Snacking : le poulet frit baigne dans le succès

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Au pays du poulet rôti, est-il possible de faire plus incontournable que la volaille dominicale ? Il semble que oui. La restauration hors domicile assiste à un véritable tsunami autour de cette protéine qui prend une place de plus en plus importante, surtout quand elle est frite, avec l’essor de marques françaises qui bousculent les géants internationaux.

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Image d'illustration. Crédit : Bonchon.

La cote du hamburger bat de l’aile. Après avoir conquis toutes les strates de la restauration, le poulet, principalement frit, vient désormais lui voler dans les plumes. En trois ans, le chiffre d’affaires de la restauration autour du poulet s’est envolé : + 149 M € entre 2022 et 2023, une hausse du nombre de points de vente de plus de 60 % entre 2019 et 2023 pour un marché qui pesait alors 958 M € (). Selon l’organisme Euromonitor, le secteur de la restauration rapide dédiée au poulet devrait suivre un taux de croissance annuel de 5,2 % jusqu’en 2026 à l’échelle européenne, avec +1,9 % de points de vente supplémentaires sur la période en France. Si le hamburger reste en tête du palmarès des plats les plus commandés sur les plateformes, le poulet est déjà en passe de dépasser la pizza et se classe dans le top 3 des recherches les plus populaires alors qu’il passait totalement sous les radars en 2019. À tel point que Deliveroo a même surfé la vague durant les Jeux Olympiques de Paris 2024 avec sa campagne publicitaire “Allons enfants du poulet frit”.

Les raisons du succès

Mais pourquoi cette passion soudaine pour les tenders, wings et filets croustillants ? « Il y a un terreau favorable au poulet, de part la culture gastronomique », souligne François Charpy, PDG du cabinet de conseil Food strategy & performance. En effet, la consommation globale de volaille en France est en hausse, atteignant 28,8 kg par habitant, dont 23 kg de poulet en 2024. La restauration hors domicile représente désormais un débouché prioritaire, puisqu’elle écoule 35 % des volumes. Soit 8 fois plus qu’il y a 20 ans. « C’est goûteux, le rapport quantité/prix est bon sur ce produit, c’est d’autant plus prégnant en période d’inflation où les clients veulent en avoir pour leur argent », poursuit-il.

Quand le paleron de bœuf se négocie en moyenne à 9,70 € HT, le filet de poulet français tourne plutôt autour des 6,90 €. De quoi maintenir à la fois les prix et les marges. « C’est une protéine porteuse, la seule en croissance l’année dernière en restauration », souligne Olivier Régo, PDG de Popeyes France. La dimension interculturelle de cette protéine répond également à la recherche de variétés dans les goûts et dans les expériences des clients. Le poulet frit se décline à l’américaine façon cajun, à la coréenne ou mariné façon karrage japonais. Il est grillé à la portugaise, braisé ou mariné, toujours accompagné de sauces qui constituent en elles-mêmes des marqueurs forts de cette cuisine sur lesquels les marques rivalisent.

Un marché à trois verticales

Le marché compte déjà des dizaines d’enseignes et se structure en trois segments aux antipodes, dont les marques premium font figure de niche. Les marques d’entrée de gamme misent avant tout sur le volume et des petits prix. Leur offre est large et dynamique, notamment pour capter les 20-35 ans qui apparaissent comme les principaux prescripteurs des tendances du secteur. « En matière de restauration rapide, le marqueur prix reste fondamental et ce sont les gros faiseurs qui donnent le La », rappelle François Charpy. Ces marques sont d’ailleurs plus largement actives en livraison, voire exclusivement comme Pepe Chicken ou Wingstop, un débouché qui représente un enjeu important sur ce marché. « Elle représente 30 % de notre activité et c’est devenu primordial pour nous d’être vigilants sur notre politique de prix en livraison », note Marvens François, directeur général de PB Poulet Braisé. L’enseigne se positionne pourtant sur un niveau de gamme intermédiaire, revendique une cuisine faite sur place et un rapport « qualité/prix/quantité qui parle aux gens et les fidélise. »

Une équation désormais incontournable qui anime la plupart des grandes enseignes. KFC est celle qui connaît le mieux la maturité du marché français du poulet frit pour s’y être risqué dès 1991. « La France se distingue par une offre plus variée qu’aux États-Unis, exposent les représentants de l’enseigne qui compte désormais plus de 360 restaurants en France. L’offre de burgers est plus grande, avec des références premiums, et représente plus de la moitié des ventes de KFC. »

L’enseigne joue en effet sur deux verticales, d’une part en cultivant de nombreuses nouveautés et des petits prix qui séduisent la génération Z. De l’autre, une proposition qui parle davantage aux goûts et aux convictions des consommateurs, tout en restant très accessible. « 2025 marquera une nouvelle étape dans notre engagement pour une alimentation plus diversifiée et durable. Une option végétarienne sera désormais disponible pour l’ensemble de nos burgers iconiques sur notre gamme permanente, à partir de mi-mai », annonce Isabelle Herman, directrice générale de KFC France.

L’année dernière, l’enseigne avait déjà renforcé ses efforts pour un approvisionnement plus local. Cet argument du sourcing résonne d’ailleurs chez de nombreuses marques alors que, selon l’Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair, la France importe la moitié du poulet qu’elle consomme ( « Il y a eu de gros efforts de la part des principaux acteurs et désormais le sourcing ne justifie plus le prix, d’autant que le poulet est une des protéines les moins chères », analyse François Charpy. C’est d’ailleurs sous ce prisme que la marque Popeyes, deuxième au monde de poulet frit, signe son retour dans l’Hexagone après un faux départ en 2018 pour des raisons de positionnement et de structuration.

L’enseigne a choisi de se singulariser par une carte plus courte que la concurrence et en travaillant uniquement des produits frais. « Nous ne voulons pas chercher tous les instants de consommation, notre produit de base reste le poulet travaillé frais, explique Olivier Régo. C’est notre manière de rester compétitif, en proposant un sandwich best-seller à moins de 9 € qui offre un ratio filet de poulet / panure qui ne renie ni sur la quantité ni sur la qualité. On ne cherche pas à être les moins chers en prix unitaire, mais à proposer un rapport qualité prix. » L’enseigne a malgré tout succombé aux menus dits access devenus « une norme de marché ».

Un déploiement inégal

Malgré une forme de « cannibalisation » décrite par certains en Île-de-France, où le poulet frit est partout, le marché n’en est qu’à ses prémices, notamment en province. « Très peu de chaînes sont implantées hors de la capitale, il y a encore beaucoup de possibilités, note Marvens François dont les trente établissements PB sont présents aussi à Bordeaux, Arras ou encore Marseille. L’enjeu principal en région, c’est de travailler la notoriété. ». La marque Chicken Street, lancée en 2011, qui opère en franchise depuis 2018 et spécialisée dans le sandwich à base de naan au fromage et de poulet frit, a déjà maillé le terrain avec ses 80 restaurants en France et à l’étranger.

Elle vise 100 points de vente d’ici fin 2025 sous trois formats, notamment un drive et un coffee-shop qui amènent une nouvelle approche. François Charpy estime que le marché hexagonal est très loin d’être saturé. « Il y a de la place pour des marques nationales à condition qu’elles sachent se différencier. Je suis curieux de voir comment vont être accueillis des concepts comme Piou ! Piou ! ou Chick’Chill, l’enseigne imaginée par Mohamed Cheick C’est un marché qui bouge. Les cartes seront encore rebattues, notamment avec l’arrivée de mastodontes comme Chick-fil-A, qui a annoncé son implantation au Royaume-Uni cette année. » Parmi les marques qui dénotent, Piou ! Piou !, fondée à Paris, vient de faire son démarrage en franchise à Lyon sous la houlette du groupe Grand Feu (Pizza Cozy, Greekia). « J’ai été interpellé par la proposition dans la mesure où ce n’est pas réellement un concept, plutôt une identité centrée sur un produit et un savoir-faire d’artisan, raconte Florent Mercier, PDG du groupe. Nous avons rationalisé la production pour que les points de vente gagnent en efficacité, tout en gardant les recettes et le sourcing français. »

L’enseigne vise 3 à 4 unités d’ici la fin de l’année. Du côté des enseignes leaders, l’heure est à la surenchère. Avec ses 363 restaurants, KFC a une longueur d’avance sur Popeyes qui en projette 300 d’ici 2032. Le leader entend tout de même asseoir son statut, et met toutes les chances de son côté pour atteindre les 600 établissements annoncés d’ici 2027. S’il cale sur le modèle de la franchise, KFC accélère par un autre biais et lance un programme de location-gérance. Celui-ci doit permettre à de nouveaux investisseurs de rejoindre le réseau avec une mise initiale réduite pour faciliter l’accès à la gestion d’un restaurant.

En 2025, quatre restaurants devraient ouvrir sous cette forme, une quinzaine l’année prochaine. Popeyes parie de son côté sur une stratégie à part égale entre succursales et franchises, cette option étant privilégiée pour le maillage régional « en misant sur l’expertise locale des franchisés ». La marque se projette majoritairement dans des emplacements de centre-ville et en centres commerciaux, « avec un objectif clairement axé sur la restauration à table ». Les dark kitchens, au nombre de trois, viennent pour le moment en support pour désaturer les établissements avec une très forte affluence. Enfin, le sud-coréen Bonchon (trois restaurants à Paris) espère atteindre 25 restaurants en France et 15 en Espagne dans les années à venir.

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