Dans les grandes villes, le télétravail a modifié les comportements des consommateurs au moment du déjeuner. Face à la baisse de la fréquentation des restaurants, les professionnels du secteur s’efforcent de proposer des prix bas, tout en restant rentables. Tour de piste des solutions.
Le télétravail a durement impacté les restaurants qui étaient solidement campés sur le créneau du déjeuner, à l’instar des établissements du quartier de la Défense (voir encadré). La dispersion des titres-restaurants vers la grande distribution a encore accentué ce phénomène. La tendance à la baisse d’attractivité du service du déjeuner est perceptible depuis de nombreuses années. Elle s’accompagne aussi d’une baisse chronique des tickets moyens qui a notamment favorisé la résurgence récente des bouillons. Pour autant, Christophe Joulie, président du Groupe Joulie, l’homme qui a réinventé les bouillons avec Chartier, ne pense pas que la reconquête du service du déjeuner passe par des prix forcément bas.
Pour lui, le succès des bouillons repose sur un large volume de clientèle qui ne peut être garanti que par la présence d’un rapport qualité-prix étroitement maîtrisé. « La baisse de la fréquentation du déjeuner ne date pas d’hier, rappelle-t-il. Les Français tendent à prendre des habitudes de consommation des Anglo-Saxons. Mais cela reste un moment de consommation actif qui absorbe 40 % de la fréquentation globale de mes brasseries. » Pour maintenir l’attractivité, le Groupe jongle adroitement avec des plats du jour vendeurs. L’offre de chaque brasserie est traitée de manière spécifique. « Au Café du commerce et au Wepler, nous avons mis en place une formule (plat+boisson+café) à 20 €, détaille Christophe Joulie. Elle fonctionne bien, mais cela reste marginal. À partir du moment où nous assurons un bon rapport qualité-prix, les clients n’hésitent pas à dépenser davantage en s’orientant vers la carte. »
Les tarifs attractifs
Au Musset (Paris 1er), Julien Valentin est lui aussi convaincu qu’il ne faut pas sacrifier les prix : « Je préfère voir augmenter le ticket moyen que le volume de clientèle. Nous vivons dans un marché ultra-concurrentiel. Si on veut attirer du monde, il faut s’adapter en permanence et apporter de la variété, de la nouveauté et des prix. » Au Musset, les plats les plus vendus au moment du déjeuner sont facturés entre 15 et 21 € ; ce qui permet à l’établissement d’être très bien placé par rapport à la concurrence. Pour maintenir ces prix bas, sans concession à la qualité et en préservant la rentabilité, Julien Valentin doit jouer serré. Ainsi, il vend près de 15 % de plats végétariens au déjeuner, ce qui lui permet de juguler son coût matière.
Au moment du déjeuner, quelques euros peuvent faire la différence. Ainsi, au début de 2024, Marc Antoine Surand a vu la fréquentation de son restaurant Quedubon (Paris 19e) baisser sensiblement lors du déjeuner. Durant la crise sanitaire, il avait su attirer une clientèle locale à ce moment de la journée. « Nous avions une formule entrée-plat-dessert à 24 €, explique-t-il. J’ai baissé le tarif à 21 € et nous avons retrouvé une clientèle du midi. » Le patron reconnaît toutefois que cet exercice est très compliqué si on veut offrir une prestation adéquate à la réputation de l’enseigne.
Pour proposer des produits bas et maintenir des coefficients acceptables au Préaumur, brasserie située dans le quartier de la Bourse (Paris 2e ), Jean-Paul Malzac met en avant les pizzas, il a aussi introduit une proposition de poke bowls, de brochettes et de gnocchis, des spécialités faciles à mettre en œuvre et dont le coût matière ne dérape pas. Pour élargir l’attractivité, il propose en permanence deux plats du jour à 15 et 20 €. Dans ce quartier de bureau, c’est à ce prix qu’il parvient à maintenir la fréquentation lors du déjeuner. « Aujourd’hui, au Préaumur, il nous faut servir 150 couverts au déjeuner pour réaliser 3 000 € de CA », observe-t-il.
La stratégie des plats du jour
Non loin de là, à La Bombe (Paris 2e), Nicolas Vayre vient de servir 140 couverts au déjeuner, ce qui, selon lui, « représente une performance pour un lundi. Après la crise sanitaire nous avons souffert du télétravail au déjeuner, mais en dehors du vendredi, où nous notons toujours un vrai creux, les choses sont en train de rentrer dans l’ordre ». En volume, le déjeuner domine avec 80 % des plats servis. Mais le meilleur CA est réalisé le soir, grâce à un ticket moyen plus élevé en restauration, mais aussi avec les planches et les boissons servies durant l’after work.
Lors du déjeuner, Nicolas Vayre préfère fidéliser avec un bon rapport qualité-prix. À La Bombe, « tout est fait maison, même le gratin ou la tartiflette, avec des produits frais de premier choix », garantit-il. La proposition des plats du jour est stratégique. Une ardoise bien présentée les décline à l’entrée même du restaurant. Les trois plats du jour sont proposés de 19 à 21 €. Le quatrième est facturé 27 €. Mais c’est une côte de bœuf angus, une belle affaire pour les épicuriens. Ces quatre plats du jour, bien articulés, vont représenter près de la moitié des ventes du restaurant. « La clientèle proche, on l’attire par la pertinence de l’offre, estime Nicolas Vayre. Pour les touristes, c’est différent, il faut savoir jouer avec les réseaux sociaux. »
Les réseaux sociaux
Julien Valentin, jeune patron du Musset, en est pleinement conscient. Il travaille beaucoup sur cet axe pour populariser l’image de son restaurant. « Nous avons été les premiers en 2019, avec la Maison Sauvage, à fleurir l’ensemble de la façade du restaurant, rappelle-t-il. Cette image séduit les touristes et la photo du Musset a ainsi fait le tour du monde, ce qui nous offre une belle visibilité sur les réseaux sociaux et attire d’autres touristes. »
Les vieilles ficelles, comme le semainier permettent aussi de relancer l’activité. Beaucoup de restaurants récemment créés ont remis au goût du jour cette pratique qui assure aux clients de retrouver à un moment de la semaine une recette phare. Deux des restaurants du Groupe Joulie, le Bœuf couronné et Chez André maintiennent farouchement cette offre. Cela est même institutionnalisé chez André où ces rendez-vous réguliers assurent 10 % des commandes de plats au déjeuner. « L’offre doit être attractive, proposer des plats forts, identitaires et en harmonie avec l’enseigne », insiste Christophe Joulie.