Danny Khezzar, l’art de jouer sur les dissemblances

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Danny Khezzar possède une toque de chef et une casquette de rappeur. Aussi à l’aise en cuisine que sur scène, ce « banlieusard », comme il aime le rappeler, excelle dans l’univers de la haute gastronomie. Immanquable dans la dernière saison de « Top Chef », Danny Khezzar parvient à mêler les registres sans jamais tomber dans la dissonance.

Danny Khezzar
Danny Khezzar au Quai 96, sa guinguette éphémère à Paris. Crédit : Elisa Hendrickx.

Révélé au grand public par l’émission « Top Chef », Danny Khezzar fait partie de cette brigade de chefs « nouvelle génération ». Le jour de notre entretien, lorsqu’il arrive au Quai 96, sa guinguette éphémère située au pied de la tour Eiffel (Paris 7e ), celui qui officie habituellement en tant que chef du Bayview à Genève, le restaurant gastronomique de Michel Roth, passe difficilement inaperçu. Énorme chignon blond sur la tête, regard bleu perçant et allure mi-dandy mi-gangsta, ni une ni deux, le chef de 26 ans se fait aborder de toutes parts. Tous veulent leur photo avec Danny.

Aussi souriant qu’accessible, Danny Khezzar, dont le rire atypique a marqué la dernière saison de « Top Chef », a grandi à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) avant de côtoyer les cuisines étoilées. « Je viens d’une lignée de cuisiniers, il n’y a que mon père qui est plombier, précise-t-il. J’ai toujours aimé ça et quand je le faisais, j’avais l’impression de rendre ma famille fière. »

Le jour de ses 15 ans, ses parents lui offrent un brunch dans un prestigieux hôtel de la place Vendôme (Paris 1er), Le Ritz. « Par chance, le chef Michel Roth est venu faire un tour de salle », déclare le cuisinier, les yeux encore brillants de ce souvenir, avant d’ajouter : « Je suis allé le voir et je me suis présenté. Je lui ai dit qu’un jour je deviendrai un grand chef comme lui. Michel Roth m’a ensuite fait visiter les cuisines du Ritz et puis il m’a donné sa carte. » C’est ainsi que semble se sceller le début de leur longue amitié.

Ainsi, en 2003, le jeune cuisinier rejoint la brigade de Michel Roth en tant que commis. Dès lors, chaque matin, Danny Khezzar quitte Rosny-sous-Bois pour rejoindre la place Vendôme « avec un jogging au-dessus du costard » pour passer inaperçu. En revanche, à Paris, il n’hésite pas à s’intégrer à un autre univers. « Je ne voulais pas être associé au cliché du “banlieusard rappeur”. Je pensais qu’à cause de ça, personne ne voudrait me donner une chance dans le monde de la gastronomie française », avoue-t-il.

« Je kiffe cet écart-là, c’est mon équilibre. »
Danny Khezzar, Chef du restaurant Bayview*, à Genève, et de Quai 96, à Paris 7e

En effet, si la cuisine occupe une bonne partie de ses journées, la nuit, c’est la musique qui prend le relais. Le jeune chef, qui ne dort que « trois ou quatre heures par nuit » afin de se « libérer du temps » forme avec son frère un duo (Les Frères Bizzy), aux accents trap latino. « Cela fonctionnait bien pour mon frère et moi, nous faisions même des festivals et des concerts en Espagne. Alors j’étais persuadé que j’allais quitter les cuisines et que je deviendrai une star du rap », déclare-t-il. Toutefois, jusqu’à récemment, Danny Khezzar faisait le choix de ne jamais mêler ces deux univers, à l’image de sa relation entre Rosny-sous-Bois et le Ritz : « En cuisine, personne ne pouvait se douter que je faisais de la musique et inversement ».

Ça, c’était sans compter sur l’éruption « Top chef ». Avec l’émission, il commence à accepter ses contrastes qu’il ne perçoit désormais plus comme des dissonances. Danny Khezzar est à la fois chef et rappeur. Il est banlieusard et travaille dans un restaurant étoilé en plein centre de Genève. Enfin, il aime la cuisine française traditionnelle autant que la street food. « Je kiffe cet écart-là, c’est mon équilibre », admet-il. Durant la compétition, il apprend également « une nouvelle mécanique de créativité ».

Dans l’exercice de la cuisine, Danny Khezzar avait pour habitude « de commencer par un dessin ». Aujourd’hui, il préfère « partir d’une émotion, d’un souvenir, confie-t-il. Hélène Darroze sentait que j’avais une certaine sensibilité alors elle m’a poussé là-dedans ». Par ailleurs, il semble impossible de ne pas évoquer l’empreinte que continue de laisser Michel Roth chez le jeune chef. « Il est comme un père », lance Danny Khezzar. Pour preuve, depuis ses débuts en tant que commis au Ritz, ils ne se sont jamais quittés « sauf un an pour Gagnaire lorsque le Ritz était fermé pour travaux », justifie-t-il, avant d’ajouter : « Il m’a toujours soutenu. Michel Roth possède un côté très humain et accessible. C’est un chef qui me correspond. »

Enfin, aujourd’hui, lorsqu’il parle de sa propre cuisine, Danny Khezzar la qualifie de « créative, démonstrative et classique à la fois. Même si elle n’a rien de classique dans le visuel, elle est contradictoire »… À son image donc. Danny Khezzar confie « avoir toujours voulu apprendre énormément », avant d’expliquer : « Ce que les chefs ne pouvaient pas m’apporter, j’allais le chercher moi-même. C’est comme en musique: je n’ai jamais pris un cours de solfège mais j’arrive à jouer des accords. » Lorsqu’on lui demande comment il s’imagine dans cinq ou dix ans, Danny Khezzar répond un laconique « heureux », avant de s’avérer un peu plus expansif : « J’aimerais avoir plus de temps pour ma famille, mes amis et pour moi. Mais pour l’instant, je ne peux pas dire non à toutes les belles opportunités qui me sont proposées. »

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