Le café monte en gamme avec ses spécialités

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Le café connait une montée en gamme avec le café de spécialité, haut de gamme et tracé. Il fait ainsi partie des tendances.

Le café monte en gamme
Le café de spécialité a accru son développement ces dernières années. Crédit Gaël Vibet.

La dose de caféine pour bien démarrer la journée ou reprendre le travail après la pause du déjeuner reste un classique pour bon nombre de consommateurs, même si la consommation a un peu diminué. Ainsi, en 2021, près de 27,3 milliards de tasses de café ont été consommées, tous lieux confondus, contre 34 milliards en 2018. En hors domicile, le chi re s’élève à 13,3 milliards, contre 23 milliards en 2018, d’après des données fournies par CHD Expert. « Après la période de Covid-19 qui a fait baisser les volumes, le café a connu une forte croissance sur le grain », indique par ailleurs Luca Casadei, double champion de France barista et responsable commercial chez Segafredo.

D’ailleurs, le grain « mène la croissance du marché », souligne Maria da Luz Amaral, directrice générale de Delta Cafés France, société portugaise implantée depuis 15 ans en France et qui a représenté en 2022 plus de cinq millions de cafés servis en CHR. « Aujourd’hui, le CHR possède une reprise active, mais l’année 2022 a été légèrement en baisse par rapport à 2019. Les gens ont pris l’habitude de consommer à la maison, avec un passage de la capsule vers le grain. Il faut toujours un temps d’adaptation », précise Luca Casadei.

De plus, Nicolas Nouchi, responsable des études chez CHD Expert, complète cette analyse en confirmant un changement de la demande. « Il y a eu un petit temps de latence entre la réouverture des CHR et la reprise des taux de prise pour le café. Il y a également eu une dynamique de redistribution des cartes. Le petit déjeuner perd ainsi de sa superbe dans les cafés et restaurants traditionnels, au profit de lieux de nomadisme comme les coffee-shops. De plus, le goûter reprend, notamment dans les entreprises avec des salariés qui sont de plus en plus demandeurs. La boisson chaude est, quant à elle, bien répartie, alors qu’elle perdait du terrain pendant la période de Covid-19. Notons en outre l’émergence de boissons froides à base de café », analyse-t-il ainsi.

Produit à part entière

De plus, alors que Xavier Folliet, directeur régional des ventes des Cafés Folliet, indique une « croissance positive » sur le marché global, ce dernier note tout de même une évolution des habitudes de consommation, au détriment, notamment, du secteur des CHR. En effet, « il existe beaucoup de disparités. Le secteur de la boulangerie et du snacking continue de prendre des parts de marché sur le bar qui avait l’habitude de vendre du café le matin », constate-t-il. Aussi, « les brasseries et restaurants de centre-ville ont plus de di cultés que ceux situés sur les extérieurs des villes parce qu’il y a aujourd’hui énormément de bureaux qui disposent d’une machine à grain et d’une proposition de café parfois meilleure », poursuit-il.

Néanmoins, les consommateurs n’ont pas été les seuls à évoluer dans leur relation avec le café. Et pour cause, si Bernard Boutboul, président de Gira Conseil, estime que le café comme le thé sont « des boissons négligées » par les CHR et qu’« on ne vend pas le café, on laisse le consommateur l’acheter », Nicolas Nouchi de CHD Expert constate tout de même un progrès dans les mentalités. « Dans les CHR, la considération du café comme une opportunité de développement du chi re d’a aires a été très longue, indique-t-il. On minimisait la qualité de la machine et du produit. On fournissait seulement un service. Or, les 3 à 9 % du chiffre d’affaires que représente le café ne sont pas négligeables. Le secteur a compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple service, mais que cela avait du sens, qu’il s’agissait de la dernière note de la partition du repas. Je pense que le restaurateur a migré dans l’importance stratégique que pouvait représenter le café dans son acte de vente. Les CHR se sont rendu compte que le café était plus important que prévu pour le chiffre d’affaires et l’image. »

Une analyse par ailleurs confirmée par Luca Casadei, de Segafredo : « Nous avons vu une démocratisation des boissons au café qui sont de plus en plus partie intégrante. » Forcément, alors que le café constitue une source de développement du ticket moyen, les professionnels se sont penchés sur d’autres moments de consommation, différents des classiques petits déjeuners et déjeuners, comme l’après-midi avec les boissons gourmandes. De plus, cette adaptation est passée par la présentation d’une offre adéquate, conforme au moment en question. « Dans un cadre différent pour un point de vente café-restaurant brasserie qui va être un peu hybride en fonction de la journée, c’est une belle opportunité de bien pouvoir se positionner avec une proposition qui soit belle, aussi bien au travers de la machine qu’au travers de la tasse et de la qualité du café qu’on va proposer », avance ainsi Nicolas Nouchi.

L’expresso demeure largement en tête des types de café consommés. « Il y a ensuite beaucoup de cafés allongés. C’est une hérésie parce que plus vous allez filtrer un café et plus vous allez avoir de caféine. Cette tendance s’explique par le fait que le consommateur n’est pas informé. Il se dit qu’en ajoutant de l’eau, cela va noyer la caféine. Il y a un manque d’information du restaurateur vis-à-vis de son client. Ensuite, et ce n’est plus une simple tendance parce qu’elle fait partie des acquis, ce sont les boissons chaudes : cappuccino, latte macchiato, cafés aromatisés avec du sirop. Mais nous sommes encore loin des compétences des pays voisins », développe ainsi Xavier Folliet.

Au titre des tendances existantes dans l’univers du café, le 100 % arabica est avancé par ce dernier, qui en fait même « un phénomène médiatique ». De plus, « des cafés avec une pointe de robusta, qui sont souvent des cafés typés italiens avec une belle crème et des arômes assez soutenus, plaisent énormément ».

La tendance du café de spécialité

La demande actuelle porte également sur le café de spécialité. « Nous sommes plutôt sur une tendance de café de spécialité qui possède ce côté aromatique unique, ce café d’exception qui reprend l’expression d’un terroir », abonde Jean-Christophe Albaret, directeur des opérations commerciales et du développement de Cafés Richard.

« Les exigences sont plus sur la traçabilité et la durabilité. » Il le compare aux labels, dont le bio. « Comme dans l’alimentaire, le bio a progressé, mais aujourd’hui il est plutôt à la baisse. Je pense que les gens ont davantage envie de visibilité sur la traçabilité et les origines. Il est vrai que lorsque nous expliquons à nos clients ce que sont Fairtrade Max Havelaar [commerce équitable, NDLR] ou le bio, cela les rassure mais, aujourd’hui, nos ventes majoritaires restent en dehors de ces produits certifiés. Ils veulent une expérience client différente, donc un profil aromatique particulier avec une vraie expression du terroir, tout en conservant une exigence sur la traçabilité et la durabilité », explique-t-il. Un point confirmé par Xavier Folliet pour lequel « vous devez avoir le label Fairtrade Max Havelaar, mais honnêtement ce n’est pas très demandé, sauf le petit restaurateur qui veut vraiment parler de son produit. En réalité, ce point va être davantage regardé en grandes surfaces ».

Victor Delpierre, champion du monde Coffee In Good Spirits 2013 et consultant expert boisson spécialisé dans le secteur de la gastronomie, se félicite quant à lui de la bonne santé du café de spécialité. « Je suis ravi de constater la croissance de la présence du café de spécialité dans un nombre croissant d’établissements du secteur CHR. Cette évolution est le résultat des efforts constants de l’ensemble de la chaîne de valeur du café, qui sont progressivement récompensés. Les clients, de plus en plus exigeants et connaisseurs, deviennent eux-mêmes des ambassadeurs du café de spécialité », indique-t-il en effet, en notant également que les restaurants gastronomiques, de plus en plus, remplacent « les capsules qui avaient envahi les tables ces dernières années, [ce qui] met en avant l’authenticité et les caractéristiques uniques des cafés de spécialité ».

Cependant, il n’hésite pas à pondérer le phénomène : « il convient de noter que les volumes de café de spécialité, en comparaison avec le café conventionnel, demeurent relativement modestes. » En outre, malgré la baisse de régime du bio, Luca Casadei de Segafredo, mise sur lui et le voit comme une tendance dans le café pour les prochaines années. « Les pays produisent de plus en plus de café de qualité bio », justifie-t-il. Tout comme Delta Cafés France, qui assure, par le biais de sa directrice générale Maria da Luz Amaral, que « dans les CHR, les clients sont un peu concernés et attentifs à la demande en bio et en économie circulaire. Nous avons cette préoccupation d’essayer de trouver des assemblages qui répondent aux demandes des clients les plus attentifs ».

Le slow coffee, en alternative à l’expresso, disposant d’une « palette aromatique plus vaste qui satisfait de plus en plus de consommateurs », le cold brew, infusion à froid du café, ou encore les boissons végétales, sont par ailleurs cités par Victor Delpierre parmi les tendances du secteur. « Je dirai que la “coffee mixologie” est la prochaine tendance du CHR et que bientôt les Expresso Martini et Irish Coffee vont avoir de petits frères et sœurs sur les menus des bars les plus branchés », précise-t-il enfin.

Vers une carte des cafés

En dépit de la récente et progressive montée en gamme des CHR sur le café, du chemin reste à faire. Cela pourrait passer par une carte de cafés, en s’inspirant de la sommellerie et de la carte des vins, tout en disposant d’une réelle expertise sur le sujet. « J’ai l’impression que c’est un peu trop loin pour notre consommateur français », estime néanmoins Nicolas Nouchi, de CHR Expert.

« Ce dernier veut de la disponibilité pour une boisson chaude de qualité transparente et traçable, pour plusieurs solutions de boissons chaudes avec différentes recettes gourmandes. Il souhaite également plusieurs canaux de consommation pour pouvoir l’emporter, comme le boire sur place, ou encore une expérience jusqu’au-boutiste et cela passe forcément par des produits d’accompagnement, que ce soit le bord de tasse pour le café du déjeuner, comme le petit complément qu’on va proposer dans une formule petit déjeuner. »

Malgré ce bémol, Nicolas Nouchi cible un certain type de restaurant qui, selon lui, pourrait tout à fait disposer d’une telle proposition. « Dans un restaurant 3 étoiles Michelin, cela fait partie de son enjeu, en fonction de la gamme, de montrer qu’on insiste sur le café comme on insiste sur tout le reste, d’être perfectionniste jusqu’au bout. Mais dans un restaurant du quotidien, avoir une carte des cafés, je ne suis pas sûr que cela change la donne à ce stade et que cela pousse à la consommation de café de façon démesurée », développe-t-il alors.

Le torréfacteur Cafés Richard propose par ailleurs cette offre de carte des cafés depuis environ cinq ans, avec 12 grands crus. « Un peu à l’image de l’œnologie, nous parlons de caféologie. Nous essayons d’apporter une expérience sensorielle aux amateurs et aux professionnels pour découvrir les grands crus de café. Nous sommes davantage sur de la bistronomie ou du restaurant confidentiel. La personne va ainsi choisir des arômes, un côté acidulé ou plus corsé. Cela permet de faire découvrir la route du café », présente ainsi Jean-Christophe Albaret, de Cafés Richard.

Pour autant, le secteur devrait continuer de rester en ébullition et ainsi connaître de multiples innovations. Victor Delpierre se veut d’ailleurs optimiste quant à l’avenir. « La consommation du café en CHR se fera de plus en plus par connaissance de l’ingrédient café, de sa qualité organoleptique, des valeurs qu’il défend et de moins en moins par réflexe, car le client n’est pas dupe et il acceptera de moins en moins de payer pour une qualité médiocre ou identique à celle qu’il peut consommer chez lui. »

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