Charles de Saint-Vincent, le goût du défi
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Charles de Saint-Vincent détient quatre restaurants. Imaginés comme des comptoirs destinés à vendre le caviar de la marque Boutary, ces établissements sont devenus des tables appréciées. Ainsi, par un concours de circonstances, cet entrepreneur cantalien a plongé dans le grand bain de la restauration.
En considérant le parcours de Charles de Saint-Vincent, on ne peut s’empêcher de penser que la restauration représente une destinée difficile à contourner pour les Cantaliens. Cet homme de 46 ans, issu d’une famille originaire d’Ytrac n’avait, a priori, pas le profil pour embrasser cette profession. Diplômé d’une école de commerce, il commence sa carrière à Cuba où il participe au lancement de Havana Club. Il va ainsi travailler durant 13 ans dans le groupe Pernod Ricard, avant de devenir entrepreneur. Ce virus de la création d’entreprise relève d’ailleurs de l’atavisme familial.
En 1888, sa lointaine aïeule, la baronne Marie-Élisabeth de Saint-Vincent, a ainsi fondé une maison de vins à partir du château de Boutary, à Escatalens (Tarn-et-Garonne), que la famille avait acquis au début du XIXe siècle. Plus près de nous, Roland de Saint-Vincent, grand-père de Charles, avait relancé Boutary en lui ajoutant une activité de production de fruits de luxe, alimentant les grands épiciers comme Fauchon. Cet homme, né au château de Lamartinie, à Ytrac (Cantal) a par la suite participé à la création des maisons de parfums Sisley et L’Artisan parfumeur.
Suivant les traces de son aïeul, Charles a agrégé une activité de commerce de caviar à la marque Boutary. En partenariat avec un éleveur bulgare d’esturgeons, il a ainsi développé ce négoce. « Je me suis vite aperçu que ce commerce était très saisonnier, raconte-t-il. J’ai décidé de le réguler en créant des bars à caviar. » C’est alors que naît, en 2016, le premier restaurant Boutary, rue Mazarine (Paris 6e). Le jeune entrepreneur reconnaît que la tâche ne fut pas aisée : « Avant d’ouvrir, nous avons compris que nous ne pourrions pas tout miser sur le caviar. Nous avons revu le concept en créant une carte où il n’est présent que par petites touches, avec quelques propositions, comme notre pomme de terre Boutary. Mais la plupart des recettes proposées ne comportent pas un seul grain de caviar. »
Huit mois après son ouverture, le restaurant frôle le dépôt de bilan. Mais Charles de Saint-Vincent s’accroche. Il s’est complètement laissé prendre au jeu et il aime les challenges difficiles. Sa curiosité l’emporte toujours. « Je n’ai jamais suivi la facilité, mais ce qui me faisait plaisir », confesse-t-il.
« Je pars du principe que chaque client qui sort doit être hyper-satisfait. »
C’est ainsi qu’il s’est lancé, depuis peu, dans le maniement des armes anciennes. Plus jeune, il n’a pas hésité à prendre une année sabbatique pour traverser à vélo le continent américain, et parcourir les 14 000 km que constituent les tronçons Québec-Mexico et Lima-Buenos Aires. Il n’est donc pas question pour lui d’abandonner la complexité que représente la restauration pour se replier dans sa zone de confort. Pour autant, il ne renonce pas au négoce du caviar.
Aussi, il décide d’être présent midi et soir au service, avec sa sœur, dans ce premier établissement. Il gère chaque détail et fédère son équipe. « Je pars du principe que chaque client qui sort doit être hyper-satisfait, indique-t-il. Ce parti pris doit même primer sur le résultat économique. »
Afin de répondre à ce principe, il s’appuie sur des équipes motivées. « Notre travail consiste à transmettre la passion, détaille-t-il. Pour y parvenir, il faut que le personnel soit heureux, motivé et capable de prendre des initiatives. » De fait, chaque établissement, qu’il s’agisse du Boutary (Paris 6e), du Petit Boutary (Paris 17e), du Comptoir Boutary (Paris 9e), ou du restaurant installé au Japon, fonctionne de manière autonome avec des cartes et des profils différents.
Les inflexions données par l’équipe permettent d’adapter l’enseigne au contexte. Ainsi, au Boutary, c’est le personnel qui a poussé à la montée en gamme de l’établissement. Le ticket moyen y évolue entre 120 et 150 €, alors qu’au Comptoir Boutary, le concept, résolument bistrot, permet de situer l’addition entre 50 et 70 €. Le groupe emploie 25 personnes et chaque restaurant est rentable, même si le Boutary de Tokyo navigue jusqu’à l’équilibre. « Là-bas nous n’avons pas fini de payer les dommages de la crise sanitaire, qui ont été très lourds », concède Charles de Saint-Vincent.
Pas fatigué de la restauration, il réfléchit à la création d’un restaurant qui concilierait théâtre et gastronomie. « Dans cette profession, la gestion constante des aléas m’a fait découvrir le stress, confie-t-il. Mais on apprend à l’aimer, au point de ne plus pouvoir vivre sans lui. » Ses périodes de repos, il les trouve dans le château de Lamartinie, à Ytrac (Cantal), où il passe ses vacances et de nombreux week-ends. En effet, si la famille a cédé il y a quelques années le château de Boutary, elle a conservé cette vieille bâtisse cantalienne du XVIe siècle, qui établit son incontestable origine auvergnate.