L’insertion par la cuisine

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Depuis 2019, la table du Recho forme et accompagne des personnes exilées aux métiers de la restauration. Une façon de favoriser l’inclusion sociale et de répondre aux besoins du secteur. Le tout en adoptant une démarche durable et responsable.

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Dans son restaurant solidaire, le Recho œuvre pour faire évoluer l'inclusion pérenne des personnes exilées grâce à la cuisine. Crédits : Jérémie Croidieu

Tout a commencé en 2016, lors de la création de l’association le Recho, pour « refuge, chaleur, optimisme ». À ce moment-là, Vanessa Krycève, cheffe cuisinière et comédienne, s’entoure d’une dizaine d’autres femmes issues de la restauration, du marketing, de la communication et des arts pour proposer un projet autour de la cuisine comme moteur d’inclusion sociale et de solidarité. « Nous voulions arrêter d’être des témoins malheureuses et devenir des actrices actives afin de permettre l’accueil des populations exilées par la cuisine, l’objectif était avant tout de créer du lien », explique d’emblée Alix Gerbet, directrice du développement et cofondatrice du projet.

L’association investit alors dans un food truck, qui lui permettra de se rendre directement dans les lieux d’accueil. « Notre volonté était alors d’aller à la rencontre des populations accueillantes et réfugiées, afin de cuisiner ensemble », raconte Alix Gerbet. L’équipe commence par le camp de la Linière à Grande-Synthe, près de Dunkerque (59), où plus de 10.500 repas sont préparés et servis en trois semaines. Dans le même temps, des ateliers de cuisine sont organisés entre personnes réfugiées et bénévoles. Des chefs ambassadeurs se sont également rendus sur place, à l’instar d’Akrame Benallal (restaurant Akrame*, Paris 8e) et Florent Ladeyn (Auberge du Vert Mont*, Boeschepe, 59). L’initiative s’est ensuite répétée dans d’autres camps, avant que le food truck stationne dans l’ancienne caserne de gendarmerie Chalvidan (Paris 16e), devenue un lieu d’accueil.

Un restaurant d’insertion

Trois ans après ses débuts, le projet prend une autre dimension, celle de former les personnes réfugiées aux métiers de la restauration. « Cela s’est mis en place assez naturellement, nous avions d’un côté un secteur en crise avec des restaurateurs qui peinent à recruter et de l’autre des personnes en attente, qui veulent travailler, apprendre un métier et qui par ailleurs ont déjà des compétences et des parcours de vie très denses », expose Alix Gerbet. En 2019, l’association devient ainsi une entreprise d’insertion et ouvre la table du Recho dans le 16e arrondissement de la capitale. L’équipe forme et accompagne des personnes réfugiées aux métiers de la restauration, en salle comme en cuisine, au sein de son restaurant, qui dispose aussi d’une activité traiteur. Ces formations, qui durent en moyenne une année, sont complétées par des stages de terrain, souvent en partenariat avec Pôle Emploi.

L’entreprise d’insertion peut également compter sur la communauté de restaurateurs engagés Écotable, dont elle fait partie. « Nous appelons tous les restaurateurs à devenir partenaires et ainsi accueillir des stagiaires pendant quelques jours, afin de leur permettre de connaître comme cela se passe ailleurs », commente Alix Gerbet. À l’issue de la formation, les stagiaires sont accompagnés vers une « sortie positive », autrement dit un CDI, un CDD ou une autre formation pour monter en compétences. Ils sont parfois embauchés dans une des tables du Recho (qui a ouvert également Le Bal Café Paris 18e) ou dans des restaurants traditionnels. En 2019, trois personnes ont été formées, tandis que cette année, le chiffre est passé à huit. L’objectif est de permettre l’encadrement d’une quinzaine de personnes par an.

Une démarche globale

Pour tenter d’avoir le plus d’impact possible, l’entreprise d’insertion souhaite également baisser les barrières à l’emploi. « Nous nous décrivons comme des restaurants humanistes, pour faire de l’insertion professionnelle », indique la directrice de développement. Ainsi, malgré les problématiques liées au milieu de la restauration, notamment en termes d’horaires, le Recho cherche à améliorer les conditions de travail de ses salariés et des stagiaires. De fait, les coupures sont limitées et le taux de rotation des emplois du temps est important. Quant au taux d’encadrement, il se révèle aussi plus élevé qu’ailleurs : une personne formatrice pour un ou deux stagiaires, contre une pour douze dans les autres entreprises d’insertion. « Nous voulons porter une attention particulière à celles et ceux que l’on forme », souligne Alix Gerbet.

Par ailleurs, la cofondatrice du projet tient à rappeler que la démarche est globale, puisqu’en plus de l’accueil, le projet a une dimension écologique. En effet, le Recho utilise la cuisine comme levier pour une transition durable, écologique et sociale. Les produits utilisés sont d’origine biologique, approvisionnés en circuit court chez des producteurs partenaires. En outre, l’équipe a décidé d’exclure d’office tous les produits issus de l’élevage industriel et intensif, et de faire la part belle au végétal. La table du Recho s’engage aussi à réduire au minimum son usage de plastique non réutilisable et à veiller au respect du tri des déchets, en salle comme en cuisine. En outre, les produits de nettoyage utilisés au restaurant sont écologiques, sans aucun intrant toxique et non biodégradable. « C’est important pour nous de s’engager pour une alimentation plus vertueuse », note Alix Gerbet.

Enfin, en plus de cette mission d’insertion par la cuisine, l’association propose des ateliers de cuisine, un programme d’aide alimentaire pour les personnes en situation de précarité, ainsi que des déjeuners solidaires. Des dîners caritatifs sont également organisés, en compagnie de chefs invités qui viennent cuisiner avec l’équipe du restaurant, composée de réfugiés en insertion, pour les guider sur le chemin de leur professionnalisation. « Nous voulons démontrer que la restauration durable a un bel avenir, que nous pouvons réduire notre impact dans l’assiette », assure la directrice de développement. Pour 2023, l’association et l’entreprise souhaitent parvenir à l’équilibre, afin de continuer à grandir et à former des personnes exilées, tout en défendant une cuisine plus durable.

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