Frédéric Vardon, le respect de la terre

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Le chef Frédéric Vardon a côtoyé des cuisiniers de renom durant plusieurs années avant d’ouvrir ses propres établissements. Il pilote aujourd’hui notamment Divvy, la table d’un grand hôtel en Autriche ; Café Max, un bistrot parisien et Le 39 V, un restaurant cossu, où il nous a reçus.

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Frédéric Vardon. Crédits : Jérémy Dénoyer / Au Cœur des Villes.

Cet homme connaît les métiers de bouche depuis toujours. Entre les souvenirs de ses vacances en Normandie, chez ses grands-parents éleveurs, et la découverte des marchés de gros – à Rungis ou aux halles de Paris –, Frédéric Vardon aime son métier autant qu’il aime en parler. Sa vocation pour la cuisine, il a pu l’exercer avec de grands chefs français. Après son apprentissage, il intègre les cuisines du restaurant Au Trou Gascon (Paris 12e) d’Alain Dutournier, de 1986 à 1987, avant de rejoindre la brigade de l’un des chefs de file de la nouvelle cuisine, le triple étoilé Alain Chapel, à Mionnay (Ain) durant près de six ans. C’est ensuite avec Alain Ducasse que Frédéric Vardon va entretenir une forte relation professionnelle, lui permettant de découvrir la pratique de la restauration dans le monde entier (Londres, Tokyo, Hong Kong, Carthage…) pendant plus de 14 ans.

« Je me suis occupé de beaucoup d’ouvertures de restaurants, en Europe et plus particulièrement en Asie », précise l’intéressé. Si cette expérience semble avoir influencé, en partie, ses inspirations et son approche technique, c’est avant tout le sol français et la richesse de l’agriculture tricolore qui ont forgé sa vision de la cuisine. « Je suis un passionné de produits. Et j’avoue que je vis toujours très mal le fait d’entendre que dans mon pays – industriel, évolué et faisant partie des dix plus grandes puissances mondiales –, des agriculteurs, des éleveurs et des maraîchers ne vivent pas loin du seuil de pauvreté, alors qu’ils travaillent 75h par semaine », confie Frédéric Vardon. C’est une des raisons qui le mène à utiliser « 99% de produits français » dans son restaurant distingué de l’avenue George-V : Le 39 V. « Je vis dans un pays extraordinaire. Et dans cet Hexagone, j’ai la possibilité de tout trouver ou presque », ajoute le chef. Son « âme d’acheteur et d’agriculteur » lui interdit « de ne pas travailler en direct ». Mais la part de ses produits en provenance du MIN de Rungis avoisine les 40% : « Rungis est intéressant. C’est un peu la caverne d’Ali Baba. » Ce marché, il l’a fréquenté très tôt. « Dès l’âge de 5 ou 6 ans, j’y suis allé tout le temps. Pendant des années, j’ai vu mon père payer la marchandise au cul du camion », se remémore-t-il.

Dans cet Hexagone, j'ai la possibilité de tout trouver ou presque
Frédéric Vardon, Chef associé du 39 V, Paris 8e

Ce chef, auréolé d’une étoile dans le Guide Michelin de 2012 à 2018 pour Le 39 V, essaie de respecter l’impact qu’il peut avoir sur l’environnement, « via les transports mais aussi sur les vrais produits de saison ». Issu d’une famille d’éleveur, Frédéric Vardon s’est longtemps nourri des produits que ses parents cuisinaient, ou que ses grands-parents produisaient. « On n’achetait rien, on faisait tout. Il y avait un potager et quand on avait des poireaux, on mangeait du poireau trois fois par semaine », raconte le chef.

À la table du 39 V, il propose des menus au déjeuner (49,5€ pour deux mets ou 59,5€ pour trois mets) et des menus dégustation le soir (en quatre services, à 95€, et en six services, à 145€). On y trouve notamment des gambas bio de Loire-Atlantique ou du pâté en croûte, en entrées. Et du ris de veau, du pigeon de Saône-et-Loire ou encore des produits de pêche durable, pour les plats. Frédéric Vardon a conservé l’habitude de respecter la saisonnalité et la disponibilité des produits. Les asperges ont commencé plus tôt que prévu cette année, « donc on fait des asperges », soutient le restaurateur. Le cuisinier estime que son métier « a une part de responsabilité énorme dans la transition et l’évolution écologique ». La démarche de surproductivité lui semble dénuée de sens, tout comme l’importation de certains produits : « Je ne vois pas l’intérêt de faire faire des milliers de kilomètres à des petits pois et des haricots verts du Sénégal. » Mais la passion de Frédéric Vardon pour le terroir français n’est pas exclusive.

C’est en Asie que son approche de la cuisine semble avoir puisé le plus de ressources. « J’ai beaucoup d’influences chinoises et thaïlandaises, notamment pour les bouillons et certaines cuissons », reconnaît le chef. Frédéric Vardon n’oublie pas également l’aspect technique apporté par des années passées sur le continent asiatique. « J’ai une attention particulière sur la découpe du poisson. Je ne m’en rendais pas compte avant », admet-t-il. Revendiquant l’identité culinaire française de son restaurant, le patron du 39 V ne s’interdit pas de sortir du cadre jalonné par sa table bourgeoise. Il y a quelques jours, après une discussion avec son chef de cuisine Erwan Bignier, il ne s’est pas privé de présenter un crab cake à la carte. « Dans un restaurant comme le nôtre, on a aussi envie de manger un plat un peu régressif… mais bien fait. Je voulais un truc avec de la vraie chair de crabe, trois petites sauces et une belle salade. » Après plus de 35 ans de métier, Frédéric Vardon semble toujours aussi libre et passionné par sa profession : « Pouvoir toucher, goûter, sentir et imaginer ce qu’on va faire, c’est quand même une chance. »

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