Biodéchets : le nouveau défi

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À compter du 1er janvier 2024, le tri des biodéchets et leur valorisation seront une obligation. La restauration et les métiers de bouche, parmi les plus gros producteurs de biodéchets, sont particulièrement concernés par cette mesure. Si des zones d’ombre persistent sur les modalités de mise en place, de nombreux acteurs ont déjà pris le taureau par les cornes pour encourager l’organisation de la filière.

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Les biodéchets devront être triés à la source dès 2024. Crédit : DR.

C’est acté depuis le vote de la « loi anti-gaspillage pour une économie circulaire » : les biodéchets devront être triés à la source dès 2024. Obligatoire depuis le début de 2023 pour les professionnels produisant 5 tonnes par an, soit l’équivalent de 100 à 200 repas par jour en restauration commerciale, l’obligation de tri s’appliquera désormais à toutes les entreprises, ainsi qu’aux particuliers.

Les biodéchets font, par essence, partie des activités de la restauration. On entend par là tous les déchets organiques issus de la préparation ou des retours d’assiette : épluchures, carcasses, arêtes, restes alimentaires solides, liquides ou pâteux. Jusqu’à présent, leur parcours finissait le plus souvent dans les déchets dits ménagers, destinés à l’enfouissement ou à l’incinération.

Une aberration écologique, puisque la dégradation naturelle de ces déchets est une matière première précieuse et considérable. « Les métiers de bouche produisent 2,5 millions de tonnes de biodéchets par an, dont 50 % sont issus de la restauration, souligne Rachel Bouvard, directrice du département RSE du Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR). Et pourtant, seulement 10 % du gisement est traité et valorisé. »

La collecte et le traitement des biodéchets s’inscrivent ainsi dans une logique circulaire, permettant par exemple la production de biogaz par le biais de la méthanisation ou de compost et de fertilisants naturels pour l’agriculture. Au vu des chiffres avancés – 1million de tonnes de déchets alimentaires par an rien qu’en Île-de-France en 2021 – le potentiel est énorme.

Massifier pour réussir

Pour autant, à trois mois de l’échéance, peu de professionnels savent réellement à quelle sauce ils vont être mangés. En effet, dans bien des cas, collectivités locales et petits commerces se renvoient la balle pour savoir à qui revient la gestion des biodéchets. « Les petits commerces se trouvent dans un entre-deux et la question se pose toujours de savoir qui doit payer: la collectivité ou le commerce lui-même? », estime Sébastien Gacougnolle, cofondateur de Tryon Environnement. L’entreprise implante des micro-unités de méthanisation, au plus près des sources de production des déchets. Les restaurants indépendants, considérés comme des petits producteurs de déchets, sont le plus souvent assujettis à la taxe des ordures ménagères.

L’enlèvement de leurs déchets dépend des collectivités. Pour autant, les dispositifs qui seront mis en place par les collectivités pour assurer la collecte des déchets alimentaires ne sont pas forcément compatibles avec le quotidien d’un restaurateur. Par exemple dans le cas d’un apport volontaire à des bornes, qui implique pénibilité et risques d’accidents supplémentaires. Plusieurs options sont donc sur la table et elles risquent fort de varier d’un territoire à l’autre. Certains seront invités à déposer leurs biodéchets aux points d’apport volontaires installés par les communes, au même titre que les particuliers. Dans certaines villes, des ramassages spécifiques sont déjà en passe d’être organisés, notamment à Lyon ou à Nantes.

À Lille, des restaurateurs ont choisi de se regrouper depuis plusieurs années déjà pour mutualiser la collecte de leurs déchets auprès d’un prestataire privé. « L’enjeu, c’est que de nombreux établissements n’avaient pas de local poubelle pour entreposer des containers, explique Sébastien Defrance, ancien restaurateur à l’origine de cette démarche. Notre impératif, c’était donc de pouvoir organiser une seule ramasse, à la fois pour les biodéchets et pour le tout-venant. Le prestataire nous a amené la solution avec des camions à double benne. La mutualisation du service entre les entreprises a permis de déployer le système dans toute la ville. »

La gestion des biodéchets revêt en effet des particularités spécifiques à chaque territoire, qu’il soit urbain, avec une dimension saisonnière, ou une faible concentration. Ce qui rend son organisation assez complexe. « La loi est claire, elle attend que chacun trie ses biodéchets, que ce soit par le privé, par les collectivités ou bien en direct avec un agriculteur à la campagne pour faire du compost, résume Ludovic Poyau, président de la commission RSE et développement durable à l’Umih. Nous insistons sur l’enjeu de massifier pour que cela soit une réussite.

Il faut à tout prix éviter de se retrouver avec des dizaines de camions différents qui feront leur ramassage la nuit. Le travail doit se faire à l’échelle des territoires, en synergie avec les services publics, notamment pour les petits producteurs de biodéchets comme les petits restaurants. On ne peut pas imaginer appliquer la même logique dans toute la France.

C’est pour cela qu’on doit s’en saisir localement, en fonction des besoins et des capacités de valorisation et selon les volumes. Cela aura un coût pour tout le monde, ce qu’il faut savoir, c’est comment il sera réparti », argumente-t-il, rejoignant en ce sens le GHR. À cet effet, l’ensemble des représentations locales de l’Umih sont d’ailleurs incitées à ouvrir des discussions avec l’ensemble des acteurs concernés sur leur territoire pour que les solutions mises en place puissent répondre aux enjeux locaux.

Viser des déchets sains

Si importante soit-elle, la question de la collecte ne résume pas à elle seule les défis qui attendent la profession sur cet épineux sujet. De fait, le tri et les pratiques en cuisine sont un axe majeur de sensibilisation. « Nous souhaitons prendre le sujet à la racine et expliquons que traiter les biodéchets, c’est déjà lutter contre le gaspillage, notamment en revoyant ses achats ou ses pratiques en cuisine, appuie Ludovic Poyau. Les restaurateurs doivent aussi comprendre l’importance du bon geste de tri et le diffuser auprès de toutes les équipes. » L’Umih s’apprête d’ailleurs à publier un guide de bonnes pratiques à l’attention de ses adhérents.

De son côté, l’entreprise Les Alchimistes, qui collecte et valorise les biodéchets en compost, souligne les disparités en fonction du type de restauration. « Il y a une grande différence entre un fast food avec des approvisionnements très optimisés et des processus qui génèrent 40 g de déchets par couvert, et un gastronomique où cela peut monter à 300 à 400 g. Sans compter les déchets carnés et les coquillages qui pèsent lourd », note Martin Guinement, responsable commercial national. En moyenne, on compte 120 à 150 g de déchets par couvert. D’autant qu’avec ce nouveau mode de collecte, le restaurateur engage sa responsabilité. En effet, la rapidité de décomposition des biodéchets en fait une denrée fragile.

« Pour être valorisés, les biodéchets doivent être le plus sains possible, affirme Loïc Rousseau, market manager de Meiko Green Waste solutions. S’ils pourrissent et se dégradent mal, notamment si la rotation des ramassages n’est pas assez régulière, ils ne servent plus à rien. Ils ne sont plus transportables et plus valorisables. Il faut rappeler que le restaurateur est responsable de ses biodéchets jusqu’à la valorisation. Donc s’ils ne sont pas conformes, il devra trouver lui-même la solution pour les traiter. »

Le principe même de ce tri à la source va dans le sens d’une économie circulaire et vertueuse. La capacité à traiter les déchets est donc tout aussi importante que le tri en amont. Pour le moment, les aides financières proposées par l’Agence de la transition écologique (Ademe) soutiennent uniquement le développement de la filière de traitement et de valorisation, mais pas la phase de tri et de collecte. Certains dispositifs de valorisation sur site, de grande capacité, peuvent cependant entrer dans ce champ.

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