Des milliers de restaurants se heurtent toujours au mur d’Axa

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Près de 20 000 restaurateurs en France détiendraient des contrats de garanties de pertes d’exploitation d’Axa aux clauses particulières. Certains tribunaux de commerce considèrent que ces garanties fonctionnent face à l’épidémie. L’assureur fait la sourde oreille et refuse toute négociation en se lançant dans un marathon judiciaire.

Le feuilleton qui oppose Axa à de nombreux patrons de restaurants se poursuit en cet automne et il est probable qu’il dure de nombreuses saisons. Visiblement, l’assureur joue la montre. Globalement, comme l’estime maître Philippe Meilhac, avocat spécialisé dans l’univers des CHR qui instruit de nombreux dossiers de contentieux contre Axa, l’enjeu est conséquent car près de 20 000 restaurateurs détiendraient ainsi des contrats de garanties de pertes d’exploitation signés avec le premier assureur français et dont les termes peuvent leur laisser espérer une indemnisation.

L’affaire Manigold, du nom d’un restaurateur qui a obtenu gain de cause en référé contre Axa, a montré que les arguments avancés par l’assureur pour ne pas honorer ses engagements étaient très fragiles et en l’occurrence rejetés par le tribunal de commerce. Cette victoire a donné lieu à des négociations entre Axa et les détenteurs de contrats. Une partie de ces tractations aurait abouti à des transactions à l’amiable avec l’assureur. Selon nos informations, les assurés auraient reçu – selon les cas – des indemnités représentant 20 à 45 % du CA habituel, proportionnellement à la période de fermeture imposée par l’État. Tous les détenteurs de ce type de clauses ont le plus souvent souscrit leurs contrats via des courtiers (Satec, l’Egide ou GEA). Ils peuvent donc raisonnablement prétendre à une négociation avec Axa et à une indemnisation comprise dans la fourchette indiquée.

L’aide d’un avocat est le plus souvent nécessaire pour optimiser l’indemnité. Il faut cependant savoir que ces contrats sont particuliers. Vendus par des courtiers, ils contiennent une mention prévoyant une indemnisation de perte d’exploitation « en cas de fermeture administrative imposée par les services de police ou d’hygiène ou de sécurité ». De plus, les courtiers qui les ont souscrits sont indépendants des assureurs et ont défendu la cause de leurs clients. Satec, notamment, aurait fait pression sur Axa pour que le groupe honore ses engagements.

La face cachée de l’iceberg attend toujours

Mais comme le fait remarquer maître Meilhac, ces contrats qui ont fait ou qui vont faire l’objet d’indemnisation ne représentent que la face émergée de l’iceberg. « En réalité, environ 10 % des contrats qui font ou pourraient faire l’objet d’un contentieux sont liés à des courtiers. Le reste est souscrit par des agents et la rédaction de la police est différente » à savoir que « si l’extension de garantie est plus explicite, elle comporte une clause d’exclusion ». Ces contrats prévoient en effet une indemnisation en cas de « fermeture par une autorité administrative compétente, notamment à la suite d’une épidémie ». Mais à côté de cette protection, une exclusion de garantie indique que cette clause ne fonctionne pas si « au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une fermeture administrative pour une cause identique ».

Selon Axa, cette clause exclut tous les détenteurs de contrats qui réclament une indemnisation. En gros, l’assureur couvre les pandémies qui ne se répandent pas, alors que le problème posé par une épidémie selon le Petit Robert, c’est justement de résulter de « l’apparition d’un grand nombre de cas dans une région donnée ou dans une collectivité ». Maître Meilhac estime que « cette clause d’exclusion n’est pas légale, car au sens du code des assurances, elle vide la garantie offerte de sa substance ».

« Dans une situation épidémique, et en cas de fermeture administrative visant à prévenir la propagation d’une épidémie, ce que couvre la garantie, il y a nécessairement plusieurs fermetures d’établissements dans le même département ».
Philippe Meilhac, Avocat

De nombreux assurés ont porté l’affaire devant les tribunaux de commerce, en référé ou au fond.

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Le chef toulousain Michel Sarran.

À Marseille, un restaurateur a même obtenu gain de cause via une simple procédure en référé. Mais dans la plupart des cas, les différends ont été tranchés lors de jugement de fond. À Toulouse, le chef Michel Sarran a ainsi été débouté le 18 août. Le tribunal a notamment été sensible à l’argumentation du professeur Daniel Vittecoq assimilant les Tiac (toxi-infections alimentaires) à des épidémies et considéré qu’au « regard d’exemples de fermetures de restaurants ou d’hôtels pour cause de gastro-entérites, ou d’atteinte de légionellose ou de listériose, qu’une épidémie peut ne concerner qu’un seul établissement ». Une conclusion allant dans le même sens a aussi été rendue par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse le 24 août, qui a rejeté la demande d’indemnisation à hauteur de 99 539 € d’un restaurateur d’Ambérieu-en-Bugey en arguant « que le terme épidémie peut s’appliquer aussi bien à une maladie touchant un groupe d’individus qu’une famille, un village, un établissement ou le monde entier ».

Des décisions favorables

Le débat judiciaire se déplace dès lors sur le plan médical et s’ouvre à des interprétations différentes. Le tribunal de commerce de Paris ne l’a pas entendu de cette oreille et a donné tort à Axa en accordant le 17 septembre une indemnité à titre de provisoire de 50 000 € au restaurant Biscotte. Cinq restaurateurs étaient plaignants dans cette affaire défendue par maître Guillaume Aksil.

iGuillaume Askil, avocat
Guillaume Askil, avocat. Crédit : La Revue des Comptoirs.

Ils ont obtenu un total de 240  000 €. Les juges se sont référés à la définition du mot « épidémie » dans le Larousse, « un développement et une propagation rapide d’une maladie contagieuse, plus souvent d’origine infectieuse, dans une population », pour conclure qu’au cours d’une épidémie « plusieurs établissements sont nécessairement touchés »

À Tarascon, le tribunal de commerce est sorti de l’argumentation médicale pour se déplacer sur le terrain de la tromperie commerciale et condamner, le 24 août, Axa à verser 114 105 € au restaurant le Domaine de Servanes, à Mouriès (Bouches-du Rhône). Les juges ont justifié leur décision en estimant que <« les cas d’extension et de garantie prévus ne sauraient se confondre entre eux pour se révéler valablement applicables dans un cas, ne saurait a priori, à la faveur d’une certaine habileté rédactionnelle, l’être nécessairement pour les autres ».

Des courriers informant que certaines garanties étaient modifiées

Axa est d’ailleurs parfaitement conscient de la faiblesse de son argumentation. L’assureur a récemment envoyé des courriers aux détenteurs de ces contrats ambigus des courriers dans lesquels il les informe que le montant de leurs cotisations est maintenu, mais que certaines garanties sont modifiées, dont « la couverture de la perte d’exploitation à la suite d’une fermeture administrative, liée à un décès accidentel, un suicide, un meurtre ou une intoxication alimentaire ». N’oublions pas que ces contrats particuliers courent toujours et sont susceptibles de couvrir leurs détenteurs à l’occasion de la résurgence de l’épidémie alors que certaines fermetures ont déjà été prononcées. En revanche, ceux qui ont déjà pu négocier une indemnité ont dû renoncer en échange par écrit à cette protection.

Michel Sarran a fait appel de la décision du tribunal de commerce de Toulouse. Dans les jugements qui lui étaient défavorables, Axa a systématiquement fait appel. Dans ces cas de figure, les affaires seront examinées devant une cour d’appel par des juges professionnels. Mais il se peut que les avis rendus soient divergents. Dans ce cas, la Cour de cassation devra trancher entre les différentes interprétations. D’ici là, beaucoup de restaurants auront disparu ou seront revendus. On peut aussi penser que certains acteurs n’auront pas la patience de poursuivre en justice Axa durant plusieurs années. Le temps joue en faveur de l’assureur qui en attendant s’offre une réputation de partenaire fidèle des professionnels à grand renfort de spots publicitaires. La moindre des choses pour donner crédit à ces messages serait d’abord d’honorer ses engagements.