Titres-restaurants : les restaurateurs vent debout contre l’élargissement

  • Temps de lecture : 6 min

Les professionnels de la restauration voient rouge. Si la hausse du plafond ne semble pas poser de problème aux exploitants, l’élargissement de l’utilisation des Ticket-Restaurant à l’ensemble des produits alimentaires fait grincer des dents. Alors que la grande distribution se frotte les mains, les restaurateurs redoutent que l’usage des titres-restaurants soit dévoyé.

Les restaurateurs s'opposent fortement à la transformation du titre-restaurant en « chèque alimentaire ».
Les restaurateurs s'opposent fortement à la transformation des titres-restaurants en « chèque alimentaire ». Crédits : Au Coeur du CHR.

Romain Vidal, secrétaire général du GNI Paris Île-de-France, est vent debout. Ce restaurateur parisien, à la tête du Sully (Paris 4e), est particulièrement actif sur le sujet des titres-restaurants et siège d’ailleurs à la Commission nationale des titres-restaurants (CNTR). À l’instar de ses confrères, il ne décolère pas. Il faut dire que la loi permettant aux utilisateurs d’acheter, grâce à leurs titres, l’ensemble des produits alimentaires est un coup dur pour les professionnels des CHR. Ils redoutent que la vocation première des titres-restaurants ne soit détournée et que ces derniers soient transformés en « chèque alimentaire ».

Dans le même temps, le plafond desdits tickets devrait être augmenté de 19 € à 25 €, ce qui renforce légitimement les craintes de voir la grande distribution tirer les marrons du feu. « L’élargissement des articles, nous ne sommes pas du tout d’accord avec ça. Le titre-restaurant n’est pas un chèque alimentaire, il n’a pas été créé dans ce but-là. Donc cette loi, qui est passée durant le mois d’août, est un véritable pont d’or aux grandes surfaces et à la grande distribution », s’alarme Romain Vidal.

En effet, plusieurs modifications ont été apportées par la loi sur le pouvoir d’achat votée par les députés durant l’été. Depuis le 18 août dernier et jusqu’au 31 décembre 2023, les 4,5 millions de salariés qui bénéficient de titres-restaurants peuvent en effet les utiliser pour l’ensemble de leurs courses alimentaires. Cela concerne ainsi le riz, les pâtes, la farine, les œufs, la viande ou le poisson… Auparavant, seules les préparations alimentaires telles que les sandwichs, salades et autres produits laitiers, à réchauffer ou à décongeler, ainsi que les fruits et légumes pouvaient être payés par l’intermédiaire de Ticket-Restaurant.

Mécontentement général

Une mesure qui ne satisfait pas non plus l’Umih. Hubert Jan, président de la branche restauration du syndicat de la rue d’Anjou, fustige un amendement porté par la sénatrice de l’Isère Frédérique Puissat (LR) dans la loi sur le pouvoir d’achat. Frédérique Puissat avait été désignée, au début de l’été, rapporteure du projet de loi en question.

Le texte voté le 21 juillet à l’Assemblée nationale est finalement arrivé entre les mains du Sénat à la fin de juillet et la sénatrice de l’Isère est parvenue à l’amender. « Le travail que j’ai mis en œuvre, c’est de l’amender [le texte de loi, NDLR] de façon qu’on soit dans des mesures efficaces et immédiates. Cela concerne tout à la fois la capacité à se déplacer à cause du prix à la pompe, la capacité à remplir son Caddie, ou à pouvoir débloquer très rapidement des fonds. Le tout dans un contexte de budget déficitaire, où l’État ne peut plus tout », a justifié la sénatrice dans une interview accordée au journal L’Essor de l’Isère.

L’utilisation des Ticket-Restaurant […] ne doit pas être dévoyée

Hubert Jan y voit plutôt un coup porté aux restaurateurs de France et de Navarre. « Cet amendement, qui a élargi les Ticket-Restaurant à l’ensemble des produits alimentaires, a été inscrit un vendredi soir… Je ne l’ai appris que le samedi matin et je suis parvenu à contacter la sénatrice le dimanche pour lui signifier mon mécontentement. Mais la mesure va perdurer jusqu’au 31 décembre 2023… », regrette le président de la branche restauration de l’Umih.

L’Umih comme le GNI ne s’opposent pas à la hausse du plafond, mais se disent perturbés par les conséquences du vote de cet amendement. « Nous pouvons penser que les citoyens vont considérer les titres-restaurants comme un moyen de paiement comme un autre. Pour nous, ce n’est pas entendable car l’utilisation des Ticket-Restaurant, dont l’usage est défiscalisé, ne doit pas être dévoyée », martèle Hubert Jan. Ce dernier n’a obtenu comme seule réponse de Frédérique Puissat : « C’est trop tard. » Ce restaurateur redoute un effet pervers qui ne remplira les poches que de la grande distribution.

Une clause de revoyure en 2023 ?

Romain Vidal, du GNI, cherche à invoquer « une clause de revoyure » pour éviter que le fameux amendement ne coure jusqu’en décembre 2023. « Nous avons écrit au gouvernement afin de demander un bilan intermédiaire de la loi sur le pouvoir d’achat au printemps prochain. Nous voulons savoir si l’inflation sera toujours d’actualité et si la mesure se justifie encore », explique-t-il. La Commission nationale des titres-restaurants, qui réunit organisations professionnelles d’employeurs, syndicats de salariés, syndicats de restaurateurs et commerçants assimilés, ainsi que les émetteurs de titres-restaurants, s’est alignée sur les mêmes revendications.

Cette commission sera par ailleurs particulièrement attentive aux flux : « Aujourd’hui, la grande distribution absorbe 40 % des titres-restaurants et les commerces de bouche et de proximité, 60 %. Si demain le taux monte à 50 % pour les grandes enseignes, on perd l’équilibre. Nous allons donc mettre en place une veille et discuter avec le gouvernement au sujet de ces évolutions. » Et Romain Vidal d’ajouter : « Les titres sont destinés aux salariés pour leurs pauses-déjeuner. Le but n’est pas d’acheter des produits pour toute la famille. Je rappelle que les employeurs paient 50 % des Ticket-Restaurant et que c’est dans le but de nourrir les salariés. »

Trésoreries menacées

Les craintes des professionnels de la restauration sont justifiées. L’élargissement du paie-ment par titres-restaurants de l’ensemble des produits alimentaires devrait créer un effet d’aubaine pour les acteurs de la grande distribution au détriment… de la trésorerie des restaurateurs.

« Si l’utilisation des titres-restaurants diminue encore dans certains quartiers déjà touchés par le télétravail, c’est la fin pour beaucoup de commerces de proximité comme les restaurants, les boulangeries et traiteurs qui œuvrent dans les quartiers d’affaires par exemple », s’inquiète Romain Vidal. Ce dernier estime que les restaurateurs vont subir des dommages collatéraux tandis « que l’on transfère l’utilisation de l’argent dans les grandes surfaces », ce qui « pourrait engendrer la destruction de l’activité économique des centres-villes » à court et moyen terme et « provoquer des licenciements ». Le GNI condamne par ailleurs la définition qui a été apportée au terme « produit alimentaire ».

« En réalité, cela comprend aussi bien de l’eau que des bonbons, du sucre ou du café… La loi a adopté une définition si large que les grandes surfaces se sont engouffrées dans la brèche. Nous avions demandé à ne pas intégrer les confiseries, mais le gouvernement n’a pas entendu les recom-mandations de la CNTR », poursuit Romain Vidal, qui plaide notamment en faveur d’un « double plafond » : 25 € pour les commerces de bouche et 19 € pour les grandes surfaces.

Outre les dégâts causés aux trésoreries, Hubert Jan déplore également que l’on soit sorti du périmètre des produits frais. Il estime d’ores et déjà « qu’il y aura des dérives » mais assure que l’Umih sera vigilante sur la question. Le président de la branche restauration de l’Umih est donc aussi inquiet pour l’avenir. La loi sur le pouvoir d’achat, qui devrait donc être main-tenue jusqu’en décembre 2023, représente un véritable chiffon rouge pour les restaurateurs. « Vous pouvez compter sur moi pour que cela n’aille pas au-delà », promet Hubert Jan.

PARTAGER