite « tout naturellement ».

Alors que le centre-ville connaît une restructuration majeure, en 2019, restaurateurs et municipalité décident de supprimer les terrasses chauffées. « Nous avons beaucoup de multipropriétaires, ce qui a permis de mettre la mesure en place plus rapidement », témoigne Jacques David, président de l’Umih 35. D’abord craintifs, les professionnels se sont ensuite pliés à la nouvelle réglementation. Finis les barnums disgracieux, ils ont été remplacés par des parasols, des store-bannes ou encore des joues latérales qui abritent les clients sans chauffer ces espaces ouverts. Loin des structures légères souvent inesthétiques, cette nouvelle harmonie des terrasses attire les citadins qui retrouvent le plaisir d’un moment convivial à l’extérieur. « Je me promenais hier dans les rues et j’ai remarqué que les clients s’étaient massés à une terrasse ouverte tandis que chez le restaurateur voisin, le barnum n’attirait plus personne », affirme le syndicaliste.

Débutée en janvier 2020, la mue a commencé par l’étape fatidique du retrait des chauffages et promet bientôt d’être achevée. « Ce qui est positif c’est qu’on met tout le monde sur un pied d’égalité », argumente Jacques David. Très organisés, certains restaurateurs ont investi dans des plaids et autres couvertures pour le confort de leurs clients. Fiers de cette décision commune, les restaurateurs tiennent à préciser qu’ils n’ont pas voulu être « plus vertueux que les autres », mais qu’ils répondent à une logique esthétique et de « bon sens ». Ils affirment que tout le monde finira par s’y conformer et que ce seront les consommateurs qui départageront cela. Un message d’espoir pour les professionnels désespérés de voir la flamme de leurs précieux chauffages s’éteindre.

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