Foie gras : envers et contre tout

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Le foie gras, incontournable des fêtes, n’a pas dit son dernier mot. Malgré une année 2023 particulièrement difficile pour les producteurs, ce mets de choix sera bien présent sur les tables en décembre. Plus encore, la filière se veut rassurante et prépare l’avenir.

Millefeuille de foie gras
Millefeuille de foie gras. ©Cifog

Chaque année, le même constat : les Français considèrent que le foie gras est un produit indispensable pour réussir leurs fêtes. Ils sont 84% à le voir comme un moyen de partager des moments de fêtes et de plaisir avec leurs proches. Plus encore, 3 Français sur 4 le classent numéro un des incontournables des fêtes de fin d’année, devant le saumon fumé (67%) et la bûche de Noël (61%). « On sait que l’attente ne change pas, le foie gras a une vrai valeur refuge », assure d’emblée Marie-Pierre Pé, directrice de l’Interprofession française du foie gras (Cifog). De son avis, le foie gras garde donc le sens de la fête. Plus de 9 personnes sur 10 l’estiment comme un produit « traditionnel » (94%), « festif » (93%), « haut de gamme » (92%), « qui fait plaisir » (92%) et « à partager », selon les chiffres du Cifog.

Malgré l’inflation, les crises successives, les consommateurs ont le souhait de se faire plaisir, c’est important pour eux.
Audrey Estival, directrice marketing de Rougié

Pourtant, la filière connaît des heures compliquées. « Nous sommes un peu dans le même contexte de marché que fin 2022, sachant que nous avons commencé l’année sans stock », souligne Marie-Pierre Pé. La disponibilité du foie gras était en effet en baisse d’environ un tiers, en raison de l’influenza aviaire. « Nous avons démarré 2022 dans une situation très critique, nous étions en rupture sur certaines références », abonde Fabien Chevalier, directeur général de la Maison Lafitte. Pire encore cette année, l’influenza aviaire a resurgi au début mai après les épisodes hivernaux, dans le département du Gers et l’est des Landes. « C’était un peu le scénario catastrophe habituel en début d’année, puis nous avons été touchés l’influenza tardive, en plus de cas isolés en juillet », précise Fabien Chevalier. La perte a d’ailleurs été estimée à un million de canards, pour le seul mois de mai. Mais si la disponibilité a baissé, en valeur, le repli s’est tout de même limité à – 2%, comparé aux fêtes de fin d’année 2021. Les ventes ont même progressé de 10,2% en va- leur, avec un recul limité à 6,3% en volume.

Une lueur d’espoir

« La production sur le territoire français reprend quelques couleurs », mentionne Marie-Pierre Pé. Elle assure que les professionnels de la filière sont « confiants », même s’ils restent « prudents », et placent l’année 2023 sous le signe de la reconstruction. En effet, avec le démarrage de la campagne de vaccination de dizaines de millions de canards contre la grippe aviaire, les espoirs sont à nouveau permis. Pour casser la spirale dévastatrice de la grippe aviaire, qui touche la France depuis plusieurs années, le pays a rendu obligatoire la vaccination dans les élevages de plus de 250 canards (hors reproducteurs) depuis le 1er octobre. Toute la filière se félicite de cette mesure, qui représente une promesse de rétablissement de production. « Nous espérons que cela va nous permettre de reprendre une sérénité dans nos élevages, car nous avons bien failli disparaître », tient à préciser la directrice du Cifog.

iCanards
Le 1er octobre, la France a rendu obligatoire la vaccination dans les élevages de plus de 250 canards (hors reproducteurs). ©Anne-Claire Héraud / Yam

Malgré tout, cette situation a un revers, notamment pour l’exportation, qui représente actuellement 20% des débouchés de la filière. Alors que la France est le premier grand exportateur à vacciner au monde, certains pays s’opposent à l’importation de produits avicoles si la vaccination est obligatoire. C’est notamment le cas du Japon, premier marché du foie gras hexagonal hors Europe (6-7% des exportations), a déjà annoncé vouloir prendre une telle mesure. « C’est un marché lucratif, dont on va devoir se passer pendant plusieurs mois et années », regrette Fabien Chevalier de Lafitte, également vice-président du Cifog.

Un produit iconique

Mais le foie gras résiste, envers et contre tout. Plus que jamais, les Français veulent le retrouver dans leurs assiettes et sur les cartes de restaurants. « Malgré l’inflation, les crises successives, les consommateurs ont le souhait de se faire plaisir, c’est important pour eux, ils continuent à vouloir consommer du foie gras », note de son côté Audrey Estival, directrice marketing de Rougié. D’ailleurs, une grande majorité de la population (93%) s’accorde à dire que le foie gras fait partie du patrimoine gastronomique hexagonal, 89% estiment également qu’il s’agit d’un produit « made in France » à soutenir et 88% d’un savoir-faire traditionnel à préserver, selon le Cifog. Ils accordent des niveaux de confiance très élevés au foie gras, que ce soit en matière de qualités gustatives (90%), de sécurité alimentaire (89%), de traçabilité (89%) ou de mode de production (83%).

iFoie gras travaillé
Foie gras manipulé par un chef. ©Anne-Claire Héraud / Yam

Ainsi, dans un contexte de raréfaction du produit, cela peut demander quelques ajustements des professionnels pour répondre à la demande. « Surtout, nous n’appelons pas à enlever le foie gras des cartes, au contraire, assure Marie-Pierre Pé. L’idée est d’adapter la façon de le préparer. » Elle conseille, par exemple, de réduire les quantités et constate qu’il est parfois servi en accompagnement, plutôt qu’en plat principal. « Cela peut aussi être l’occasion de remettre les produits issus du canard à la carte, comme le magret ou les confits par exemple, ajoute-t-elle. Ce sont des produits aimés, qui ne sont pas clivants, symboles de plaisir et de terroir. »

De son côté, Fabien Chevalier de Lafitte estime que les professionnels qui souhaitent le mettre à la carte pourront le faire. « N’ayez pas d’a priori, rapprochez-vous de votre fournisseur, parlez avec lui et voyez la disponibilité des produits », lance-t-il. Il invite toutefois à bien anticiper les commandes. « Pour les terrines, il ne faut pas trop attendre et s’en occuper au moins un mois avant », glisse-t-il. Il conseille également les escalopes surgelées, disponibles en quantité, qui ont une longue date limite d’utilisation optimale (DLUO), et qui ne nécessitent pas de temps de décongélation. « C’est la meilleure façon de les faire cuire, pour éviter de mettre de la farine comme cela se faisait avant », assure-t-il. Le format conserves semble aussi prendre le chemin des restaurants. « Pour être sûrs de mettre du foie gras à la carte, un certain nombre d’établissements, bistrot ou gastro, nous ont réservé des conserves, cela est aussi intéressant pour eux », ajoute-t-il.

Surtout, nous n’appelons pas à enlever le foie gras des cartes, au contraire. L’idée est d’adapter la façon de le préparer.
Marie-Pierre Pé, directrice de l’Interprofession française du foie gras (Cifog)

En outre, si, au vu du contexte général, le temps n’était pas forcément à l’innovation pour la Maison Lafitte, quelques nouvelles propositions ont tout de même vu le jour. Notamment une recette de foie gras, artichaut et verveine, directement inspirée du célèbre restaurant lyonnais La Mère Brazier**. Il s’agit d’un petit format en conserve (130g), qui permet de coupler le foie gras avec un végétal. L’autre innovation, sortie l’année dernière pour les 60 ans de Lafitte, est une recette de mi-cuit (180g), signée par le chef Michel Guérard, partenaire de la Maison depuis de nombreuses années. Avec les équipes de Lafitte, il propose L’instant d’Eugénie, en clin d’œil au nom de son restaurant Les Prés d’Eugénie, triplement étoilé au Guide Michelin depuis 1977. « Nous n’avons jamais sorti une recette aussi sophistiquée, glisse Fabien Chevalier. Il est cuit dans une feuille de figuier, légèrement fumé, assaisonné avec de l’armagnac de la propriété du chef. »

Lafitte met en avant une recette du chef Michel Guérard, un foie gras cuit dans une feuille de figuier, fumé et assaisonné avec de l’armagnac. ©Lafitte

Lafitte met en avant un foie gras artichaut et verveine. ©Lafitte

Pour être sûrs d’avoir du foie gras, certains restaurateurs se tournent vers les conserves. ©Anne-Claire Héraud / Yam

Rougié propose aux restaurateurs un foie gras entier au Sauternes et au poivre de Madagascar. ©Rougié

Rougié propose aux restaurateurs sa gamme de terrine de canard. ©Rougié

De son côté, Audrey Estival de chez Rougié, estime qu’il est également possible de coupler le foie gras avec du végétal, afin de réduire un peu les quantités, tout en proposant des recettes originales. « Cela permet aux clients de sortir un peu de ses habitudes, d’avoir des associations différentes », explique-t-elle. De plus, le coût portion peut être plus abordable pour les restaurants, même si, malgré le contexte et l’inflation, les prix n’ont que très légèrement augmenté, selon les professionnels de la filière. Côté innovation, la marque s’est recentrée sur ses piliers. « Cette année, nos incontournables sont à l’honneur, comme un retour aux sources avec les terrines et le foie gras cru, nous souhaitons surtout pouvoir répondre à toutes les demandes », commente Audrey Estival.

La coopérative propose une recette de foie gras de canard entier au Sauternes et au poivre de Madagascar, un produit prêt à l’emploi qui se déguste chaud ou froid. Les terrines charcutières sont aussi à l’honneur chez Rougié, avec une gamme de trois recettes nommées « Côté Bistrot », préparées à base de canards gras. « C’est une façon de mettre le canard à la carte, par exemple à l’apéritif », commente la directrice marketing. En outre, pour compléter et diversifier son offre, la marque présente depuis le début de l’année un autre produit noble de la gastronomie française, la noix de Saint-Jacques sauvage. Elles sont conservées vivantes jusqu’à leur sélection, puis manuellement énuclées, avant d’être surgelées IQF. Une autre idée d’entrée ou de plats pour les fêtes de fin d’année.