Laetitia Visse, cuisine viscérale

  • Temps de lecture : 4 min

Comme évoqué dans le nom de son enseigne, Laetitia Visse propose une vision très carnée de la cuisine dans son restaurant. Ainsi, sous sa conduite, chaque viande présentée est érigée au rang de pièce maîtresse. Armée d’autant de bon sens que de virtuosité, la cheffe parvient à remettre les saveurs d’antan au goût du jour.

Laetitia Visse
Laetitia Visse. Crédit DR.

Passer la porte de La Femme du boucher, c’est s’immiscer dans l’antre très personnel d’une cuisinière plus inspirée par l’univers des charcutiers que par celui des cuisiniers. « Ils savent tout faire », clame Laetitia Visse. Cela tombe bien puisque la cheffe s’est installée dans une ancienne boucherie à laquelle elle a su donner des allures de maison de campagne. Tables en Formica aux motifs fraises des bois, étagères en bois patinées par le temps, natures mortes… « J’ai tout chiné à droite et à gauche. J’ai fait une bonne partie des travaux, c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a quelques étagères penchées », précise-t-elle.

En toile de fond de son établissement règne une véritable serre tropicale. « Cela m’apporte pas mal d’humidité, quelques insectes, et puis je dois les tailler très souvent mais on ne peut pas tout avoir », plaisante Laetitia Visse, tout en jetant un œil émerveillé à ses plantes poussant de leurs branches ondulantes la véranda baignée de cette lumière propre à la Cité phocéenne. D’ailleurs Laetitia Visse semble auréolée de cette lumière. Mais comment aurait-il pu en être autrement en naissant dans une famille de chanteurs lyriques ? « Un jour, ma mère m’a pris un abonnement à un magazine de gastronomie et j’ai commencé à vouloir reproduire toutes les recettes à la maison », explique cette dernière.

Puis, à l’âge de 15 ans, ses parents l’emmènent aux portes ouvertes de l’école Ferrandi. « Une fois arrivée là-bas, je tombe en pâmoison devant tout ce que je vois », raconte-t-elle. Laetitia Visse passe son bac et intègre dans la foulée l’emblématique école de cuisine. Lancée sur la voie de l’excellence, elle effectue ses premiers stages chez Loiseau Rive Droite (Paris 8e), avant de rejoindre l’équipe du Carré des Feuillants sous la direction d’Alain Dutournier (Paris 1er). « Il me proposait de rester avec lui à la coupure pour faire des tourtes ou préparer un lièvre à la royale. J’étais stagiaire et je devais massacrer pas mal de produits mais Alain Dutournier m’a appris ce qu’était réellement la transmission », déclare-t-elle.

Après l’école, Laetitia Visse décide d’en finir avec les tables gastronomiques. Elle commence à travailler au Beefbar (Paris 8e), un steak house premium, et fait la rencontre de Thomas Brachet. À ses côtés, elle œuvrera à l’ouverture des Arlots, la nouvelle table de ce chef, devenue le repère d’une clientèle parisienne férue de cuisine canaille. Si Ferrandi prône les parcours étoilés, Laetitia Visse découvre dans ces cuisines bistrotières un tout autre univers. « Je rêvais de grandeur, je voulais être étoilée. En tant que femme, mes seules références étaient Anne-Sophie Pic et Hélène Darroze. Thomas m’a ouvert un tout nouveau prisme, celui de la charcuterie. »

Dès lors, la cuisinière comprend l’importance et les enjeux que cette viande transformée revêt. « Elle permet de proposer des produits moins nobles. Et puis, ce qui me frustrait en gastro, c’était la distance avec les gens. Même si nous aimons bien être cachés dans nos cuisines, nous sommes tout de même des animaux sociaux. Chaque jour, nous essayons de satisfaire des personnes que nous ne connaissons pas », confie la cheffe. Naturellement, Laetitia Visse a souhaité naviguer vers d’autres horizons. Elle pose ses valises au cœur de la Cité phocéenne et intègre La Relève, un bistrot du 7e arrondissement. « Le patron me faisait entièrement confiance. J’allais au marché et je pouvais prendre ce que je voulais. C’est là que j’ai rencontré le noyau dur de la ville. Les clients m’ont rapidement collé une étiquette “ charcuterie ”. Tout le monde me disait d’ouvrir un lieu à moi pour faire tout ce que j’aimais », affirme la cheffe.

C’est chose faite aujourd’hui. Un endroit spécialisé dans la viande pensé comme une succession de pièces à vivre où Laetitia perpétue un héritage. « Avant, cet endroit s’appelait Le Boucher. Lorsqu’il y a eu l’épidémie de vache folle, le propriétaire de l’époque a fait le choix de se diversifier. Il a alors cassé les murs présents à l’arrière, ces derniers correspondant à son appartement attenant, afin de proposer des viandes cuisinées sur place à sa clientèle », relate-t-elle. Laetitia Visse le sait, elle incarne pour les clients une référence en matière de charcuterie, et ce, avec authenticité. « Je ne peux pas les décevoir, alors j’apprends et je continuerai à me perfectionner. Récemment, j’ai appris à faire de l’andouillette chez un MOF de Caen. Les charcutiers sont des monstres de technique. Ils maîtrisent la pâtisserie aussi bien que la préparation de la mortadelle et ils savent jongler avec des contraintes de date de péremption. Le charcutier est hybride », observe Laetitia Visse.

Si elle aime s’inspirer des meilleurs charcutiers, elle partagera prochainement son savoir-faire dans un livre dédié à l’emblématique pâté en croûte. « Avec ce livre, je souhaite fournir les outils nécessaires pour que même quelqu’un qui n’a jamais fait de pâté en croûte puisse réaliser quelque chose qui tienne la route. Et puis, la charcuterie c’est un bon antidépresseur tout autant qu’elle permet d’arrêter le temps », conclut la cheffe, visiblement heureuse.

PARTAGER