Brasseries, le succès d’une cure de jouvence

  • Temps de lecture : 6 min

De multiples brasseries et bouillons battent le pavé parisien ces dernières années. Et la cuisine française traditionnelle connaît un vent de renouveau. Si les recettes ne changent pas, la présentation des plats tout comme la décoration évoluent. Les prix accessibles, les plats canailles, le recours aux circuits courts, le fait-maison, attirent sans cesse de nombreux clients et attisent la curiosité des touristes.

brasseries
Brasserie Martin, le dernier-né des établissements du groupe Nouvelle Garde. Crédits : Lucile Derveaux.

Elles ont fleuri dans Paris en seulement trois ans. Elles sont reconnaissables à leur extérieur autant coloré que leur intérieur et n’hésitent pas à dépoussiérer la cuisine française traditionnelle. Elles, ce sont les Brasserie Bellanger (Paris 10e), Brasserie Dubillot (Paris 2e) et Brasserie Martin (Paris 11e), respectivement ouvertes en avril 2019, en juillet 2021 et en juillet 2022. Elles font partie de la Nouvelle Garde, jeune groupe dirigé par Charles Perez et Victor Dubillot. « Nouvelle Garde pour gardien de la tradition », précise même Charles Perez. Il n’est pas le seul à vouloir protéger et partager, avec succès, ce qu’on surnomme « la cuisine de nos grands-mères ». Celle-ci a en effet le vent en poupe dans la capitale. De nombreux bouillons ont ainsi vu le jour ces dernières années alors qu’il ne restait qu’un seul représentant du concept – âgé de plus de 150 ans avec le Bouillon Chartier (Paris 9e). Ce dernier, propriété de la famille Joulie, compte désormais trois établissements.

Les frères Moussié sont quant à eux venus apporter au genre une cure de jouvence avec l’ouverture du Bouillon Pigalle (Paris 18e) en 2017 et du Bouillon République (Paris 3e) en « La tendance était assez forte, le client cherchait des prix accessibles. Alors, pourquoi ne pas prendre le pari ? », justifie Emmanuel Coussen, directeur de ces deux derniers établissements, tout en ajoutant avoir voulu « redonner une nouvelle dynamique ». Un coup de neuf à une cuisine qui souffre d’une image vieillissante à l’heure de la vente à emporter (VAE) et du succès des spécialités asiatiques et italiennes. Malgré tout, un fort attachement pour les plats canailles, synonymes de goût et d’alimentation roborative, persiste. « La notion de recettes de grand mère est une petite madeleine de Proust. Ce sont des plats que nous ne faisons plus vraiment chez soi. Ce qui fait que tout le monde aime. Il y a également une notion de tradition dans des plats un peu à la Escoffier », développe Pascal Le Bihan, directeur général des Grandes Brasseries de l’Est, groupe dont fait partie le Bouillon Julien (Paris 10e). Celui-ci a été inauguré en 2018, en remplacement de la brasserie Julien, ancien établissement du Groupe Flo. Néanmoins, tradition et modernité ne sont pas forcément des notions opposées.

Et pour cause, les équipes du Bouillon Julien ont souhaité moderniser la préparation et la présentation des plats. Par exemple, pour les poireaux vinaigrette, les légumes sont grillés et le hachis parmentier est élaboré à partir de patates douces. Le renouveau culinaire passe aussi par une adaptation aux nouvelles habitudes de consommation, comme le fait de prévoir des plats végétariens. En outre, en sus des 3.000 couverts totaux effectués quotidiennement dans les bouillons Pigalle et République, 1.000 couverts par jour sont comptabilisés pour l’offre de VAE. « Elle est en plein développement », se félicite ainsi Emmanuel Coussen. De plus, la décoration a elle aussi eu droit à un dépoussiérage. « Nous avons essayé d’amener un peu de direction artistique avec un univers BD, des clichés plus sympas », détaille-t-il. Une atmosphère plus épurée également, avec des couleurs légères. Le choix d’une cuisine ouverte a par ailleurs été fait dans les brasseries de la Nouvelle Garde.

La valorisation des circuits courts

Cependant, le levier principal pour attirer la clientèle reste le prix. « Nous nous sommes rendu compte que la répétition des additions à 40 ou 50€ devenait plus compliquée. Nous sentions qu’une offre un peu plus populaire aurait davantage de sens », dévoile Benjamin Moréel, pour justifier de l’ouverture, en 2019, du Petit Bouillon Pharamond (Paris 1er), avec Christopher Préchez. Malgré une capacité réduite par rapport aux autres établissements du genre, avec 90 places à l’intérieur et 40 en terrasse, le restaurant réussit à réaliser 700 couverts par jour. Les volumes sont logiquement importants, ce qui permet de rogner sur la marge et donc de proposer aux clients une offre tarifaire attractive. Les prix accessibles sont également permis par une stratégie établie avec les fournisseurs. « Moins il y a d’intermédiaires et moins le prix augmente », rappelle Benjamin Moréel. Il a même poussé le curseur encore plus loin en prenant des participations dans la société de distribution et de transformation d’une exploitation laitière de la Manche, la Ferme de la Haute Folie.

Dans la même veine, la Nouvelle Garde privilégie la relation directe avec le producteur. « Pour ce travail de sourcing et cette relation de confiance avec le producteur, deux personnes sont prévues à plein temps », précise Charles Perez, qui indique par ailleurs que « tout est fait maison ». Des stratégies payantes puisque le groupe prévoit l’ouverture d’un quatrième établissement, dans le quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés, à l’été 2023. Le système de rotation des tables est également un outil utilisé pour maîtriser les coûts. « Lorsqu’un serveur s’occupe de 20 à 25 couverts dans un restaurant classique, chez nous il se charge de 40 à 45 couverts », explique Pascal Le Bihan, du Bouillon Julien. Avec 180 places assises, l’équipe effectue 700 à 800 couverts par jour, ce qui permet de valider le mode de fonctionnement. Par ailleurs, « le ticket moyen est resté stable, à 19,50€ le midi et 22€ le soir », annonce-t-il. Une stratégie de prix qui se révèle plus que jamais d’actualité, dans le contexte inflationniste que nous connaissons aujourd’hui. Une volonté qui permet également d’attirer une cible particulièrement importante dans le cadre d’un renouvellement de clientèle : la jeune génération. « Les jeunes n’ont jamais délaissé la cuisine française traditionnelle, estime ainsi Pascal Le Bihan. Nous les avons séduits parce que nous proposons une cuisine de grand-mère accessible. »

Un phénomène national

Toutefois, le phénomène du renouveau de la cuisine française traditionnelle ne se limite pas à Paris, mais touche l’ensemble du pays. « Depuis trois ou quatre ans, nous pouvons constater une vraie recrudescence des bouillons en France, un réel dynamisme », confirme Emmanuel Coussen. À tel point que le groupe compte « se développer, à terme, autour des grandes villes de France ». Une ouverture est d’ailleurs envisagée à Lille, dans le Nord, pour 2024. Tout comme les fondateurs du Petit Bouillon Pharamond qui s’installent dans la capitale des Flandres en inaugurant durant la première quinzaine de juin 2023 un bouillon, en lieu et place du restaurant Alcide, situé à proximité de la Grand’Place. Il disposera de 160 places à l’intérieur. Le Bouillon Limousin, ouvert en 2021 à Limoges, en Haute-Vienne, se trouve dans le sillon de cette nouvelle offre. « Il n’y en avait pas dans la ville », indique le chef Jérôme Ivars, qui tient l’établissement, avec Cathy Dumain. Ils recherchaient « le style du Bouillon Chartier ou du Bouillon Julien, mais à la sauce limousine », poursuit-il.

Dans une ambiance du début du XXe siècle, les produits régionaux sont ainsi mis en avant, à travers « une cuisine simple de tradition, comme la joue de boeuf ou le ris de veau ». Et ce, en pratiquant des prix limités. Le menu du jour en trois services, valable aussi bien en semaine que le week-end, est ainsi affiché à 19,50€. « Je marge moins que mes collègues. Au lieu d’appliquer un coefficient de quatre ou cinq, je peux appliquer un coefficient de deux sur certains plats », dévoile le chef. Raison pour laquelle il doit se passer de certains produits, comme l’agneau Baronet, estimé trop cher. Avec une capacité de 65 places, il réussit à réaliser 120 couverts par jour pour « un peu plus de 500 couverts par semaine, tandis qu’on en refuse facilement 450 », mentionne-t-il. Un établissement qui ne cesse donc de faire le plein de clients. « Ils redécouvrent ou découvrent des plats qu’ils n’ont pas connus », observe Jérôme Ivars. Et Benjamin Moréel, du Petit Bouillon Pharamond, de conclure : « Il n’y a pas de raison particulière à ce que cette tendance change. Elle est familiale et elle rassemble. »

PARTAGER